AccueilActualitéInterviewQue penser de l'obligation d'information des salariés en cas de cession ?

Que penser de l'obligation d'information des salariés en cas de cession ?

La loi sur l'économie sociale et solidaire – ou « loi Hamon », en date du 31 juillet 2014, comporte dans ses articles 18 à 20 des dispositions créant l'obligation pour les cédants des petites et moyennes entreprises d'informer préalablement leurs salariés de tout projet de cession, sous peine d'annulation de l'opération. Ce dispositif très controversé, entré en vigueur le 1er novembre, n'en finit pas de susciter la colère du patronat et continue d'animer les débats au Parlement. Angéline Duffour, avocat spécialisée en droit social, associée du cabinet Cohen & Gresser, livre son point de vue sur cette nouvelle obligation.
Angéline Duffour
Angéline Duffour - Angéline Duffour

ActualitéInterview Publié le ,

Affiches parisiennes : Que s’est-il dit au Sénat, le 5 novembre, concernant la loi Hamon ?

Angéline Duffour : À l’occasion de l’examen d’un autre projet de loi relatif à la simplification de la vie de l’entreprise, les sénateurs ont validé un nouvel amendement venant abroger le compte pénibilité et l’obligation d’information préalable des salariés en cas de cession, contenus dans la loi Hamon. On a alors pu lire et entendre que cette obligation d’information a été supprimée. C’est faux : le projet de loi concerné doit maintenant faire l’objet d’une commission mixte paritaire pour que l’Assemblée nationale et le Sénat se mettent d’accord sur une version commune. En cas d’échec, c’est l’Assemblée, que l’on sait être majoritairement à gauche, qui aura le dernier mot. On reste donc pour l’instant dans l’incertitude.

A.-P. : Quelle issue voyez-vous pour ces dispositions ?

A.D. : Je pense que les Pouvoirs publics sont en train de prendre conscience que cette loi, dont l’objectif est certes louable puisqu’il s’agit de permettre aux salariés qui le souhaitent de formuler une offre de reprise de leur entreprise, est, en l’état, sans réel effet pour les salariés, et démesurément sévère pour les chefs d’entreprise du fait de la potentielle nullité de l’opération prévue en cas de non-respect de cette obligation d’information. La loi, malgré le décret d’application du 28 octobre 2014 et le guide pratique du 29 octobre reste encore trop floue, ce qui crée une insécurité juridique.

A.P : En quoi cette loi est-elle floue ?

A.D. : Le guide d’application de la loi Hamon, diffusé par le ministère de l’Économie, précise que le cédant n’est tenu qu’à une information a minima de ses salariés sur le projet de cession et n’a aucune obligation de répondre aux offres de reprise de ses salariés. Il rappelle aussi que le juge du tribunal de commerce est libre de ne pas appliquer la sanction de nullité, même en cas d’irrégularité flagrante. Si les juges du fond ont toujours un pouvoir souverain d’appréciation, le fait que ce soit écrit noir sur blanc est relativement surprenant et marque une volonté du gouvernement d’amoindrir la force contraignante de cette obligation, probablement du fait des difficultés de mise en œuvre qu’elle pose. L’esprit louable de ce dispositif ne peut qu’en être réduit à une peau de chagrin. Selon moi, la loi Hamon est « une loi d’illusion » donnée aux salariés.

A.P : Qu’entendez-vous par « information a minima » ?

A.D. : En raison probablement de nombreuses problématiques de confidentialité inhérentes à une telle obligation d’information, le ministère de l’Économie n’a prévu dans le guide qu’une information minimale des salariés sur la possibilité de faire une offre, sans obligation pour le cédant de délivrer des informations concrètes. Cela paraît dès lors compliqué pour un potentiel repreneur de faire l’économie de
certaines données telles que les contentieux, la stratégie ou les informations financières de l’entreprise. La logique aurait voulu que l’employeur communique la même information à tous les candidats à l’acquisition, repreneurs extérieurs comme salariés. Néanmoins, une telle communication poserait de sérieuses difficultés en termes de confidentialité. Un courrier type reprenant cette information a minima a d’ailleurs déjà été rédigé et inséré dans le guide, afin de rassurer les chefs d’entreprise : la seule information que le cédant doit procurer à ses salariés est qu’une cession de l’entreprise est envisagée (sans préciser le prix de vente), et que les salariés ont la possibilité de faire, s’ils le souhaitent, une offre de reprise, avec l’assistance d’une tierce personne. Mais peut-on vraiment considérer que l’obligation, telle posée par la loi Hamon, est respectée lorsque l’information communiquée est aussi limitée et incomplète ? En Allemagne, cette notion d’information complète existe pour d’autres situations en droit du travail. L’information minimum a été prévue a posteriori par le guide pour réduire le risque de fuite de données confidentielles.

