La réforme constitutionnelle, abordée à l'Assemblée en juillet dernier et dont la suite de l'examen sera à l'ordre du jour en janvier prochain, se découpe en trois textes. Une loi organique, une loi ordinaire et une révision de la Constitution. Le comité des juristes en marche ( Jurem ) a invité récemment la présidente de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, à décrypter les changements majeurs à venir pour nos institutions.
Pourquoi ces trois textes sont-ils nécessaires pour cette réforme ? Parce que, selon Yaël Braun-Pivet, « les niveaux de normes sont différents et qu'on n'érige pas au rang institutionnel des dispositions qui relèvent d'une loi ordinaire ». Autour de cette architecture globale, l'introduction de la dose de proportionnelle sera l'objet de la loi ordinaire. Le non cumul des mandats et la réduction du nombre de parlementaires seront, quant à eux, formalisés par la loi organique. Après le passage au Conseil des ministres et au Conseil d'Etat, ces deux projets de lois sont à présent sur le bureau de de la Commission des lois à l'Assemblée nationale.
De son côté, le texte visant à modifier la Constitution est très dense. Il traite « d'autres façons de faire de la politique » afin de « répondre à la demande de nos concitoyens de rénover la vie politique et institutionnelle et de construire une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Pour autant, il n'est pas question de bouleverser les grands équilibres de la Ve République ». Comme le rappelle Yaël Braun-Pivet, Montesquieu disait que l'on ne doit « toucher à la Constitution que d'une main tremblante ».
Ce qui est sage. « Néanmoins, il ne faut pas non plus en faire un objet sacré. Nous devons, certes, apprendre du passé, mais en gardant un regard critique sur nos institutions. Ce texte nous a permis d'avoir depuis 60 ans des institutions qui fonctionnent, en résistant notamment à deux cohabitations, mais il est vrai aussi qu'il a déjà été modifié 24 fois… ». Selon elle, « c'est à n'en pas douter dans la capacité de la Ve République à se perfectionner et à s'adapter quand les circonstances l'exigent qu'est sa principale force ».
Les grands principes
Concernant les grands principes, contenus dans l'article 1er, il est notamment proposé de supprimer le mot « race » et d'ajouter le mot « sexe » pour affirmer cette parité qui fait partie des grandes causes nationales du quinquennat d'Emmanuel Macron. Il est affirmé également le souhait essentiel d'agir pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. Pour Yaël Braun-Pivet, ces modifications ont vocation à permettre au juge constitutionnel de juger de la constitutionnalité des textes de loi à l'aune de cet engagement très fort de la République sur ces questions d'égalité entre les sexes, de lutte contre le racisme et de l'écologie au sens large. Il est important que le texte fondamental évolue pour accompagner le mouvement vivant de la société.
La procédure parlementaire
Une autre grande partie du texte constitutionnel concerne la réforme de la procédure parlementaire. Comme le souligne Yaël Braun-Pivet, « Cette dernière peut parfois sembler un peu longue, un peu redondante, pléthorique et chronophage. Il nous a semblé qu'il fallait la revoir de façon assez profonde. » L'objectif ? « Une procédure plus efficace, pour une loi de meilleure qualité et plus de temps consacré au contrôle et à l'évaluation, les deux autres missions fondamentales du Parlement ».
Un ordre du jour prévisionnel de l'inscription des textes législatifs permettrait de mieux anticiper, mieux organiser les travaux des députés mais surtout d'avoir une meilleure visibilité des textes de loi à venir. Les députés vont pouvoir « travailler plus en amont, impulser des textes de loi, et les enrichir à l'aune des travaux parlementaires ». Ce travail a été réalisé, par exemple, par la Commission des lois concernant les amendes forfaitaires en matière de stupéfiants ou la diversification des modes d'emprisonnement. Les ministres concernés ont ainsi pris en compte le travail des députés pour la rédaction du texte de loi.
