AccueilActualitéInterviewRelance : qu’attendre des dispositifs étatiques pour accompagner les entreprises en difficulté ?
Laurent Jourdan, avocat associé Racine spécialisé en restructuring

Relance : qu’attendre des dispositifs étatiques pour accompagner les entreprises en difficulté ?

Doté d’une grande expertise sur le marché du restructuring, Me Laurent Jourdan décrypte les outils mis en place par L’État pour soutenir les entreprises en difficulté dans un contexte de sortie de crise et de relance économique.
Relance : qu’attendre des dispositifs étatiques pour accompagner les entreprises en difficulté ?
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ActualitéInterview Publié le , Propos recueillis par Boris Stoykov

Affiches Parisiennes : Pouvez-vous nous présenter votre activité ? Comment se porte le cabinet actuellement ?

Laurent Jourdan : Réunissant plus de 250 avocats, dont 67 associés, Racine est un cabinet d’avocats français full service en droit des affaires. Nos avocats conseillent des entreprises françaises et étrangères tant en conseil qu’en contentieux dans tous les domaines du droit des affaires.

Avec une augmentation de 17 % de notre chiffre d’affaires l’année dernière et l’arrivée de deux nouvelles associées intervenant respectivement en structuration de fonds et Private equity, nous pouvons affirmer que l’activité du cabinet se porte bien. Pour ma part, et depuis maintenant plus de 25 ans, j’accompagne des entreprises et des créanciers dans le cadre des procédures amiables et judiciaires, une pratique communément appelée « le restructuring ». Par ailleurs, j'enseigne cette matière depuis plus de 10 ans à Sciences Po Paris en Master 2 droit des affaires, et avant cela, je l'ai également enseigné pendant dix ans à la Sorbonne.

Depuis le premier confinement, nous avons accompagné de nombreuses entreprises dans l'obtention de leur Prêt Garanti par l’État (PGE), et avons notamment traité le dossier Presstalis impliquant toute la filière de la presse française, l'année dernière. De manière générale, nous avons constaté une baisse nette du nombre de procédures collectives devant les tribunaux depuis le premier confinement : en général, nous comptons chaque année près de 50 000 ouvertures de procédures alors que cette année, comme l’année dernière, nous devrions être aux alentours de 25 000 ouvertures. Néanmoins, comme nous intervenons beaucoup en amont, en évitant à l’amiable que l'entreprise ait à déposer son bilan en ayant recours aux procédures de prévention que sont le mandat ad hoc et la conciliation, nous continuons à avoir une activité soutenue. La diminution de l’ouverture de procédures collectives est d'ailleurs en quelque sorte un trompe-l'œil, puisque l'État a tout fait pour qu’on préserve l'emploi et que les entreprises n'aient pas à déposer le bilan. Un certain nombre de dispositifs ont permis de « mettre sous cloche l'économie », avec une injection massive de liquidités, mais la question qui se pose aujourd'hui est de savoir si, du fait de la disparition des aides de l'État, nous n’allons pas être confrontés à une nouvelle crise de liquidités ou de solvabilité.

Sur la nouvelle crise de liquidité qui résulterait de la disparition des aides, l'État intervient de manière relativement subtile puisque les aides ne se sont pas arrêtées du jour au lendemain. Ensuite, des aides sectorielles sont maintenues pour les secteurs encore touchés par la crise sanitaire, comme le tourisme ou l'aérien. Certains dispositifs d'État permettent d'obtenir aujourd'hui jusqu'à 48 mois de délai sur le remboursement des charges fiscales et sociales qui ont été constituées pendant la crise sanitaire. Notons aussi la mise en place du Fonds de transition doté de 3 milliards d’euros qui est essentiellement destiné aux entreprises de taille intermédiaire qui n'ont pas eu le PGE et qui va permettre d'éviter une crise de liquidités.

