Les Assises juridiques de l'Alimentation et des Filières Agroalimentaires ont eu lieu le 8 décembre dernier à l’Hôtel Peninsula, à Paris. Une journée d’information et de formation sur l’actualité juridique du secteur de l’alimentation, qui n’est pas épargné par les bouleversements : inflation, hausse des prix à la consommation, baisse du pouvoir d’achat mais aussi relations fournisseurs / donneurs d’ordre tendues et menaces de rupture d’approvisionnement.
Une partie de l’événement était consacré aux enjeux des crises alimentaires actuelles et à la façon de les anticiper et d’y faire face. Pour cela, sont intervenus Anne Bucher, représentante du think tank européen spécialisé en économie, Bruegel et ex-directrice générale de la Commission européenne, ainsi que Katia Merten-Lentz, avocate associée chez Food Law Science & Partners, et Mario-Pierre Stasi, avocat au barreau de Paris.
Un cadre législatif européen efficace mais complexe à gérer
En qualité de grand témoin, Anne Bucher a tout d’abord analysé les politiques économiques européennes en matière d’alimentation, ainsi que leur impact.
Selon l’experte, au niveau européen, le cadre législatif mis en place pour la sécurité alimentaire fonctionne relativement bien, notamment parce qu'il a rempli trois principaux objectifs. Le premier est la capacité de réponse aux enjeux de sécurité alimentaire. Le règlement 178/2002 dit règlement « Basic Food Law » a notamment permis de prévenir et de gérer les crises en la matière. L'objectif de cette législation est aussi d'assurer la protection et la confiance du consommateur et, à ce titre, les standards européens en matière de sécurité alimentaire sont, en comparaison avec ceux internationaux, très élevés.
Le troisième objectif également atteint, la création d’un marché unique des produits alimentaires. Comme l’a précisé Anne Bucher, le secteur de l'alimentaire est celui où le marché unique est le plus abouti, grâce à une harmonisation des normes et des règles, et à une harmonisation de la surveillance du marché, avec des systèmes de traçabilité et des contrôles officiels harmonisés. La Commission européenne s'est d’ailleurs dotée d'une capacité d'audit qui permet de vérifier comment les États membres mettent en œuvre ces contrôles.
Cet acquis communautaire a rempli ses objectifs mais reste très lourd à gérer. La France va atteindre les limites des dossiers à harmoniser au niveau communautaire dans le domaine alimentaire et reste confrontée au fait que les États membres sont réticents à coopérer dans les domaines de santé publique, la seule exception étant la législation sur le tabac. Des tensions persistent également entre l'objectif de sécurité alimentaire et l'objectif de souveraineté alimentaire. « Il s’agit d’un dossier extrêmement difficile », a concédé Anne Bucher. Un constat d’autant plus inquiétant pour l’ex-directrice générale de la Commission européenne deuxième que la seconde urgence, soutenue par les citoyens européens, est celle du changement climatique et de la protection de l'environnement. A ce titre, la Commission européenne, dans le cadre du Greendeal, s'est engagée à introduire la notion de durabilité des systèmes alimentaires dans la législation du règlement 178/2002. « Mais si on ajoute des critères environnementaux dans notre législation et que cela affecte le commerce international, on se retrouve en litige avec Bruxelles », a-t-elle relevé. Le législateur européen doit être créatif pour allier des ambitions écologiques avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), comme il l’a fait en adoptant récemment la législation interdisant les produits issus de la déforestation (café, cacao, bœuf, soja etc.).
Connaître et appliquer le droit alimentaire européen
Comme l’a ensuite rappelé Katya Merten-Lentz, avocate en droit de la concurrence, le règlement européen 178/2002 a posé les bases du droit alimentaire qui est, depuis, considéré comme une branche autonome du droit. En effet, depuis les années 1990, et notamment le scandale de la vache folle en 2000, les instances européennes et françaises ont commencé à prendre conscience de la nécessité de protéger le consommateur et ont donc adopté ledit règlement. Celui-ci contient quatre grands principes : responsabilité, traçabilité, précaution et transparence.