Afin de lutter contre la multiplication des amendements et le dévoiement de ce droit essentiel, Yaël Braun-Pivet énonce le souhait des députés LaREM : « pour que les amendements soient toujours en lien avec le texte de loi, nous proposons de constitutionnaliser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment sur les cavaliers législatifs, le domaine respectif de la loi et du règlement au titre des articles 34 et 37 de la Constitution. Il faut qu'à l'Assemblée nationale, nous puissions déclarer irrecevable des amendements qui seraient soit de nature règlementaire, soit non normatifs, soit étrangers au domaine du texte examiné, en assurant une stricte égalité des armes entre les initiatives gouvernementales et celles émanant des membres du Parlement. »
Avec la navette parlementaire, le Parlement examine, chambre après chambre, tout projet ou proposition de loi en vue de l'adoption d'un texte identique, avec la convocation, possible après deux lectures d'une commission mixte paritaire destinée à ce que la navette ne se prolonge pas infiniment. Seulement, les textes vont de l'Assemblée au Sénat en trois étapes. Cette procédure, jugée trop longue, fait l'objet d'un des points essentiels de la réforme. « Nous formulons le souhait de réduire la navette parlementaire, avec une procédure accélérée, un seul aller-retour avant la convocation de la commission mixte paritaire (CMP). »
La solution serait ainsi de « généraliser la procédure accélérée » afin que tout projet ou proposition de loi ne fasse qu'un seul aller-retour entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Ne pouvant être déclarée qu'à la demande du Gouvernement, cette procédure est pourtant utilisée aujourd'hui « pour plus de 70 % des textes ».
Les députés ont ainsi tenu à aligner le droit avec la pratique.
Il est également prévu de supprimer les navettes parlementaires lorsque la commission mixte paritaire échoue. Selon Yaël Braun-Pivet : « Il existe une vraie volonté de convergence entre l'Assemblée et le Sénat. Lorsque l'on échoue à trouver un compromis, c'est que l'on est en présence d'un vrai clivage idéologique et politique. Il n'y a alors aucune chance pour que le nombre de navettes permette de venir à bout de ce clivage. »
Autre modification, le texte du projet de loi constitutionnelle prévoit le développement de la législation en commission. Selon Yaël Braun-Pivet, « certains textes techniques devraient pouvoir éviter le passage en séance publique. Au moment de l'examen, les députés qui siègent dans l'hémicycle sont souvent les mêmes que ceux qui siégeaient en commission. Non seulement nous perdons du temps, mais nous donnons une image déplorable de notre travail, avec un hémicycle clairsemé ; les députés présents étant ceux qui ont travaillé le texte en amont.
Légiférons directement en commission. Nous serons plus efficaces, plus rapides, sans rien perdre en qualité. Le Sénat a déjà adopté cette procédure ».
Le volet institutions
Concernant les institutions, la présidente de la Commission des lois de l'Assemblée nationale parle davantage de détermination que de révolution : « Nous ne faisons pas le Grand soir, mais nous rêvons d'aller au bout de réformes qui sont souhaitées, voire votées depuis longtemps, par le Parlement. »
Pour elle, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature en est une parfaite illustration : « Sous la dernière mandature, un texte en ce sens a été voté par les deux chambres. Faute de majorité suffisante au Congrès, il n'a pas abouti. L‘obligation d'obtenir l'avis conforme du CSM pour les nominations des magistrats du Parquet et le fait de lui conférer le même pouvoir en matière disciplinaire que pour les magistrats du siège est prévu au titre des modifications constitutionnelles que nous portons. Nous espérons ainsi aller au terme de cette réforme, car c'est un signal fort pour les Parquets, pour les magistrats et, au-delà, pour l'opinion publique. »
La Cour de Justice de la République
Autre point de la réforme constitutionnelle, la Cour de Justice de la République, compétente pour juger les crimes ou délits commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions. Comme le précise Yaël Braun-Pivet, « il y a l'unanimité pour dire que ce n'est pas une bonne juridiction. Il y a une incompréhension absolue dans l'opinion publique et le monde judiciaire d'avoir une juridiction spécifique composée en grande partie de politiques pour juger d'autres politiques ». De plus, cette juridiction d'exception est inégalitaire à cause d'une différence de traitement. « Un inconvénient majeur est que, pour une même affaire pour laquelle la Cour de Justice de la République était compétente, les coauteurs, complices ou receleurs étaient poursuivis en parallèle devant les juridictions de droit commun ». Ainsi, le projet de révision constitutionnelle prévoit que les ministres seront jugés par une juridiction de droit commun, la Cour d'appel de Paris. « Avec cette suppression de la Cour de Justice de la République, nous visons à restaurer la confiance envers le politique et à nous diriger vers une meilleure administration de la justice, notamment en termes de célérité des poursuites judiciaires. Nous conserverons néanmoins un filtre afin que ne soit pas entravée de manière abusive l'action politique. »