S’agissant de la crise de solvabilité, donc du « mur de la dette », les aides d’État sont venues renforcer la dette des entreprises qui est d’environ 2 000 milliards d'euros aujourd’hui. La question est donc de savoir si les entreprises seront capables de faire face à ce mur de la dette. Là aussi, il y a des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics qui sont intéressants. Il y a deux moyens d’éviter cette crise de solvabilité : améliorer ses fonds propres et avoir la capacité de restructurer sa dette et donc d'améliorer le ratio dette sur fonds propres. Sur le volet de l'amélioration des fonds propres, l'État a mis un certain nombre de dispositifs en place. Le Fonds de transition, par exemple, doit intervenir soit sous forme de prêts participatifs, soit sous forme de titres subordonnés, ce qui en fait des quasi-fonds propres. C'est aussi le cas pour les dispositifs du prêt participatif et des obligations Relance, qui sont des obligations remboursables, émises sur huit ans, et qui sont considérées comme des quasi-fonds propres pour ne pas dégrader le niveau de fonds propres des entreprises. Avant la crise, 30 % des entreprises étaient considérées comme sous-capitalisées, autrement dit ayant une absence de fonds propres. Ce n'est donc pas un phénomène nouveau. Et là aussi, les dispositifs mis en place devraient être relativement satisfaisants.

Le deuxième aspect, c'est la restructuration de la dette. Là aussi, des dispositifs publics existent et sont efficaces. Certains permettent d'obtenir des abandons de loyer avec des contreparties fiscales pour les bailleurs, de favoriser les abandons de créances intragroupe, d'obtenir des abandons de dettes fiscales et sociales etc. Cela nécessite de parler des outils de prévention et de traitement des entreprises en difficulté car si on veut avoir recours à une restructuration de la dette plus efficace, ces outils sont les plus performants.

"Sur la nouvelle crise de liquidité qui résulterait de la disparition des aides, l'État intervient de manière relativement subtile"

En conciliation par exemple, vous avez la possibilité de défiscaliser les abandons de créances, d'obtenir un remboursement plus rapide des dettes. Si vous voulez étaler le remboursement de votre PGE, au-delà de 5 à 6 ans et l’obtenir sur 10 ans, il faut passer par une procédure judiciaire, soit la conciliation, soit le redressement, soit la sauvegarde. Là aussi, nos outils sont plus efficaces pour obtenir une extension de la durée du PGE. On a créé une procédure nouvelle au mois de juin, qui est une procédure de traitement de sortie de crise. L'idée est d'avoir un redressement judiciaire plus court pour les entreprises qui n'auraient que la « dette Covid » à rembourser. C'est une procédure de redressement judiciaire simplifiée notamment parce que l'Assurance Garantie des Salaires n'intervient pas. Elle n'est pas faite pour des restructurations opérationnelles lourdes mais pour des restructurations financières simples. Elle est adaptée à des dettes plus ciblées mais pas à une restructuration.

Ensuite, nos outils classiques permettent d’étaler les créances sur dix ans au maximum. Or, l’ordonnance récemment publiée a réformé le droit des entreprises en difficulté avec deux objectifs : pérenniser dans notre droit quelques mesures qui avaient été mises en place seulement pour la période Covid et transposer la directive européenne solvabilité.

Le premier objectif de la directive elle-même est d'étendre aux pays européens le mécanisme de prévention des difficultés que nous connaissons à ceux qui n’en n’avaient pas. Cette inspiration française qui a été diffusée au niveau européen va permettre aujourd'hui aux pays qui ne connaissaient pas la prévention de disposer de mesures efficaces en la matière. La réforme française va entrainer des modifications sur un certain nombre de comportements lors des négociations. La réforme sans inverser l'ordre des choses, renforce donc les droits des créanciers, notamment en les impliquant davantage dans la participation à la solution qui va permettre de sauver une entreprise en sauvegarde ou en redressement judiciaire. On s’attache en réalité à donner de la voix aux créanciers qui sont dans la monnaie et à écarter un peu ceux qui n’y sont pas. Ce comportement suit un principe de réalité car seuls ceux qui sont autour de la table et qui sont dans la monnaie peuvent véritablement sauver l'entreprise.

