Affiches Parisiennes : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter le barreau de Fontainebleau ?
Me Patrick Morel : Notre barreau comprend 50 avocats, soit vingt de plus qu’il y a dix ans. Comme beaucoup d’autres, il est majoritairement féminin, du moins chez les jeunes. Sur le plan de l’origine sociale, on observe une démocratisation. Concernant les secteurs d’activité, ce sont à 90 % des généralistes, de droit privé essentiellement.
AP : Trois barreaux en Seine-et-Marne : ne trouvez-vous pas que c’est beaucoup ?
P.M. : Ce n’est pas beaucoup, même si c’est plus qu’ailleurs. Le nombre de barreaux est aussi celui des juridictions. Nous sommes en région parisienne et dans son plus grand département, à démographie croissante. Deux juridictions au lieu de trois, ce ne serait pas choquant sans doute, selon les critères actuels, mais ce serait moins bien. C’est d’ailleurs ce qui risque de se produire, par le maintien du « site judiciaire » de Fontainebleau, mais un site de mort lente avec un entassement sur le site de Melun, lui-même vidé d’un maximum de contenu au profit d’organismes parajudiciaires. Nous n’aurions quasiment plus rien à Fontainebleau, comme on veut l’imposer par exemple à Villefranche-sur-Saône, où le processus est déjà bien avancé.
AP : Comment fonctionne à Fontainebleau le système d’aide aux victimes d’infraction pénale ?
P.M. : Ici, on appelle « la brigade » le collectif des volontaires qui interviennent en permanences pénales, y compris bien sûr pour les victimes. Nous essayons de développer deux spécialités, victimes et mineurs, mais le juge des enfants du secteur de Fontainebleau est à Melun, malgré nos demandes répétées. Actuellement, les avocats sont désignés à tour de rôle, mais je constate que certains d’entre eux sont défaillants (pas disponibles, pas joignables,…). Je vais donc réunir prochainement les avocats volontaires qui sont une vingtaine (40 % de l’effectif, ce n’est pas mal !) et je veillerai à ce qu’ils bénéficient d’une formation continue spécialisée, car c’est indispensable.
AP : L’AJ (Aide Juridictionnelle) représente-t-elle beaucoup pour vos confrères du barreau de Fontainebleau ?
P.M. : Oui, contrairement à ce qu’on pourrait croire en raison de l’image véhiculée par Fontainebleau. Car notre secteur comprend aussi Montereau, Nemours, Bagneaux-sur-Loing, Château-Landon et tout le sud seine-et-marnais rural et ouvrier. L’AJ est indispensable pour les petits cabinets, qui ne vivent parfois que de ce système. Mais c’est aussi une lourde charge pour la profession. Les tarifs, qui étaient déjà ridicules en 2007, n’ont pas changé depuis, devenant dérisoires, alors que les charges ont sensiblement augmenté. Et on nous reproche de coûter collectivement cher au budget de l’État : c’est un comble !
Le système des UV, qui conduit à des aberrations si on met en rapport la rémunération et le temps de travail sur certains dossiers, est commun aux avocats et aux dentistes par exemple. Le tarif de la Sécurité Sociale pour les opérations courantes est dérisoire, conduisant les dentistes à se rattraper sur d’autres actes. Malheureusement, beaucoup d’avocats n’ont aucune possibilité de se rattraper. De fait, de nombreux signes montrent que la profession se paupérise. Un avocat de notre barreau n’a pas pris de mutuelle car il n’en a pas les moyens. A Paris, les liquidations judiciaires d’avocats sont de plus en plus fréquentes. En France, un avocat moyen gagne cinq fois moins qu’un notaire moyen.
AP : On parle beaucoup de développer la médiation dans le domaine judiciaire. Qu’en pensez-vous ?
P.M. : S’il y a une chose qui fonctionne bien en France, c’est la médiation familiale. Juste en face du palais de justice de Fontainebleau, nous avons une association spécialisée dans ce type de médiation, Médiateurs 77, qui obtient d’excellents résultats. Le nombre de juges est hélas très insuffisant. Les avocats finiront par aller les voir juste pour faire homologuer des accords de médiation. En caricaturant un peu, peut-être arriveront nous un jour à une situation où les clercs d’avocats seront virtuellement reçues par les greffiers, lesquels leur délivreront les jugements par smartphone !
AP : Votre profession est confrontée à de nombreux problèmes actuellement. Ainsi, l’article 70 quater de la loi ALUR, récemment adoptée, permet la cession de parts de SCI par des « actes juridiques » d’experts-comptables .Le CNB (Conseil national des barreaux) a exprimé son désaccord. Quel est votre point de vue ?
