Affiches Parisiennes : Vous êtes député au Parlement européen. Pouvez-vous nous présenter votre action actuelle ?
Sandro Gozi : Je suis député européen élu sur la liste Renaissance. Auparavant, j'ai été pendant 12 ans parlementaire en Italie, puis ministre des Affaires européennes entre 2014 et 2018.
Aujourd'hui, au Parlement européen, je suis membre des commissions « IMCO » qui concerne le marché intérieur et la protection des consommateurs, « AFCO » sur les affaires constitutionnelles, et « REGI », sur le développement régional. En parallèle, je viens d'être nommé membre de la Commission spéciale pour la lutte contre la désinformation et les interférences des puissances étrangères dans le processus démocratique des pays européens.
A.-P. : Vous êtes donc membre de la commission IMCO. Quelle est votre activité au sein de cette commission ?
S. G. : Au sein de la commission IMCO, je suis en première ligne sur la régulation des services numériques, notamment sur le rapport d'initiative du Parlement européen concernant le marché unique numérique.
Nous sommes dans l'attente de propositions législatives de la Commission sur le marché et les services numériques, dont le fameux « Digital Services Act ». Celles-ci devraient arriver le 2 décembre et viseront la réglementation des plateformes.
Autre sujet, mais tout aussi important, je travaille sur la mise en place d'un marché unique durable pour les entreprises et les consommateurs. Nous souhaitons lier notre politique au service de la transition écologique et numérique. Protection des consommateurs, lutte contre l'obsolescence programmée, critères des marchés publics… de grands chantiers sont en cours !
Enfin, j'ai été l'un des négociateurs du nouveau programme pour le marché unique ; un programme qui vise à financer et soutenir les petites et moyennes entreprises afin qu'elles puissent pleinement profiter des opportunités du marché unique.
A.-P. : En France, on a vécu un attentat terroriste tragique contre un professeur. Que pouvez-vous dire sur ce point ? Est-ce qu'on doit réguler davantage les réseaux sociaux ? Parce qu'on a bien compris que c'est un peu grâce à ces réseaux que le terroriste a pu atteindre le professeur Samuel Paty.
S. G. : Si nous avons connu un Internet vertueux et pleins d'opportunités, nous voyons aujourd'hui plusieurs angles-morts, notamment sur la prolifération des contenus illicites. Mais ce problème ne se résout pas au niveau national, Internet ne connait pas de frontières !
Au niveau européen, des négociations sont en cours afin d'établir un nouveau règlement pour lutter contre les contenus terroristes. Mais nous devons absolument les accélérer afin de présenter une solution rapidement, d'une seule et même voix, et interdire, sanctionner et éliminer des plateformes les contenus terroristes.
La tragédie de Conflans-Sainte-Honorine a ouvert les yeux de nos partenaires européens. Il y avait des sensibilités différentes. Mais désormais, il n'est plus possible d'ignorer ce danger. La position que la France a défendue est aujourd'hui prise en compte.
Il est essentiel d'accroitre la responsabilité des plateformes et de renforcer notre arsenal juridique. Cela est une urgence absolue. Nous ne devons plus hésiter.
A.-P. : Y-a-t-il un consensus européen sur cette question ? Les discussions s'annoncent-elles longues pour contrer le terrorisme en ligne ?
S. G. : Nous avons perdu du temps durant la précédente législature, qui a donné la priorité absolue à la liberté d'expression. Mais celle-ci n'excuse pas tout. Nous devons mettre fin à l'impunité faite à ceux qui véhiculent et appellent à la haine d'autrui.
Certes, il y a différentes sensibilités. Mais face à la prolifération des actes illicites, on devrait voir émerger une majorité de décideurs européens en faveur d'une nouvelle réglementation efficace et rapide contre les contenus terroristes et même au-delà, notamment sur la questions des contenus illégaux, et préjudiciables.