En termes de dette, les entreprises qui clôturent leurs comptes au 31 décembre doivent les arrêter avant le 30 juin de l'année d'après. En juin 2022, les commissaires aux comptes devront se prononcer sur la certification des comptes, ce qui pourra poser des problèmes pour les entreprises qui n'auront pas réussi à restructurer leur dette ni à améliorer leur niveau de fonds propres avant. Ils risquent même de refuser la certification des comptes pour des sujets de pérennité de l'exploitation. Nous verrons à ce moment-là si le nombre de procédures collectives augmente ou non.

A.- P. : Avant d'arriver à la phase critique, les entreprises doivent-elles vous consulter en amont ? Travaillez-vous avec les entreprises qui détectent certaines difficultés et avec leurs experts comptables ?

L. J. : La clé de notre matière, c'est que plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Plus on a suffisamment tôt recours aux procédures de prévention, que sont le mandat ad hoc et la conciliation, plus on a de chances de s'en sortir. Ces procédures ont un taux de réussite de 80 %, il est donc fondamental de les utiliser. Elles ont l'avantage d'être confidentielles, de permettre de négocier avec les créanciers sans que cela ne perturbe l'environnement opérationnel de l'entreprise. Cela implique effectivement d'être capable de détecter les difficultés en amont mais quand vous avez un ratio fonds propres/endettement qui est dégradé, il ne faut pas attendre l'état de cessation des paiements qui vous contraint à aller déposer le bilan pour réagir. Il faut régler ce sujet par le biais de la prévention bien en amont et le rôle des experts-comptables dans la détection de ces difficultés et dans la nécessité de passer à la phase préventive est clé. Ce sont les mieux placés pour aider le chef d'entreprise à détecter le problème dans cette démarche et pour l'inciter à mettre en œuvre cette démarche avec un avocat.

"l’État se donne véritablement les moyens de régler cette crise de solvabilité."

A.- P. : Les Pouvoirs publics surveillent aussi la sortie de crise et récemment, un rapport a été présenté par la mission d'information commune sur les entreprises en difficulté, présidée par Romain Grau. Est-ce un rapport utile selon vous ?

L. J. : Les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs qui vont dans le bon sens et cette réforme, ainsi que les suggestions de la mission Grau, sont également à prendre en considération. Je n'ai pas le sentiment qu'elles répondent à une urgence absolue. L'urgence, pour l'instant, est à peu près traitée. Cela étant dit, il y a des pistes de réflexion intéressantes dans le rapport, notamment sur le changement de nature que pourrait avoir la juridiction commerciale, pour en faire une juridiction encore plus proche des chefs d'entreprise et éliminer l'aspect sanction que peuvent parfois revêtir les procédures collectives. Il reste néanmoins encore du travail avant qu’elles soient opérationnelles.

A.- P. : Que pensez-vous justement du plan de relance ?

L. J. : Ce plan est ambitieux, le tout est de savoir quelle est l'efficacité des outils qui sont mis en place. Par exemple, sur les prêts participatifs, il faut bien reconnaître que la tuyauterie est quand même quelque peu compliquée puisqu’il s'agit de sélectionner des sociétés de gestion qui vont trouver des fonds pour mettre en place ces prêts. Les pouvoirs publics attendent beaucoup de l'efficacité des obligations Relance versus les prêts Relance. On verra bien le résultat, toutefois l’État se donne véritablement les moyens de régler cette crise de solvabilité. Par exemple, le fait de ne plus intervenir en prêt mais en quasi-fonds propres démontre bien que l’État a à l'esprit cette problématique et qu'il met en place les outils propres à la régler. C’est donc plutôt efficace.

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