Le Conseil constitutionnel
« Nous allons également réformer la composition du Conseil constitutionnel. Nous proposons de supprimer à l'avenir les membres de droit que sont les anciens présidents de la République. » Il s'agit ainsi de mettre fin à une « exception de trop » ainsi que la dénonçait Robert Badinter. Une disposition sans équivalent en Europe, adoptée en 1958 afin de tenir compte de la situation particulière des anciens présidents de la IVe République, Vincent Auriol et René Coty, et dont la suppression est préconisée de longue date. Elle écartera, en particulier, tout risque de conflit d'intérêt pour l'avenir, s'inscrivant ainsi dans la dynamique de juridictionnalisation progressive du Conseil constitutionnel.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE)
Sur le volet institution, la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE) est également à l'ordre du jour. Selon la présidente de la Commission des lois, « il est fondamental de le préserver, de le transformer, avec le souhait de lui donner une place plus importante. Il faut que les travaux de ses membres parviennent à mieux sortir de leur enceinte ». Le projet de réforme vise ainsi l'ouverture du CESE à la société civile, en lui confiant notamment une nouvelle mission de consultation du public. En outre, sur un certain nombre de projets de loi, « la réforme constitutionnelle propose de rendre obligatoire l'avis du CESE avant l'examen du texte par le Parlement ». Dans un deuxième temps, via une loi organique, nous réfléchirons à la composition de ce Conseil qui pose aussi question ».
Territoire : différenciation et spécificité
La question de la différenciation territoriale est également un volet important de la réforme à venir.
Comme le précise Yaël Braun-Pivet, « actuellement, dans la Constitution, une région, un département ou une collectivité peut, à sa demande, bénéficier de dispositions dérogatoires. L'objectif est de généraliser ces dernières. Nous consacrons ainsi pour les collectivités un droit à la différenciation, bien évidemment encadré. Il y aura également, à travers la création de l'article 72-5, le statut particulier de la Corse, qui permettra de concevoir certains dispositifs législatifs spécifiques à ce territoire ». En séance, les députés ont également complété l'article 1er de la Constitution à l'invitation des rapporteurs, en y inscrivant que la République « reconnaît la diversité de ses territoires par son organisation décentralisée ».
Le calendrier
La réforme constitutionnelle a été examinée en commission entre fin juin et début juillet, avant d'arriver dans l'hémicycle le 10 juillet : « Les oppositions ont joint leurs forces pour tenter de bloquer cette réforme, dans le contexte de l'affaire Benalla. Ainsi que l'a annoncé le président de la République, ce texte sera à l'ordre du jour de la session de janvier prochain. Il reste 1 800 amendements à examiner. S'il y a une volonté politique de parvenir à un accord, nous trouverons cet accord. C'est un texte très dense, avec la possibilité de converger vers une rédaction qui satisfasse les deux chambres. »
Le texte constitutionnel est du ressort de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, alors que les lois organique et ordinaire sont de la compétence du ministre de l'Intérieur. Elles seront portées par Christophe Castaner, probablement au printemps.
Comme le précise la présidente de la Commission des lois, « L'architecture adoptée à l'Assemblée pour porter ces textes va être revue. Nous avions un rapporteur général, Richard Ferrand, qui coiffait les trois textes, et des rapporteurs spéciaux. Marc Fesneau, en tant que président du groupe Modem à l'Assemblée, était rapporteur de la procédure parlementaire et des collectivités tandis que j'étais en charge du volet institutionnel de la réforme. Marie Guévenoux, pour LaREM, a été désignée rapporteure des lois ordinaire et organique. Comme Richard Ferrand est à présent président de l'Assemblée nationale et Marc Fesneau, ministre des Relations avec le Parlement, nous allons revoir notre dispositif pour aborder le texte au mois de janvier. »