L’audition de la Cour des comptes par la commission des finances du Sénat portait sur le « rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques et sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022 ». Un intitulé technique, mais dont l’exposé aura été rendu clair et fluide par ses rapporteurs, et éclairant sur la santé des comptes de l’Etat. C’est Pierre Moscovici, premier président de la Cour, qui était chargé de présenter les travaux de l’entité devant ClaudeRaynal, président de la commission des finances, et les sénateurs.
L’ancien ministre de l’Économie de François Hollande a ainsi fait le point sur les finances publiques de l’Etat, revenant à la fois sur la santé des comptes, et donnant également prévisions et conseils de l’institution pour le mandat à venir. « Nous avons conduit un audit approfondi des finances publiques », a-t-il attaqué. « Cette année, cet audit a été effectué non pas en vertu d’une saisine du Gouvernement, comme en 2012 et en 2017, mais la Cour des comptes l’a fait sur sa propre initiative. Je souhaite que ce rapport soit maintenu, quel que soit le président. Le citoyen doit toujours être informé », a également posé d’entrée l’ex-homme politique.

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Un rapport en quatre temps
« Je ne vous apprends rien en vous disant que ces travaux sont en retard », a-t-il continué en s’adressant aux sénateurs. « Mais aussi qu’ils ont sans doute une importance encore plus grande qu’à l’ordinaire. Non seulement car nous sommes à l’ouverture d’une nouvelle mandature, mais surtout parce quela situation internationale etéconomiquese durcit et que les incertitudes qui pèsent sur avenir sont extraordinairement fortes. » Le premier président a insisté sur le poids du contexte économique actuel. Un facteur mondial, qui a impacté la première mandature d’Emmanuel Macron avec le ralentissement économique dû à la pandémie, en plus de crises nationales. « Dans un tel contexte, nos rapports et avis portent un message important. Pour les résumer, je dirai qu’ils montrent l’état très dégradé de nos finances publiques, et la nécessité impérative de se mobiliser en faveur d’une stratégie équilibrée, entre soutien à la croissance et maîtrise des dépenses. ».
Le rapport a été présenté et construit en deux grandes parties. La première concerne l’auditdes finances publiques, avec l’analyse de deux périodes annuelles. La seconde partie est tournée vers l’avenir, avec les prévisions et les conseils de la Cour des comptes pour le mandat à venir. Pierre Moscovici a donc commencé par la partie dite « d’audit » des finances publiques. Elle recouvre la période 2017-2021, puis l’année 2022. Il s’agissait d’analyser l’état des finances publiques, comme de se pencher, pour l’année en cours, sur les aléas et les risques susceptibles d’influer sur les prévisions de la loi de finance initiale (LFI), et la loi de finance rectificative.
Les crises au cœur de l’audit
Ce travail a révélé sans surprise que les cinq dernières années ont été marquées par une rupture nette, avant et après la crise sanitaire. A la suite de deux premières années de quinquennat d’Emmanuel Macron, où la croissance économique était positive, la crise des gilets jaunes a marqué « un coup d’arrêt brutal ». En 2017, le déficit public représentait 3 % du PIB de la France. Puis la crise sociale est passée par là, complétée par une crise sanitaire désastreuse pour les finances publiques. « Le déficit structurel s’est dégradé de 0.4 points. Il y a eu des dépenses d’un montant 25 milliards d’euros, qu’on paie encore, à cause de cette crise abordée moins favorablement que dans d’autres pays. La médaille a un revers, nos niveaux de dettes et de déficit sont trop élevés, ils font peser un risque pour l’avenir. », a expliqué Pierre Moscovici
En 2021, le déficit se montait ainsi à 6,4 pointsdu PIB, un montant doublé par rapport à 2017. Dans le même tempo, les dépenses de l’Etat ont augmenté de 37 milliards d’euros. Le premier président de la Cour des comptes a alors « recommandé le plus grand respect des principes de notre droit budgétaire. Notamment sur l’annualité des autorisations de dépense et de crédits. Tout cela affaiblit la portée de l’autorisation parlementaire, et amène le vote de montants de dépenses différents des prévisions du Gouvernement ». Concernant les finances publiques, il a également ajouté que la Cour a constaté que la dette publique totale a bondi de 15 points, soit 440 milliards d’euros. Les dépenses publiques atteignent elles, en sortie de crise, 58,4 % du PIB. Un niveau de dépenses décrit comme « le plus élevé des neuf pays forts de la zone Euro ».
