AccueilDroitRencontre avec Olivier Benoit, bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine

Rencontre avec Olivier Benoit, bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine

Les Hauts-de-Seine, département le plus riche de France avec une forte concentration de sièges sociaux, a engendré un barreau très axé sur le droit des affaires. Le judiciaire a également largement droit de cité, à l'aune des dossiers qui secouent actuellement la profession d'avocat, notamment la défense pénale des mineurs, pomme de discorde entre le barreau des Hauts-de-Seine et le président du tribunal.
Rencontre avec Olivier Benoit, bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine
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Affiches Parisiennes : Pouvez-vous nous présenter le barreau des Hauts-de-Seine ?

Me Olivier Benoit : Notre barreau est le troisième barreau français, après Paris et Lyon, représentant quelque 2 000 avocats. Deux tiers de ceux-ci appartiennent à la grande famille du conseil –en matière fiscale, internationale et juridique– et un tiers à la famille judiciaire, ce qui est unique en France. L’héritage de la fusion des professions se fait particulièrement sentir au sein du Barreau des Hauts-de-Seine. Je suis moi-même issu du barreau de conseil et j’entame la deuxième année de ma mission de bâtonnier.

AP : Vous menez actuellement une grève de la défense pénale des mineurs. Pouvez-vous nous en préciser les termes ?

Me Olivier Benoit : Nous avons dans notre barreau un groupe de 80 avocats spécialisés dans la défense des mineurs, qui ont suivi une formation spécifique et qui acceptent d’être volontaires dans ces procédures. Ils sont rémunérés, ou plutôt indemnisés –l’unité de valeur est à 22,84 euros depuis 2007 !–, à travers l’Aide juridictionnelle. A la suite d’une inspection ayant donné lieu à 83 recommandations, la Chancellerie impose notamment à notre tribunal de ne plus délivrer d’avis de fin de mission (AFM) aux avocats lorsqu’à l’occasion d’une instruction au pénal pour un mineur, le juge n’a pas effectué d’acte. Autrement dit, on mesure l’activité de l’avocat à celle du magistrat, ce qui n’a absolument rien à voir. Le défenseur a un travail indépendant de celui du juge et, en toute logique, celui-ci doit être rémunéré dans le cadre de l’AJ. Qui plus est, cette mesure est discriminatoire puisque de très nombreux confrères français ne connaissent pas cette situation vécue actuellement par notre barreau. La mesure va sans doute s’étendre à d’autres tribunaux. Je sais que le problème se pose déjà à Meaux, à Bordeaux, à Tours… Nous avons saisi la Chancellerie le 2 décembre dernier, j’attends toujours une réponse. Celle-ci se montre un peu attentiste car dans le cadre de toutes les réformes annoncées par Madame Taubira figure la remise à plat rapide de l’Aide juridictionnelle.
Lors de notre dernière assemblée générale, mes confrères, avocats de mineurs, ont décidé de poursuivre le mouvement jusqu’au 14 février, date où nous nous reverrons pour envisager les suites à donner à ce mouvement. En attendant, je ne désigne pas d’avocats commis d’office. A ce jour, il y a ainsi un peu plus de 150 dossiers qui sont bloqués, ce qui affecte l’activité du Tribunal pour enfants puisque la présence de l’avocat est obligatoire dans la procédure.

AP : Quelle avait été votre réaction dans le cadre de la tentative de réforme de l’AJ ?

Me Olivier Benoit : Concernant l’unité de valeur, nous appartenons à la catégorie la moins favorisée. Pour autant, nous avons été parfaitement solidaires des autres barreaux. Que l’on soit en haut ou en bas de l’échelle, les montants d’AJ n’ont pas été revalorisés depuis sept ans ! Ils ne sont donc plus réalistes compte tenu de l’évolution des prix et des charges des cabinets.
A en croire les déclarations de la garde des Sceaux, l’AJ devrait être étendue et augmentée, mais se pose toujours le problème de la ressource destinée à l’alimenter. Il serait totalement anormal et déplacé que ce soient les avocats qui la financent puisque l’aide relève de l’accès au droit, un principe constitutionnel qui concerne l’ensemble de la nation et non pas une profession. Nous attendons donc avec impatience et appréhension les débats qui s’annoncent. Finalement, nous avons là une illustration de la rivalité qui existe actuellement entre Bercy et la place Vendôme…

AP : Cette affaire de l’Aide juridictionnelle semble être l’un des révélateurs de la situation de plus en plus compliquée qu’affrontent les avocats…

Me Olivier Benoit : Le métier d’avocat attire toujours les jeunes générations et qui reste prestigieux pour de nombreux Français. C’est une profession qui évolue actuellement beaucoup, ne serait-ce que dans le mode d’expression. Nous passons de plus en plus à l’écrit, notamment via la dématérialisation. Mis à part le pénal, l’expression orale est progressivement réduite. L’autre réalité de ce métier, c’est une certaine paupérisation, dans ses différentes formes d’exercice. La crise frappe tous les cabinets, les grands comme les petits, les riches comme les pauvres. Il y a également une diminution du contentieux et une baisse de la rémunération de ce contentieux, que ce soit à travers l’AJ ou à travers les honoraires négociés avec les clients choisis. Dans les Hauts-de-Seine, nous mesurons l’ampleur de cette situation à travers le fonds de solidarité de l’Ordre qui est de plus en plus sollicité. Même le règlement des cotisations –qui ont d’ailleurs baissé exceptionnellement l’an dernier– devient problématique pour certains avocats…

AP : Dans un département où les avocats conseils sont nombreux, que répondez-vous aux juristes d’entreprise en quête de confidentialité ?

