AccueilActualitéRésorber les dettes par l'impôt est-il inimaginable ?(3/5)

Résorber les dettes par l'impôt est-il inimaginable ?(3/5)

Premier moyen de gérer sa dette : trouver des fonds pour la rembourser. La solution fiscale n'a pas pour l'heure pas les faveurs des décideurs publics mais la question revenait quelques semaines avant la crise au premier plan des débats de la science économique.
Résorber les dettes par l'impôt est-il inimaginable ?(3/5)
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Comment maîtriser ses dépenses ? Une solution pourrait être de jouer sur les rentrées d'argent et sur l'impôt. Plus j'en collecte, plus je peux m'autoriser à dépenser. D'anciennes théories comme le théorème d'Haavelmo qui remonte à 1960 montraient même qu'il est possible qu'un euro collecté par l'administration fiscale permette un euro de production supplémentaire et vont dans le sens d'une relance financée par des prélèvements obligatoires. La mesure n'est toutefois quasiment pas évoquée car vue peu propice à la relance. « Augmenter les impôts serait la pire des choses », selon le Premier ministre Edouard Philippe.

Notons que les problématiques d'ordre fiscal ne sont toutefois pas absentes des débats. Ainsi, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, annonçait-il récemment qu'aucune entreprise qui se serait envolée vers un paradis fiscal ne bénéficierait des mesures de soutien mises en place par l'Etat. Outre-Manche, le Premier ministre britannique Boris Johnson n'a pas été plus clément, pour l'heure avec Richard Branson, fondateur de Virgin, qui affirme ne pouvoir sauver la compagnie aérienne Virgin Atlantic sans soutien du gouvernement. Richard Branson qui n'a pas payé d'impôt sur le revenu depuis 14 ans « non pour des raisons fiscales mais par amour des Îles vierges britanniques » dont il possède un ilot.

L'évasion fiscale en question

Un ouvrage publié fin 2019 aux Etats-Unis et en février 2020 en France par Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, économistes proches de Thomas Piketty, relançait avant la crise les débats autour de la fiscalité. Le triomphe de l'injustice : richesse, évasion fiscale et démocratie présente une analyse historique de l'impôt aux Etats-Unis et met notamment en exergue le basculement idéologique opéré sous Reagan qui s'est accompagné d'une chute des taux des impôts sur le revenu et les sociétés. D'après leurs calculs, ces recompositions des années 1980 ont rendu in fine l'impôt dégressif pour la frange la plus riche de la population, qui serait taxée aujourd'hui à un taux inférieur au reste de la population. De l'époque Roosevelt étaient pourtant nés des taux très élevés et progressifs, soutenue par l'idée toujours inscrite au fronton du bâtiment du fisc américain à Washington « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée ». Puisque le succès d'une entreprise était aussi permis par des infrastructures financées par l'Etat, l'évasion fiscale était peu pratiquée (d'autant qu'elle était farouchement combattue). Avec Reagan, est a contrario apparue l'idée que « l'Etat n'est pas la solution à notre problème ; l'Etat est le problème » (extrait de son discours d'investiture) : c'est-à-dire que si certains sont tentés d'aller payer ailleurs, ce n'est pas tant leur faute que celle de taux trop élevés. De quoi légitimer des comportements auparavant blâmés. D'innovation en innovation, le secteur de l'optimisation fiscale donnait naissance à une course au « moins-disant » que beaucoup jugent irrémédiables aujourd'hui : pas le choix de baisser ses taux si on ne veut pas voir tout le monde fuir chez le voisin qui les a baissés, dit-on fréquemment aujourd'hui.

Penser une coopération internationale et le civisme fiscal

Saez et Zucman veulent montrer qu'un retour en arrière n'est pas inenvisageable. Ils proposent notamment, pour les entreprises, un système par lequel les Etats les plus puissants pourraient, en coopération, s'autoriser à prélever les bénéfices qui ne le seraient pas dans les paradis fiscaux jusqu'à un taux de 25 %. Il s'agirait par-là de récupérer une sorte de « déficit fiscal mondial » au prorata des richesses crées dans l'économie nationale, ce qu'aucun traité n'interdit. L'entreprise A produit 100 de richesses dont 50 dans mon pays, mais ne paie que 5 % d'impôt dessus dans un paradis fiscal ? Sur ces 50, 2,5 sont taxés, je peux m'autoriser à prélever 10 pour que 12,5 soient effectivement taxés, soit 25 % de 50. « Avec une taxation minimale suffisamment élevée, la logique de la concurrence internationale s'inverserait. Une fois le dumping fiscal neutralisé, les entreprises choisiraient de s'implanter là où la main d'œuvre est productive, où les infrastructures sont de bonne qualité et où les consommateurs ont un pouvoir d'achat suffisamment élevé. Au lieu de rivaliser à qui baissera le plus ses taux, les pays en viendraient ainsi à se faire concurrence en augmentant les dépenses publiques d'infrastructure, en investissant dans l'accès à l'éducation et en finançant la recherche. » D'autres mécanismes, pour les entreprises comme pour les particuliers, sont imaginés dans le livre afin de « financer l'Etat social ».

Les dirigeants n'en sont pas encore là, d'autant que les questions de coopération sont pour le moins complexes en cette période de confinements et de fermeture des nations. Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, pouvait toutefois déclarer lors de la journée Ideethic tenue début novembre : « Je pense que l'on va arriver dans un modèle où le civisme fiscal sera aussi important pour la réputation d'une entreprise que la RSE ou l'égalité homme-femme » tout en soulignant un paradoxe : les entreprises françaises semblent tout autant attachées à leur réputation qu'à une certaine culture du secret.

ENCADRE : Parier sur l'inflation ?

Dans le contexte de cette crise, Jean Tirole évoque aussi la question des souscriptions obligatoires des banques à de nouvelles émissions de bons du Trésor, dans lesquelles il perçoit un « impôt déguisé », les taux d'intérêt ne reflétant pas l'inflation qui s'ensuit. L'inflation permet en effet de minimiser le poids de la dette par rapport à des volumes totaux qui croissent avec les prix. Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, pareilles souscriptions ont été pratiquées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi par la France avec notamment les emprunts Pinay.

Les politiques inflationnistes n'ont toutefois plus le vent en poupe, au contraire, depuis a minima les années 1990, années de la « Grande modération » selon la formule popularisée par Ben Bernanke, ancien patron de la Fed. Les économistes post-keynésiens, à la suite de Milton Friedman, ont mis en avant les coûts liés à l'inflation, des coûts de menu (les entreprises supportent des coûts comptables car doivent réviser leurs prix régulièrement) mais surtout des coûts liés à l'incertitude engendrée : l'inflation perturbe l'activité économique, se diffuse avec des décalages, distord les prix relatifs, et in fine freine les investissements d'agents qui ont du mal à l'anticiper. Jean Tirole, à propos des souscriptions obligatoires, souligne, lui, sa particulièrement délicate mise en œuvre dans la zone euro, augmentant des risques déjà existant (les actifs des bilans des banques détenant des dettes souveraines seraient ainsi par exemple minimisés par l'inflation) et nécessitant des accords qui peinent à émerger. D'autant que le risque de répudiation demeurerait.

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