Le marché des adjudications paraît actuellement au creux de la vague…
Jean-Claude Fréaud : C’est vrai, il n’y a pas eu une grande activité en novembre. Sans doute les vacances y sont-elles pour beaucoup… En revanche, il semble que les affaires reprennent plus vigoureusement ce mois-ci et en janvier prochain. Globalement, 2012 n’aura pas été une grande année pour les adjudications. La baisse du nombre des ventes sera sans doute proche de 20 %. En revanche, sur Paris, les prix sont restés de très bon niveau.
Cette activité limitée semble un peu paradoxale. Avec la crise, au contraire, les ventes forcées devraient être plus nombreuses…
J.C. F : C’est vrai. Aujourd’hui, on vit toujours sur le mythe des années 90 où nous avons enregistré un nombre très important de liquidations, notamment avec les pertes abyssales des marchands de biens qui avaient acheté imprudemment et qui ont explosé en même temps que la bulle immobilière. Nous sommes actuellement dans une période où les banques poursuivent assez peu. Elles doivent avoir reçu des instructions de modération. Elles transigent beaucoup plus et tentent de négocier. Evidemment, je ne parle que de Paris.
Les adjudications parisiennes sont si différentes ?
J.C. F : Ce sont surtout celles que je connais le mieux. Les prix y ont toujours été extrêmement soutenus. Les biens s’adjugent à un prix proche de celui du marché. Bien souvent, le saisi fait une belle affaire. Ce qui est vrai dans la capitale ne l’est pas forcément en province. A Paris, les biens ne sont pas légion. En revanche, si vous devez vendre par adjudication un pavillon en grande banlieue, c’est plus compliqué, car l’offre locale est parfois pléthorique. Il faut aussi dire qu’à Paris, nous avons bien organisé les choses. Depuis une dizaine d’années, notamment sous l’impulsion de l’ancien bâtonnier Guy Danet, nous avons optimisé l’information. A travers une plus large diffusion, nous faisons en sorte que tout le monde assiste aux ventes. Ainsi, les prix sont plus justes. La nouvelle génération de sites Internet qui a vu le jour dernièrement est également très efficace. Ceux qui, comme moi, ont fait des petits sites personnels s’en portent bien. (www.freaud-adj.com).
Une plus large information a donc fait évoluer le secteur ?
J.C. F : Quand j’ai commencé, il y a plus de 30 ans, c’étaient principalement les marchands de biens qui enchérissaient. Les ventes étaient relativement confidentielles. On n’était quand même plus au XIXe siècle, lors de la création de la chambre dite « des saisies », instituée par la loi Mac Mahon de 1873. On vendait alors dans n’importe quelle chambre, à n’importe quelle heure. A l’époque, si vous vendiez le 24 décembre à 16h, il n’y avait pas grand monde pour voir s’éteindre les bougies. Le développement de la publicité a réellement permis aux particuliers de s’intéresser à ces transactions forcées. A présent, ce sont principalement eux qui achètent. Au Tribunal de Paris, greffiers, huissiers, magistrats et avocats ont la volonté commune de tout mettre en œuvre pour que les choses se passent bien.
Les prix des adjudications se sont ainsi rapprochés du marché ?
J.C. F : Alors que le marchand de biens achetait pour revendre avec un bénéfice, le particulier paye un vrai prix. Il y a 20 ans, l’idée de l’enchérisseur type était d’acheter le bien à la moitié de sa valeur. Aujourd’hui, c’est tout à fait différent. Les biens partent au prix du marché.
Dans ce secteur où les adjudications sont proches du prix du marché, que devient la surenchère ?
J.C. F : Très curieusement, cette année, nous avons enregistré beaucoup de surenchères, parfois même sur des biens qui me paraissaient bien vendus. L’offre sur Paris étant rare, les particuliers s’accrochent à certains appartements, notamment des surfaces importantes dans de beaux quartiers. Pour nous, avocats, la surenchère reste pourtant dangereuse. Nombre d’entre elles sont annulées pour cause de procédure déficiente. Il faut un vrai savoir-faire. C’est une responsabilité énorme.
Comment se spécialise-t-on dans ce secteur ?
J.C. F : Au début, c’est un peu le hasard qui vous guide. Après, progressivement, on prend goût à la chose et on découvre toutes les facettes du métier.
Au Barreau de Paris, combien d’avocats sont spécialisés dans ce type de transaction ?
J.C. F : Une trentaine d’assidus et une bonne centaine d’avocats qui passent de temps en temps. C’est une spécialité comme une autre. En revanche, il faut être très vigilant et faire attention à tout. C’est un métier qui exige beaucoup d’organisation et de surveillance, notamment en termes de délais. Ces derniers sont terribles. Vous avez 24 heures de retard et la procédure est plus que compromise... 90 % est d’ailleurs du travail de cabinet.
Ce qui est incroyable pour le profane, c’est qu’à Paris, ce sont encore des ventes à la bougie…
J.C. F : Et bien tant mieux ! Au moins, tout est clair. Il n’y a pas de surprise. A Paris, la tradition perdure et tout le monde est content. Il n’y a jamais d’erreur, c’est une sécurité.
Dans les tribunaux où l’on utilise le compte à rebours sur écrans, les ventes durent un temps fou. Si vous avez 20 ventes, il faut venir avec le sac de couchage, le sandwich et le thermos. Qui plus est, le système parisien est conforme aux textes : c’est visuel, ça décompte, on sait ce qui se passe ! L’huissier annonce les enchères et on sait parfaitement qui les monte.
Comment devrait se comporter le secteur des adjudications immobilières en 2013 ?
J.C. F : Dans le passé comme dans le futur, nous n’avons aucune possibilité de connaître le potentiel de biens immobiliers en vente forcée. Donc, pour 2013, on ne sait pas… on verra. Finalement, les adjudications ne représentent pas un marché exceptionnel. Nous sommes un peu comme des agents immobiliers : nous vendons les biens disponibles au prix du marché… Seul le cadre juridique est différent.
© A.P.