A.P : A ce propos, les salariés sont-ils soumis à une obligation de confidentialité ou de discrétion ?

A.D. : Il s’agit d’une « obligation de discrétion ». Aucune sanction particulière n’est prévue pour les salariés en cas de non-respect de cette obligation. Même si le chef d’entreprise à la faculté d’engager la responsabilité du salarié ou de prendre des sanctions disciplinaires à son encontre, on connaît tous les limites de l’obligation de discrétion : la preuve. Comment prouver qu’une information a été rendue publique via telle ou telle personne ? Le bénéfice du doute s’appliquant toujours, les poursuites judiciaires sont rares.

A.P : Peut-on dire qu’il y a un déséquilibre entre les sanctions prévues dans cette loi pour chacune des parties ?

A.D. : Il est certain qu’une sanction spécifique en cas de non-respect de la confidentialité des informations communiquées paraîtrait légitime par rapport à la sanction à laquelle s’expose l’employeur qui n’a pas informé ses salariés, et aurait le mérite de souligner l’importance de respecter une stricte confidentialité. En pratique, il reste toutefois délicat pour le législateur de prévoir une sanction spécifique à l’encontre d’un employé pour non-respect d’une obligation de discrétion lorsque l’on sait que le droit du travail a vocation à protéger les parties plus faibles, id est les salariés, par rapport à une partie plus forte, l’employeur.

A.P : On parle déjà d’une hypothèse de « rétropédalage » dans les sanctions prévues en cas de non-respect de l’information préalable des salariés. Qu’en savez-vous ?

A.D. : À un certain moment, il aurait été envisagé de retenir le délit d’entrave à l’encontre de l’employeur plutôt que la sanction d’annulation de la cession, mais cela a été abandonné car, en droit, le délit d’entrave ne peut s’appliquer qu’en cas d’entrave au bon fonctionnement des institutions représentatives du personnel, à savoir notamment en cas de manquement à l’information préalable des représentants du personnel (comité d’entreprise ou délégués du personnel), sur le projet de cession et non vis-à-vis des salariés pris individuellement. Ceci étant, c’est le tribunal de commerce qui sera compétent pour apprécier les litiges relatifs à la validité de la vente, et non un juge prud’homal : on peut donc penser que c’est une vision plutôt « business » de l’opération qui sera privilégiée par rapport à une « vision droit du travail ». Rien n’empêchera néanmoins les salariés de saisir le conseil de prud’hommes sur un autre fondement.

A.P : Prenons le cas précis d’une holding sans salarié ? Comment l’obligation d’information s’applique-t-elle dans ces cas-là ?

A.D. : C’est justement l’un des points sur lesquels nous avons attiré l’attention de nos clients. Nombreuses sont effectivement les opérations de fusion-acquisition qui se font via des holdings qui ne comptent pas de salariés, et donc pas de représentants du personnel. Faut-il alors considérer que l’employeur est dispensé de son obligation d’information ou plutôt que cette holding pure doit être considérée comme transparente du point de vue cette obligation obligeant le chef d’entreprise à informer les salariés de ses filiales du projet de cession ? A mon sens, et par analogie avec la pratique existante en matière d’information-consultation du comité d’entreprise selon laquelle l’interposition d’une pure holding sans salarié, ne dispense pas l’employeur de ses obligations vis-à-vis des représentants du personnel de ses filiales, la seconde option, à savoir informer malgré tout les salariés des filiales du projet de cession devrait par prudence et lorsque cela est possible, être privilégiée.

A.P : Et dans le cas d’associés qui cèdent entre eux des parts ?

A.D. : La règle est la même en cas de cession intragroupe, entre associés ou non. L’obligation d’information préalable des salariés s’applique uniquement aux cessions d’un bloc majoritaire, mais non aux cessions des parts ou d’actions de l’entreprise représentant moins de 50 % du capital social.

A.P : Quels autres messages d’alerte avez-vous pu émettre ?

