Affiches Parisiennes : Pouvez-vous présenter le réseau Eurojuris France ?
Sophie Clanchet : Cette association a été fondée en France en 1987. Elle a très rapidement fait des émules. Des associations Eurojuris ont ainsi été créées dans les différents pays d’Europe pour finalement aller s’implanter bien au-delà, en Amérique latine et en Amérique du Nord, notamment. Le réseau est aujourd’hui présent dans 50 pays et regroupe quelque 6 000 avocats. Eurojuris France fait partie d’Eurojuris international qui chapeaute l’ensemble des associations nationales. Deux fois par an, cette structure organise des événements où sont conviés les présidents des différentes associations nationales et durant lesquels sont organisées différentes réunions de travail, sur des thèmes transversaux, en anglais. C’est d’ailleurs Marseille qui accueillera l’un d’eux, les Practice Groups Days, du 12 au 15 mai prochain. Le congrès sera quant à lui organisé à Prague, en octobre.
En France, nous regroupons aujourd’hui 137 structures, cabinets d’avocats et huissiers de justice, ce qui représente environ 1 000 professionnels du droit.
A.-P : Ce réseau d’avocats et d’huissiers est assez étonnant. Comment et pourquoi vous êtes-vous réunis au sein de cette association française et internationale ?
S. C. : Nous avons été précurseurs, puisque nous nous sommes réunis avec les huissiers de justice bien avant que l’on parle d’interprofessionnalité. Nous avons trouvé que nos activités professionnelles étaient complémentaires. Nous avons également vocation à accueillir des notaires. Nous allons d’ailleurs reprendre le recrutement car tous les professionnels du droit ont aujourd’hui des préoccupations communes, dans le cadre de nos activités. Nous avons les mêmes nécessités de formation, les mêmes approches stratégiques dans notre gestion entrepreneuriale. Il nous faut donc aller vers une plus grande interprofessionnalité entre nos structures.
Dans la période difficile que nous vivons, toutes les professions libérales du droit ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Nous pensons, au contraire, que nous devons partager nos réflexions et avancer main dans la main et non pas les uns contre les autres. Nous avons tout à gagner en étant partenaires.
A.-P. : Le 23 janvier dernier, lors de votre congrès annuel, à Malaga, vous avez été élue présidente d’Eurojuris France. Quelles vont être les priorités de votre mandat ?
S. C. : Pour les deux ans de mon mandat, j’ai plusieurs priorités. La première vis-à-vis de nos membres. À un moment où l’on parle de plus en plus d’uberisation du droit et d’approche numérique de nos professions, nous devons continuer à former nos membres à l’innovation afin qu’ils deviennent de vrais entrepreneurs du droit, avec une stratégie de gestion des cabinets. Nous souhaitons également les assister en matière de communication. Eurojuris France va beaucoup communiquer dans les deux années qui viennent. Nous avons fait appel à une agence pour faire du réseau le référent dans le domaine du droit afin de permettre à nos membres de rayonner sur le plan local.
Une autre de mes ambitions est donc de continuer et d’accentuer la mission d’entraide du réseau, à travers une commission dédiée et des réunions périodiques où il est possible d’échanger en toute convivialité pour pallier les difficultés actuelles.
A.-P. : Pouvez-vous donner un exemple de ces difficultés ?
S. C. : Il y a quelques années, certains TGI ont été supprimés en France. Eurojuris France a apporté une aide réelle à des cabinets relevant de ces tribunaux. Le fait d’avoir un cabinet ami sur le TGI référent a permis d’accentuer le partenariat en assurant à ces cabinets la continuité de leur activité, avec l’apport de clients et de dossiers. Nous poussons également les cabinets du réseau à se rapprocher au sein de structures inter-barreaux, sous l’égide d’Eurojuris France. Les professionnels du réseau se connaissent bien, s’apprécient… donc sont favorables au rapprochement. Par ailleurs, les cabinets rencontrent des difficultés structurelles et récurrentes, telles le départ d’un associé fondateur, des litiges entre associés ou encore un conflit de type salarial. Nous ne sous-estimons pas l’isolement de nos membres et considérons que l’association doit être une véritable valeur refuge ; une commission d’entraide va ainsi voir le jour.
A.-P. : Au plan international, on peut supposer que le travail des professionnels du droit est créatif. Comment intervient Eurojuris France pour moderniser leurs outils, notamment à travers votre projet « 2.0 » ?
S. C. : Nous avons effectivement un plan d’action, une feuille de route et des indicateurs, puisque nous sommes une association certifiée ISO 9001. La plupart des cabinets le sont d’ailleurs aussi. Le dernier plan d’action était effectivement Eurojuris France 2.0 qui poussait nos cabinets à sortir du système contentieux traditionnel, avec la postulation, qui n’est plus suffisant aujourd’hui. L’idée était d’inciter nos adhérents à se regrouper dans le cadre de bassins d’activité pour enrichir leurs offres respectives de compétences complémentaires. Une des particularités d’Eurojuris France est que nos membres sont plus spécialisés que la moyenne des cabinets français ; plus de 30 % pour Eurojuris France contre 20 % au plan national. Nous avons donc des compétences fines, très pointues dans beaucoup de domaines. Aujourd’hui, pour nos clients, il est possible d’apporter une réponse ensemble, dans un même bassin d’activité, sur toutes les problématiques. Accentuons nos spécialisations, recrutons des spécialistes dans les domaines complémentaires à ceux que nous avons et nous pourrons proposer à nos clients une réponse à tous les questionnements. À travers cette stratégie, nous souhaitons inciter des clients qui ont tendance à se tourner vers de très grosses structures à revenir vers des cabinets locaux, plus petits, mais très spécialisés. Ensemble, nous pouvons répondre à toutes les demandes en offrant de surcroît la proximité. Sur le plan local, nous sommes de très bons interlocuteurs, proposant des conseils sur mesure.