Incitation à la prudence
Après la phase d’audit, Pierre Moscovici a exposé ses préconisations en matière de stratégie pour un désendettement crédible. « Nous estimons que toutes les hypothèses, de croissance, sur l’élasticité des recettes au PIB, concernant l’inflation, ne sont pas inatteignables. Notre sentiment, c’est que toutes ces hypothèses ne sont pas scandaleuses, mais qu’elles sont toutes extraordinairement favorables, et que ces prévisions sont optimistes à tous les étages », a-t-il tempéré.
Des préconisations fermes
L’ancien ministre a abordé la seconde partie de la présentation du rapport en évoquant des questions importantes pour que les finances publiques de l’Etat soient saines. La thématique des « encres financières » et de leur respect a été abordée par le premier président. « Un déficit réduit, c’est la dette qui s’inverse. La France doit transmettre très rapidement un programme de stabilité à la Commission européenne, pour fixer une trajectoire de retour à un niveau de déficit soutenable, et d’infléchissement de la dette ».
Nous voulons faire passer un message d’action après l’alerte. Il faut agir, et vite. Accroître la dette à l’excès fait peser la charge sur les générations futures. La loi de programmation prévue à l’automne doit fixer une trajectoire. Il est impératif d’établir une loi plus crédible que les précédentes, en s’appuyant sur des hypothèses économiques réalistes. Les mesures en dépenses doivent être détaillées et mises en œuvre tout au long de la période à venir ».
Une stratégie de redressement sur deux piliers
La Cour, par la voix de son représentant, termine son rapport en exposant une stratégie de redressement claire, qui s’appuie sur deux piliers. Tout d’abord, renforcer le potentiel de croissance économique durable par des investissements, notamment dans la transition écologique et la politique industrielle, avec des actions cohérentes et ciblées, investissant dans les compétences et l’innovation.
Second pilier, contribuer à la soutenabilité des dépenses publiques, par la maîtrise des dépenses et recettes grâce à des réformes de structures fortes. Ici, la Cour recommande d’agir sur des leviers transversaux, d’abord en se concentrant sur la préservation des recettes publiques, avec le renforcement du pilotage, de l’évaluation, ou encore la rationalisation des dépenses fiscales et des «niches sociales». Pierre Moscovici a indiqué pour ce volet social qu’il fallait supprimer les niches dont efficacité n’est pas prouvée. Aux yeux de la Cour des comptes, la réforme des retraites est toujours une nécessité, pour une question d’équilibre et d’équité entre les générations. En matière de santé, des investissements sont à faire dans les hôpitaux, tout en passant en revue les dépenses évitables et en réorganisant les soins. Pour l’emploi, le rapport préconise de garantir la soutenabilité du régime d’assurance chômage et d’améliorer l’accompagnement vers l’emploi.
De plus, deux propositions sur le régalien ont été avancées : sur le scolaire, la rénovation du métier d’enseignant, ou la révision du parcours de l’élève, et dans le secteur de la police, des moyens supplémentaires en termes de présence sur le terrain ou de résultats en matière de lutte contre délinquance.
Pierre Moscovici a enfin achevé son intervention en délivrant deux messages à la commission : si la France a dû faire face à une succession de crises extraordinaires, il est impératif que les prochaines lois sur les finances publiques donnent un cap clair pour assurer leur soutenabilité. Pour assurer la crédibilité du pays, le premier président de la Cour des comptes a indiqué que la prochaine stratégie à mener aura des choix difficiles à faire, difficiles mais justes pour que les générations futures n’aient pas de dette environnementale.