Introduit brillamment par un quatuor de choc composé de Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, Léonard Bernard de la Gatinais, Premier avocat général à la Cour de cassation, Jean-Marie Burguburu, président du Conseil national des barreaux et Marc Taccoen, président du Conseil national des Compagnies d’experts de justice, ce colloque ouvert par Jean-François Jacob du CNCEJ a réuni plus de 800 personnes.
Il s’est déroulé en quatre parties : une longue introduction comprenant les allocutions de ce quatuor et la justification du choix du thème par Patrick de Fonbressin, avocat au barreau de Paris et maître de conférences à l’université Paris XI, une première partie consacrée au temps de l’avocat dans la procédure judiciaire, une seconde partie sur le temps du magistrat et une dernière sur le temps de l’expert.
Introduisant son propos par une citation de Boris Vian « Le temps perdu c'est le temps pendant lequel on est à la merci des autres », Vincent Lamanda a articulé son argumentation autour du fait que, pour lui, « la maîtrise du déroulement du temps est la finalité première du droit processuel » et qu’il est un temps pour tout : un temps pour concilier, débattre, délibérer et pour juger. La durée moyenne d'une affaire civile au fond est de 12,3 mois. Jean-Marie Burguburu rappelle qu’il s’agit en général des affaires sans l'intervention d'expert, alors imaginez ce délai lorsqu’il y a expertise !
En citant Balzac, « le rapport est toujours un report », il décrit le rôle de l’expert dans le procès et ses conséquences. Lorsque l'expert intervient, c'est « en éclaireur de la conscience du juge qu'il se présente », l'expertise est devenue, à mesure des progrès des sciences, une aide précieuse dans le droit à la preuve. Léonard Bernard de la Gatinais dit, avec poésie, que « l'avis d'un expert va venir conforter la décision du juge, la drapant par essence même d'une légitimité scientifique ». Si le juge n'est jamais lié par le rapport de l'expert, il n’en demeure pas moins contraint d’en tirer les conséquences logiques. Le président du CNB estime que le juge, malgré son autoritas et son imperium, ne peut se passer d'expertise.
Cependant, l’expertise prend un temps fou, et le rapport d’expertise rime avec report. Véritable procès dans le procès, le débat judiciaire ne doit pas souffrir de ce report. Ainsi, la gestion du temps dans l'expertise s'est érigée en enjeu majeur de la procédure judiciaire. C’est parce que l'intervention du technicien concentre sur elle toute la problématique de l'écoulement du temps dans le procès que ce colloque a lieu. Par technicien, on parle d’experts, mais aussi d’avocats et de magistrats, car chacun à son rôle à jouer et suspend le temps du procès à sa façon.
Léonard Bernard de la Gatinais préfère citer Rabelais : « Le temps mûrit toutes choses ; par le temps toutes choses viennent en évidence ; le temps est père de la vérité. » Il rappelle aussi que la procédure vient du latin procedere, c’est-à-dire aller de l'avant. Comme le temps, la procédure est toujours en mouvement, elle s’écoule, elle va de l’avant. Si le temps judiciaire est un temps emprisonné, défini par Cornu comme un temps mesuré, il a l’honneur d’avoir un maître du temps en la personne du magistrat. Pour certains, il a même des maîtres du temps : les avocats, les experts et les juges.
Le président du CNB évoque la création d'un acte de procédure d'avocat à l’image de l'acte d'avocat, qui existe depuis trois ans et fait office d’intermédiaire entre l'acte authentique et l'acte sous seing privé. Un acte de procédure d'avocat serait utile pour désigner, avec l'accord des parties, un expert par exemple. A défaut de pouvoir augmenter le nombre des magistrats, on peut essayer d'alléger leur tâche, en donnant le rôle de désignation des experts aux avocats et parties.
Pour Marc Taccoen, spécialiste de l'expertise pénale, la première notion de temps est l'urgence. Il énumère les nombreuses causes de l’urgence en la matière, en commençant par la préservation des preuves ; le temps de la garde-à-vue qui permet au juge de qualifier l'infraction ; la durée de la détention provisoire attentatoire à la liberté ; l'urgence sociale en cas de blocage de la circulation par exemple ; l'urgence sanitaire en cas de risques de contagion, l’urgence médiatique en cas de débat d’intérêt général.
Patrick de Fonbressin, avocat au barreau de Paris et maître de conférences à l’université Paris XI, explique le choix du thème de ce colloque par la nécessité de s’interroger sur la notion de temps nécessaire à chaque acteur de la procédure. Le temps objectif pour le juge, l'expert et l'avocat n'est autre que celui du délai raisonnable définit par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Qu'en est-il alors du temps subjectif ? Ce temps viendrait-il paralyser le temps objectif ? Peut-on encore considérer qu'il y a un maître du temps ? Pour certain c'est le juge, alors que pour l'avocat c'est l'expert !
Ces maîtres du temps apparents sont-ils véritablement les maîtres, ne sont-ils pas eux-mêmes soumis à la course du temps et à des bouleversements de calendrier ? Pour Maître Jean-Michel Hocquard, « l'avocat court après le temps », il n'a pas de temps à lui, son temps est celui de son client. Ainsi se pose le rapport au dieu grec Chronos, le seigneur du rythme obstiné. Pour Patrick de Fonbressin, nous devrions célébrer le culte de son rival Kairos, le dieu de la mesure, de l'instant souhaité, de l’occasion opportune, l'instant favorable celui de la sérénité, de l'apaisement.
Sans oublier de s’achever sur « le temps d’un verre » après la conclusion de l’expert agréé Didier Preud’homme, cet après-midi a permis à tous les acteurs des procédures judiciaires de décrire et débattre autour de la durée, objective et subjective, de leur travail et de leur place au sein du bon déroulement du procès.