Les instances européennes ont également compris qu’elles devaient garantir aux consommateurs une protection extrêmement élevée et des mécanismes de crise qui leur permettraient d’être protégés au moment où la crise apparait. « Il y a des crises, et si on en entend parler, c'est justement parce qu'elles sont prises en compte, identifiées et plus ou moins bien gérées. Et si on est là pour en parler aujourd'hui, c'est qu'il y a des mécanismes, il y a une information, tout ça circule, tout ça existe », a rassuré l’avocate.
Ce règlement reconnaît donc le droit alimentaire comme droit autonome, ce qui implique qu’il ait son propre régime de responsabilité. Il institue également l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et prévoit les procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ainsi que la responsabilité des différents acteurs de la « fourche à la fourchette », selon l’expression européenne. En effet, les exploitants alimentaires ont l’obligation de vérifier, à toutes les étapes de la production (transformation, transport, distribution), que les denrées alimentaires répondent à toutes les normes de santé et de sécurité. A défaut de pouvoir assurer un « risque zéro » qui n’existe pas, les exploitants doivent faire en sorte de bien la gérer la crise, s’ils n’ont pas réussi à l’éviter. Il s’agit là d’un système de responsabilité objectif sans faute qui vise une obligation de résultat. Pour limiter les dégâts, l’avocate conseille d’avoir en permanence un système d’autocontrôle des systèmes de gestion. Elle admet toutefois qu’il est difficile de tout anticiper, de tout contrôler, et a rappelé que la nature de l'activité ou encore la fraude peuvent être des limites à l'autocontrôle.
Ensuite, quand une crise survient, l'entreprise doit mettre en place toute une série d'actions, selon le degré de gravité, la plus extrême étant le retrait du marché. Dans ce cas précis, « vous êtes censé informer sans délai tout le monde sans pour autant pulvériser immédiatement votre image », a rappelé l’avocate.
Appréhender les nouveaux risques alimentaires
La sécurité alimentaire est régie tant par le droit de la consommation que par le droit pénal général. L’objectif étant, d’une part, d’avoir des normes qui assurent la protection de la santé, via des contrôles et des sanctions liés à la non dangerosité des denrées alimentaires, et, d'autre part, une réglementation sur la sécurité alimentaire, surtout en ce qui concerne sa traçabilité. Objectif, garantir la loyauté des relations commerciales et des différents rapports économiques. Pour l’avocat Mario-Pierre Stasi, appréhender les spécificités de la sécurité alimentaire sous l'angle pénal nécessite de répondre à plusieurs questions. La première est celle des agents compétents en matière de sécurité alimentaire. Ce sont principalement ceux de la DGCCRF, les autres agents habilités par le code de la consommation et parfois les services des douanes ou encore des agents et officiers de police judiciaire. La plupart des affaires de sécurité alimentaire et de médicaments sont concentrées territorialement selon une compétence relevant des deux pôles Santé publique en France, à Paris et à Marseille. A côté des acteurs pénaux, les autorités administratives ont aussi des pouvoirs : les préfets peuvent prendre des décisions telles qu’ordonner la suspension de la production d’un établissement, de l'importation, de l'exportation, la suspension de la mise sur le marché de marchandises, des mesures de retrait et de rappel etc.
Les agents habilités par le code de la consommation à constater les infractions ont un pouvoir très étendu : droit de visite de jour et de nuit dans les locaux de production commercialisation, pénétration de locaux pour contrôle, constatations des infractions sans que l’accord de la personne physique soit nécessaire etc. Depuis 2016, ces prérogatives, déjà très élargies en matière de saisie et consignation, ont été davantage étendues.
S’agissant des sanctions, il s’agit la plupart du temps d’amendes correctionnelles pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires pour la tromperie mais il est fréquent qu’une personne morale soit assujettie au versement d’une caution, dans un délai prescrit, de 1, 2, 3 ou 4 millions, voire 10 millions d'euros, alors qu'il est présumé innocent et que l'instruction est toujours en cours.
Peuvent également être prononcées l’affichage et la diffusion de la décision de condamnation, la fermeture de l'établissement et l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer ainsi qu’une peine d’emprisonnement.
Concernant enfin les acteurs poursuivis, les magistrats instructeurs recherchent en premier lieu la responsabilité de la personne morale mais cet agissement « passe nécessairement par une imputation à une personne physique », comme son responsable.