Intitulée « 23 propositions pour simplifier la vie des Français en facilitant la réparation des dommages », ce travail de la commission des lois du Sénat s'inspire des nombreuses réflexions menées sur le sujet depuis des années (lire encadré ci-dessous).
Mettre le code civil à la page
En effet, cette réforme est attendue depuis plus de vingt ans car l'essentiel des règles en la matière date du code Napoléon. Cela pose problème car le droit commun de la responsabilité civile - c'est-à-dire la possibilité pour la victime d'un dommage d'en obtenir la réparation auprès de son auteur ou de la personne qui en répond - repose uniquement sur cinq articles, pratiquement inchangés depuis 1804.
Pourtant, avec l'industrialisation de la société, le développement des moyens de communication et de transport, et les évolutions sociales et familiales, le champ de la responsabilité civile n'a cessé de s'élargir. Les textes actuels ne reflètent donc plus la réalité et créent des situations délicates, voire laissent des vides juridiques.
Si la jurisprudence a su faire preuve d'une remarquable capacité d'adaptation, il est grand temps de moderniser le code civil, surtout depuis l'entrée en vigueur le 1er octobre 2016 de la réforme du droit des contrats fièrement portée par Christiane Taubira, premier volet d'une modernisation du droit des obligations, que la réforme de la responsabilité civile doit parachever.
Il s'agit finalement de mettre le code civil à la page et « le droit à la portée de tous », comme le souhaitait l'ex-garde des Sceaux Christiane Taubira.
Nombreux sont donc les projets d'éminents professeurs de droit dans les bacs de la Chancellerie, engagés depuis le début des années 2000, à l'instar des travaux dirigés par Geneviève Viney, Pierre Catala ou François Terré. Ces réflexions fouillées ont d'ailleurs abouti à un projet de réforme abouti présenté par le ministère de la Justice en mars 2017, mais dont l'entrée en vigueur était toutefois incertaine.
Le 13 mars 2017, Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux à l'époque, présentait à l'Institut de France le projet de réforme du droit de la responsabilité civile. © Ministère de la Justice
« C'est avec la conscience du rythme d'écoulement du temps que je viens vous entretenir d'une réforme historique », avait alors déclaré le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas devant les membres de l'Académie, avant d'ajouter « la session parlementaire étant achevée, je laisse ce projet à la disposition de mon éventuel successeur, pour qu'il puisse être soumis au Parlement et que soit adoptée une grande réforme du droit de la responsabilité civile, indispensable, qui viendra parachever la réforme du droit des obligations ».
Les sénateurs déterminés à boucler ce dossier d'intérêt général
Trois ans plus tard, toujours rien à signaler. Pour ne pas que cette réforme juridique soit jetée aux oubliettes, la commission des lois du Sénat s'en est saisie en créant une mission d'information préalable à l'adoption nécessaire de dispositions législatives.
Pour le président de la commission Philippe Bas : « La réforme de la responsabilité civile n'est pas qu'un débat de spécialistes. C'est aussi un enjeu majeur du quotidien pour tous nos concitoyens, par exemple lorsqu'ils confient leurs enfants à leurs grands-parents ou à une assistante maternelle et qu'un accident survient de leur fait, qui doit réparer le dommage qui en découle ? Il est essentiel d'en clarifier les conditions ».
Au terme d'un long travail de recherche et de l'audition de dizaines d'experts, les sénateurs rapporteurs, Jacques Bigot et André Reichardt, regrettent que, malgré une réflexion aboutie sur les points majeurs, aucun texte ne soit inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Pourtant, selon eux, « rien ne s'oppose à une concrétisation législative rapide de la réforme de la responsabilité civile ».
La mission d'information sur la responsabilité civile a donc formulé 23 propositions pour une évolution rapide de notre droit, dont la première annonce que ses membres déposeront une proposition de loi dans le courant de l'été.
Des sources d'inspiration nombreuses :
- La jurisprudence : ces propositions sénatoriales proposent de codifier les décisions de justice en leur donnant valeur législative, notamment lorsque les interprétations des magistrats ont comblé des vides juridiques ou ont recueilli l'adhésion de la doctrine et des praticiens (la responsabilité du fait des choses par exemple).
- La doctrine : les rapporteurs se sont aussi inspirés des avant-projets dirigés par les éminents professeurs de droit Geneviève Viney et Pierre Catala (remis au garde des Sceaux en septembre 2005), ainsi que celui dirigé par le professeur émérite François Terré sous l'égide de l'Académie des sciences morales et politiques (publié en février 2012).
- Les travaux parlementaires : héritage des rapports d'information des sénateurs Alain Anziani et Laurent Béteille (déposé le 15 juillet 2009), et du député Guy Lefrand sur l'indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d'accident de la circulation (enregistré le 10 février 2010).
- La consultation publique : prise en compte de plus d'une centaine de contributions recueillies en trois mois entre avril et juillet 2016, ainsi que l'audition de 77 personnes et de l'examen de 45 contributions écrites en 2020 par les rapporteurs de la commission sénatoriale.
Le droit de la responsabilité, qui était sorti du code civil, retrouverait avec cette réforme son siège naturel, dans une langue modernisée et suivant un plan précis et accessible. Le principe cardinal énoncé par le code de 1804 selon lequel « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » serait naturellement maintenu. Plusieurs principes dégagés par la jurisprudence seraient consacrés comme la responsabilité du fait d'autrui (propositions n°3, 4 pour le fait générateur), mais aussi pour la responsabilité des parents 5 et 7).
Ce projet comporte aussi des évolutions notables comme l'amélioration de l'indemnisation des dommages corporels et leur définition (proposition n°15), ou encore la mise en œuvre de l'open data des décisions de justice pour aider les magistrats, ainsi que les praticiens, à évaluer ces préjudices (proposition n°18).
La clarification de ce pilier du droit civil n'étant ni une question de gauche ni de droite, il est permis d'espérer que cette réforme soit votée prochainement.