« Je considère que la révolution numérique n'a rien de commun avec ce qui a existé avant. Jusqu'à aujourd'hui, les progrès informatiques permettaient de travailler plus vite, de manière plus efficace, sans menacer la profession elle-même. La révolution numérique pourrait cette fois-ci faire disparaître nos métiers », lance Laurent Benoudiz.
Et le président de l'Ordre des experts-comptables de Paris Île-de-France de citer la menace des factures électroniques, de l'automatisation des process et de l'intelligence artificielle qui permettrait même à terme de rendre les logiciels "auto-apprenants".
Mais si la profession est « face à une rupture significative, Laurent Benoudiz ne croit pas à une disparition pure et simple des experts-comptables. « Nous avons une grande capacité d'adaptation et une raison de travailler avec nos clients qui dépassent l'établissement de la simple déclaration de TVA ou l'établissement de la liasse fiscale », poursuit Laurent Benoudiz, qui rappelle que la profession « rassure, accompagne les entreprises dans leurs décisions ».
Mais il faut toutefois que « cette valeur, aujourd'hui intégrée dans une prestation globale vendue sous le nom de tenue ou de saisie comptable, soit mieux perçue par le client ».
Pour lui, il est donc nécessaire de repenser la chaîne de valeur de la profession. « Il faut que notre offre de services puisse être claire et facilement se démarquer des solutions proposées en ligne », estime-t-il. S'agissant de la dématérialisation des échanges, l'objectif est que 100 % des interactions avec l'Ordre des experts comptables Paris Île-de-France se fasse à travers un portail internet à horizon 2019.
Laurent Benoudiz alerte aussi sur le fait que de nouvelles structures concurrentes des experts-comptables, à l'instar de Georges le robot comptable, s'attaquent au marché sans être inscrits à l'Ordre, contrairement aux pratiques passées.
« Tous les grands cabinets sont en train de développer des applications pour le traitement automatisée de la comptabilité ».
« Cet environnement numérique est complexe, nous avons beaucoup de mal à identifier nos concurrents. Il est plus facile aujourd'hui d'ouvrir un cabinet en faisant le choix du 100 % dématérialisé que de jongler entre les clients traditionnels et ceux convertis au numérique ». Laurent Benoudiz émet à ce titre des craintes concernant ses confrères travaillant “à l'ancienne“ uniquement sur la tenue comptable et n'ayant plus de nouveaux dossiers à gérer. « Certes, la profession est consciente des enjeux, mais les enquêtes d'opinion montrent que les professionnels ne pensent pas qu'ils seront touchés. Il faut se montrer prudent. »
S'agissant de la menace représentée par l'automatisation sur les missions de base, Olivier Salustro, président de la CRCC de Paris, estime qu'il s'agit d'une menace, mais aussi d'une opportunité. Le président rappelle que l'intelligence des machines étant liées à celle des hommes qui les programment, les experts-comptables et les CAC pourront trouver des solutions pour les utiliser à bon escients.
« Pour autant l'IA a fait beaucoup de progrès, il faut se préparer demain à imaginer une approche professionnelle sur laquelle le tandem homme-machine prendra tous son sens », anticipe-t-il.
De même, pour Olivier Salustro, Georges le robot comptable est davantage une piste qu'une menace, qu'il est nécessaire d'explorer, puis de maîtriser.
« Toute rupture technologique est soit subie soit appréhendée et analysée, nous devons nous adapter », souligne Olivier Salustro.
C'est d'ailleurs tout l'objectif du Lab50, lancé lors de la conférence “L'obsolescence du chiffre est-telle programmée ?“ des Universités d'été. « Il faut rentrer dans les boites noires, comprendre comment elles opèrent et ne pas les laisser nous maîtriser », conclut Olivier Salustro. La profession a également développé la Plateforme des outils numériques (PON), permettant d'accompagner les experts-comptables et les commissaires aux comptes sur diverses missions (levée de fonds, audits facilités par le numérique etc.).
Les soldats du chiffre à l'épreuve de la loi Pacte
S'agissant du projet de loi Pacte, Olivier Boucherie rappelle que la profession des CAC s'est prononcée pour un « audit légal PE » qui serait obligatoire ou facultatif pendant trois ans, puis évalué. « La garde des Sceaux et le ministre de l'Economie ne s'étant pas mis d'accord, l'arbitrage du Premier ministre a été sollicité », rappelle le président de la CRCC de Versailles.
« En relevant les seuils, sans le dire, Bruno Le Maire change la philosophie de la régulation de l'économie. Ce que le ministre ne dit pas, c'est que nous basculerions dans un système d'autorégulation. Nous sommes contre cette disparition de la régulation dans le tissu TPE-PME, cela fragiliserait notre économie », renchérit Olivier Salustro.
D'où la formulation de 13 propositions par le collectif CAC en mouvement, visant à « préserver le dynamisme » de ce tissu.
« Nous serons attentifs à aider au maximum les confrères si la loi passait en l'état », ajoute Olivier Boucherie, qui précise qu'à l'instar des avoués, une réparation est prévue par l'Etat, mais ne concerne que les personnes physiques.
Le problème du recrutement
« Nos professions souffrent depuis trop longtemps d'un déficit d'image, nous l'avons constaté avec cette loi Pacte », déplore Olivier Salustro, avant de signaler que les chefs d'entreprise et les responsables politiques ne sont pas toujours conscients du rôle des professions du chiffre.
« Nous sommes en concurrence avec des professions qui ont su se rendre plus attractives, comme dans les mondes bancaire et financier. Si la profession se voit amputée d'une partie de ses mandats et que notre filière de formation d'excellence est mise à mal, le taux d'attractivité du CAC va encore diminuer. »
Du côté des experts comptables, Laurent Benoudiz souligne que les grands cabinets internationaux « sont des aimants » à étudiants, même si ces derniers ne les accompagnent pas jusqu'au diplôme.
Alors que le métier est « plus intéressant, moins épuisant » dans les cabinets indépendants, selon le président de l'Ordre régional.
C'est pourquoi une plateforme a été mise en place (appelée temporairement Le Bon Job), afin de « recenser tous les cabinets indépendants qui le souhaitent » et permettre aux étudiants de choisir entre ces petites structures et les cabinets internationaux.