Me Olivier Benoit : Le besoin de la garantie de confidentialité pour les juristes d’entreprises peut parfaitement se comprendre. Le juriste doit avoir un rôle stratégique dans l’entreprise. Il y a 30 ou 40 ans, il prenait en charge les baux, les assurances et une partie du droit social. Son activité restait extrêmement marginale. La fonction a aujourd’hui pris une toute autre ampleur. Aujourd’hui, le juriste siège au conseil de direction. Il est le confident du dirigeant et des principaux cadres. A ce titre, il ressent un besoin de protection de son secret. Est-ce que cette quête respectable doit pour autant déboucher sur le titre d’avocat et l’inscription au tableau d’un barreau ? C’est une autre question, plutôt technique, qui n’est pas encore tranchée au niveau national et qui hérisse un certain nombre d’avocats. L’avocat en entreprise aurait une dimension plus réduite que l’avocat de plein exercice. En particulier, il ne plaiderait pas. Dans ces conditions, la question se pose de savoir si la protection du statut du juriste d’entreprise passe par l’inscription à un barreau et le port du titre. Le débat est ouvert. Il faut noter qu’en matière de droit de la concurrence, notamment, la jurisprudence communautaire s’est opposée à cette règle de confidentialité. Dans un arrêt explicite, elle précise que le juriste d’entreprise, fût-il avocat, n’est pas protégé par une règle de confidentialité. A mon avis, la solution à ce problème doit être communautaire. D’ailleurs, les avocats ont déjà fait un effort pour essayer de se bâtir une déontologie européenne. Cette réflexion pourrait donc d’inscrire dans cette dimension-là.

AP : Pouvez-vous nous préciser la place de la médiation dans le barreau des Hauts-de-Seine ?

Me Olivier Benoit : C’est un sujet d’actualité au sein de notre barreau. Nous avons au Conseil de l’ordre un ancien bâtonnier, Claude Duvernoy, qui est très actif dans le secteur de la médiation et nous sommes en cours de conclusion de protocole avec notre tribunal et avec le Tribunal de commerce. Devant les juridictions familiales ou civiles en général, la médiation prend son essor. Elle est en progression dans les Hauts-de-Seine. Reste néanmoins un problème d’éducation, des avocats comme de leurs clients. Quand il sera clair pour tout le monde que l’avocat a sa place dans la procédure de médiation, les choses iront plus vite encore.

AP : Concernant la Justice du XXIe siècle qui se dessine, quels sont les deux ou trois points essentiels à vos yeux ?

Me Olivier Benoit : Prolongeons l’idée dans la médiation en disant que, dans l’avenir, les modes alternatifs sont certainement appelés à se développer et les avocats doivent avoir un rôle d’initiative et d’accompagnement dans ce domaine. Par ailleurs, les avocats sont inquiets, à juste titre, des intentions de déjudiciarisation. La tentation de certains de confier le divorce par consentement mutuel aux greffiers semble heureusement être abandonnée… Elle se heurterait fondamentalement à l’opposition des magistrats et des avocats. Ces derniers estiment qu’ils sont armés pour gérer eux-mêmes ce type de contentieux. A travers l’acte d’avocat, le mandat de vente immobilière, un avocat possède les outils lui permettant de régler une situation matrimoniale complexe.
La dématérialisation est également un enjeu, à la fois intéressant et ambigu. Elle facilite la communication et le travail matériel, aussi bien des avocats que des magistrats, mais elle déshumanise totalement la relation et cet aspect peut être une régression. Au barreau des Hauts-de-Seine, nous en mesurons le risque en constatant que les confrères viennent de moins en moins au palais. Le vestiaire est souvent vide. Entre la procédure électronique et la séparation matérielle entre les deux bâtiments du palais, l’activité conviviale des avocats s’est beaucoup réduite.

AP : Cette définition de la Justice du XXIe siècle n’est-elle pas, par ailleurs, handicapée par le manque de moyens ?

Me Olivier Benoit : Bien sûr, il y a actuellement une contrainte budgétaire qui pèse sur tous les ministères. La Justice n’est pas particulièrement bien servie et une part importante de l’enveloppe budgétaire finance le système carcéral et il ne reste que la menue monnaie pour les juridictions. Ces dernières sont ainsi largement sous-équipées en matériel, en magistrats et en greffiers.

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