P.M. : Je constate que certains lobbies savent mieux se faire entendre que d’autres, et c’est le cas de celui des experts-comptables. Le point précis que vous évoquez n’est pas grave en soi puisqu’on peut constituer une SCI sans aucune aide, tout seul, mais il n’en constitue pas moins une atteinte au périmètre du droit car les experts-comptables n’offrent pas les garanties de compétence juridique et d’expérience des avocats, résultant notamment de l’obligation de formation au droit et des règles déontologiques.
AP : Ce que vous soulignez ainsi, c’est un certain manque d’efficacité du lobby des avocats. Cette profession est curieusement organisée, avec un pouvoir à trois têtes : CNB, Barreau de Paris et Conférence des bâtonniers. Cette situation va-t-elle perdurer ?
P.M. : Le CNB finira par s’imposer car il est le représentant légal de la profession. Son seul « rival » est le Barreau de Paris, qui représente plus de 40 % des avocats français. La Conférence des bâtonniers est une association qui constitue, pour le CNB, à la fois un aiguillon en lui fournissant des réflexions sur différents sujets, et un modérateur dans la mesure où l’expérience des bâtonniers est parfois utile pour corriger certains projets.
AP : Quelle est votre position sur le souhait exprimé par les juristes d’entreprise de bénéficier, comme les avocats, de la confidentialité des échanges ?
P.M. : Certains voudraient que la profession d’avocat absorbe celle des juristes d’entreprise, mais je ne vois pas ce que cela apporterait à notre profession, déjà très divisée. Nous avons absorbé les conseils juridiques et les avoués à la Cour, faudra-t-il un jour faire de même avec les huissiers ou les notaires ? J’ai l’impression en fait que les sociétés voudraient avoir à leur disposition des avocats sous-payés et je crains une forme de domestication sournoise des avocats par les sociétés commerciales les plus importantes, qui dénaturerait le caractère libéral de la profession.
AP : Par rapport au débat national lancé par Christiane Taubira sur la justice du XXIe siècle, quelle contribution souhaitez-vous apporter ?
P.M. : Il y a actuellement une consultation en cours. Christiane Taubira a posé des questions aux tribunaux et chaque président de tribunal doit interroger l’ordre d’avocats correspondant, puis faire remonter les informations. A Fontainebleau, il nous est demandé comment assurer une bonne continuité entre juridiction, contentieux et territoire. En particulier, suivant quels critères faudrait-il maintenir des juridictions de proximité. Le seul critère qui n’est pas envisagé, c’est la commodité du justiciable. C’est pourtant le plus important !
Sur la justice du XXIe siècle, je trouve que le Livre blanc du CNB est très bien fait. Il contient de nombreuses propositions : introduction d’un mode de saisine unique des juridictions, collégialité obligatoire en appel, création d’un « acte de procédure d’avocat », codification unique des modes amiables de résolution des différends, signification par le RPVA de tous les actes de procédure devant le TGI, participation des avocats au réseau judiciaire pénal européen, généralisation de l’assurance de protection juridique, etc. J’espère une prise en compte de toute cette réflexion, mais je ne me fais guère d’illusions : in fine, il s’agit surtout de faire des économies…
AP : Quelles sont vos priorités en tant que nouveau bâtonnier et comment voyez-vous l’évolution de la profession d’avocat ?
P.M. : À Fontainebleau, mon objectif est d’abord d’assurer la survie de la profession d’avocat. J’espère obtenir d’ici quelques mois des locaux, en face du palais de justice. Nous y ferons de la médiation, de l’arbitrage et de la procédure participative.
Pour ce qui est de la profession, je constate que les avocats plaident de moins en moins. Pièces et conclusions sont de plus en plus envoyées par courrier électronique et les jugements sont communiqués de la même façon par les greffiers. On plaide encore dans les tribunaux de commerce, les conseils de prud’hommes et les cours d’assises. Comme j’ai fait ce métier pour plaider, j’interviens en tribunal de commerce et en conseil de prud’hommes. J’observe qu’en dix ans, nous sommes passés de 64 à 90 avocats pour 100 000 habitants, et cela pose problème. Je pense qu’il y a actuellement, en France, 20 % d’avocats en trop.
Quant aux juges, c’est l’inverse : ils sont de moins en moins nombreux et on ne les voit plus guère sur le terrain de la justice ordinaire. Un justiciable peut ainsi quasiment passer du commissariat à la prison sans voir un juge (sauf le juge d’application des peines), même s’il doit encore passer par un « site judiciaire ».