A.D. : Pour les entreprises de moins de 50 salariés, ou celles dont l’effectif est compris en 50 et 249, salariés sans représentants du personnel, la loi dispose que les salariés doivent être informés au moins deux mois avant tout projet de cession. Or, dans certaines opérations d’acquisition, il arrive qu’un délai de deux/trois mois s’écoule entre la signature du contrat d’acquisition (« signing ») et le transfert effectif de propriété, titres, ou fonds de commerce (« closing »). Le risque est alors la confusion entre ces deux délais : le cédant pourrait être tenté d’informer ses salariés deux mois avant la cession effective, alors même qu’il a déjà trouvé acquéreur. De quoi dissuader un peu plus le cédant de considérer les offres de reprises formées par ses salariés. Un autre problème se pose encore : en cas de réorganisation post-acquisition conduisant à des licenciements économiques : il ne serait pas surprenant que les salariés licenciés soient tentés, considérant que l’obligation d’information préalable n’a pas été respectée mais sans pour autant souhaiter l’annulation de l’opération, de solliciter devant le juge prud’homal, des dommages et intérêts supplémentaires en réparation du préjudice subit lié à la perte de chance d’avoir pu reprendre leur entreprise et ainsi conserver leur emploi. En effet, en droit social, nombreux sont les cas dans lesquels un salarié peut obtenir des dommages et intérêts en cas de manquement de son employeur à certaines obligations.

A.P : D’ailleurs, comment les salariés doivent-ils être informés ?

A.D. : Par mail, lettre recommandée, réunion d’information, affichage en entreprises avec émargement sur registre… Ce qui compte, est de rendre certaine la date de réception de l’information. Dans le guide, il est spécifié que si le salarié ne veut pas contresigner ou retirer le courrier recommandé avec avis de réception, l’employeur devra recourir à d’autres méthodes comme une notification par huissier, ce qui pourrait s’avérer complexe et coûteux en cas d’opposition collective des salariés. Il est précisé aussi que tous les salariés doivent être informés, même ceux en CDD. Mais prenons l’exemple des entreprises dans le domaine hôtelier : quid des travailleurs extra, présents pour une journée seulement ? Ce sont autant de difficultés et de zones d’ombre.

A.P : Quels résultats peut-on attendre de cette loi ?

A.D. : S’agissant des petites entreprises (moins de 50 salariés), l’objectif louable de la loi pourrait fonctionner. Il est en effet plus facile d’envisager la reprise par un salarié d’un fonds de commerce avec très peu de salariés. Mais la loi concerne les entreprises jusqu’à 250 salariés : c’est une autre échelle nécessitant des dirigeants ayant des compétences managériales et disposant d’une expérience certaine à de telles fonctions.

A.P : Donc pourquoi ne pas maintenir la loi tout en réduisant l’effectif salarial maximal des entreprises visées ?

A.D. : Limiter l’effectif des entreprises visées à 50 salariés serait une solution plus logique, et peut-être un bon compromis.

A.P : Cette loi a peut-être pour ambition de susciter un élan entrepreneurial chez les salariés français ?

A.D. : Je pense que l’âme d’entrepreneur et surtout la volonté de prendre la direction d’une entreprise pouvant compter jusqu’à 250 salariés reste quand même exceptionnelle chez les salariés, dans les faits. Il faut des compétences très spécifiques et beaucoup d’expérience, ce qui ne s’improvise pas. Et le délai de deux mois paraît un peu rapide pour monter un projet viable de reprise, que l’on soit salarié ou non d’ailleurs. La réalité d’un salarié repreneur est une situation trop à la marge comparée à toute la complexité qu’impose cette loi.

A.P : Finalement, la loi Hamon va-t-elle freiner les opérations de rachat de PME ?

A.D. : Je ne pense pas, mais elle va les complexifier. En outre, nous avons un devoir de pédagogie vis-à-vis des investisseurs étrangers : ils ne doivent pas être effrayés à candidater. Nous n’avons pas besoin de cela. Cette pédagogie suppose toutefois que la situation soit clarifiée quant à l’application ou non de cette obligation et, si cette obligation continue à s’appliquer, que les zones d’ombre soient rapidement levées. Dans l’attente de ces clarifications à venir, bon nombre de contrats d’acquisition et de clause d’exclusivité ont été signés à la hâte le 31 octobre au soir pour échapper à cette obligation et ainsi à l’éventualité d’une sanction…

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