Nous allons à présent définir une nouvelle feuille de route avec l’aide du bureau de l’association qui devrait être soumise à notre prochain conseil d’administration. Nous allons définir ce que nous voulons devenir, ce que nous voulons être demain. Face à l’uberisation du droit, quel type de cabinet devons-nous être ? Nous avons également une réflexion à mener sur l’accompagnement de nos cabinets face aux nouveaux défis du numérique, tout en restant dans une approche humaine du droit. Nous voulons rester proches de nos clients pour les écouter, leur donner le meilleur conseil et les orienter vers le confrère le plus compétent pour répondre à leur problèmatique. Nous devons être très innovants dans le cadre de notre pratique quotidienne, sur le plan technique notamment, tout en restant dans une relation très humaine ave nos clients.
A.-P. : Envisagez-vous des partenariats avec des structures, notamment des plateformes du droit ?
S. C. :Eurojuris France dispose déjà d’une plateforme, avec des informations destinées à nos trois types de clients et de prospects – les entreprises, les particuliers et les collectivités –, sur laquelle nous publions un fil d’actualité – judiciaire, jurisprudentielle et législative –, enrichi périodiquement d’articles rédigés par nos membres. Cette plateforme renvoie également sur les sites de nos adhérents. Ce que chacun publie, profite à tous par le biais de cette plateforme interactive.
A.-P. : Quelle est la spécificité d’Eurojuris France par rapport à d’autres réseaux d’avocats ?
S. C. : Tout d’abord, Eurojuris France est le plus vaste Réseau mondial d’avocats. Son ADN européen influe profondément nos travaux (colloques transfrontaliers, séminaires proposant un éclairage international, commissions de travail internationales, Groupe management international, International Business Group, etc.).
Ensuite, Eurojuris France est le seul réseau interprofessionnel, il incarne la grande profession du droit d’aujourd’hui et de demain.
De plus, nos avocats sont plus spécialisés que la moyenne française, nous avons toujours eu une exigence de formation continue (nous sommes d’ailleurs organisme de formation depuis 29 ans) et d’expertise.
Notre réseau regroupe de véritables entrepreneurs du droit. Les professionnels qui nous rejoignent doivent absolument montrer une appétence pour le management de leur structure. Nous nous chargeons de leur fournir par la suite les outils de l’excellence, notamment via le Club des managers.
Enfin, il est des choses plus subjectives que nos membres trouvent au sein du Groupe : une très grande convivialité (nos structures ont évolué ensemble depuis presque 30 ans), de la prospective, un échange de bonnes pratiques ; en un mot, comme disait l’un de nos fondateurs belges Étienne Duvieusart, Eurojuris France a toujours « une ardeur d’avance ».
A.-P. : Eurojuris France n’a pas l’ambition d’être perçu comme un syndicat ?
S. C. : Non, nous ne sommes pas un syndicat. Nos orientations sont différentes. L’association regroupe des structures tellement différentes que nous ne souhaitons pas entrer dans les débats politiques, même si nous en discutons entre nous. Certains de nos membres sont aussi membres de syndicats et d’associations, comme l’ACE par exemple.
A.-P. : Menez-vous une action particulière pour aider les jeunes générations qui accèdent aux professions du droit ?
S. C. : Oui, Eurojuris international a créé Jurismus en 2001, en référence, bien entendu, au programme Erasmus. Jurismus réunit les moins de 40 ans du Réseau, tous pays confondus, et a vocation à fournir une culture européenne aux avocats du groupe.
Dès la création de ce groupe, un programme de stages entre cabinets de pays voisins a été mis en place. Jurismus organise ses propres événements : Congrès, webinars « Pimp my firm » (conseils en management et marketing). C’est une communauté très active et qui a créé de beaux liens entre nos jeunes, dont la première génération est désormais aux commandes d’Eurojuris international.
La déclinaison française existe également depuis 2001 : Jurismus France tient ses Journées Rencontres chaque année, et consacre ses travaux au développement professionnel et personnel des jeunes avocats : gestion de la relation client, veille marché, etc.
Parallèlement, nous avions identifié il y a quelques années des lacunes en management chez les nouveaux associés et nous proposons depuis une formation « Jeune associé » de deux jours conçue avec Caroline Nevaux, fondatrice de Jurimanagement.
A.-P. : Votre volonté de créer un service complet pour les clients ira-t-elle jusqu’à accueillir dans le réseau Eurojuris les professionnels du chiffre pour constituer une manière de guichet unique, notamment pour les entreprises ?
S. C. : Nous avons noué en 2003 un partenariat avec un Réseau d’experts-comptables. Si l’intention était là, la déclinaison en régions s’est avérée complexe.
Cet éventuel rapprochement fait néanmoins partie de nos projets, car dans la pratique quotidienne, nos cabinets d’avocats travaillent déjà en partenariat avec les experts-comptables. Nous réfléchissons actuellement à un nouveau partenariat national.
A.-P. : Les juristes d’entreprise sont également des professionnels du droit. Avez-vous, là encore, envisagé la mise en place d’un partenariat ?
S. C. : Pourquoi ne pas effectivement envisager un partenariat ? En revanche, au sein du réseau Eurojuris France, nous regroupons exclusivement des professionnels libéraux. Il est difficile d’envisager d’intégrer des praticiens du droit qui ont un lien de subordination avec leur hiérarchie. Mais notre programme de formation continue, validé par le CNB, est ouvert à tous.