Il faut avancer. La dernière directive européenne relative au commerce en ligne a plus de 20 ans. Et vingt ans dans le numérique, c'est plus d'un siècle de retard. Il faut prendre acte des difficultés rencontrées par les initiatives nationales, notamment en France avec la loi Avia, ou en Allemagne avec la NetzDG.
Il est essentiel de viser les contenus terroristes, mais aussi tout l'éco-système : modération, traitement des signalements, coopération ! Par exemple, appeler à une modération humaine et technologique, et transparente. S'en remettre exclusivement à la technologie et aux algorithmes constitue un réel risque de fracture, l'intelligence artificielle ne peut pas tout faire. Aussi, nous devons savoir quels contenus ont été retirés, pour quels motifs, et en combien de temps, et connaitre les suites du retrait. L'expérience utilisateur est aussi à améliorer en simplifiant le processus de signalement comme par exemple avec l'instauration d'un bouton unique de signalement, ou l'envoi d'un accusé de reception dès signalement. Cela incitera les internautes, témoins ou victimes de contenus illégaux, à lutter également contre la prolifération de ces derniers.
Toutes ces décisions sont possibles et nécessaires. J'en ai discuté récemment avec le commissaire Thierry Breton et Margrethe Vestager, la vice-présidente chargée de la coordination des questions numériques et sur l'intelligence artificielle. Et je vois que leur détermination est la même que la nôtre pour avancer sur ces questions, en complément de ce que nous devons faire pour les contenus terroristes.
A.-P. : Comment pourra-t-on atteindre ces objectifs ?
S. G. : Pour atteindre nos objectifs et avoir une règlementation européenne efficace, il faut travailler de façon très étroite avec les parlements nationaux et la société civile. Le dialogue doit être permanent, et chaque partie doit y être conviée. Aussi, je travaille actuellement en collaboration avec plusieurs députés, comme Laetitia Avia en France, ou bien encore des députés du Bundestag en Allemagne. Aussi, je suis allé à la rencontre d'associations, de magistrats et autres think tank, concernés par ce sujet afin de connaitre leurs avis, et recommandations.
Notre stratégie et nos initiatives sont toujours concertées, ce qui nous permet de bien comprendre la réalité nationale, les difficultés, mais aussi de voir au niveau européen comment on peut établir un cadre minimum commun véritablement efficace.
A.-P. : Suite aux attentats en France, Emmanuel Macron a fait des discours très importants. On a eu l'impression qu'il a été très mal compris par certains pays musulmans et par le président Erdogan, en Turquie. Qu'en pense-t-on au Parlement européen ? La France et son président de la République sont-ils soutenus ?
S. G. : Le président français a le soutien du Parlement européen.
Je n'ai pas été étonné des propos du président Erdogan. Pour lui, voir Emmanuel Macron se battre pour assurer l'État de droit et les libertés fondamentales dans notre pays est un problème de « santé mentale ». Pour le président turc, nous sommes fous de vouloir nous battre pour nos libertés fondamentales. Les propos d'Erdogan sont intolérables. Il faut durcir le ton et l'action contre la Turquie qui s'éloigne de plus en plus des valeurs fondamentales européennes, de la Charte des Nations Unies et des différentes conventions des droits de l'Homme.
Les propos du président français ont été instrumentalisés et manipulés par la Turquie et d'autres pays musulmans. Défendre la laïcité, défendre la liberté d'expression, défendre la liberté de religion, c'est aussi défendre l'Islam, mais aussi être intraitable dans la lutte contre l'islamisme politique et contre le terrorisme faussement fondé sur la religion. De ce point de vue, Emmanuel Macron a bien fait. Le boycott annoncé pour certains des produits français n'aura que peu impact. Il est important de comprendre qui veut garantir la liberté dans l'espace public, pour tout le monde et qui veut utiliser la religion comme un autre moyen de combat politique.
Nous devons donc soutenir la position du président français.