AccueilDroitPropriété intellectuelle : à l'OHMI, la médiation prend ses marques

Propriété intellectuelle : à l'OHMI, la médiation prend ses marques

Avec la médiation, l'Office des marques communautaires propose une démarche gratuite, confidentielle, rapide, garantissant la liberté des parties et l'indépendance du médiateur. Explications...
Julien Lacker, avocat associé de Gomis & Lacker Avocats AARPI
Julien Lacker, avocat associé de Gomis & Lacker Avocats AARPI

Droit Publié le ,

Détenir un enregistrement de marque unique est un enjeu majeur pour les entrepreneurs qui souhaitent développer leur activité économique en Europe. Elle permet une protection efficace au meilleur prix. En effet, une marque communautaire donne lieu au paiement d'une taxe de 900 €, alors qu'un dépôt de marque français - couvrant par définition un seul pays - coûte 200 €. Ces montants représentent les taxes seules, auxquels il convient d'ajouter des frais de conseil juridique : un budget conséquent lorsqu'ils doivent être multipliés par 28 pays[1] !

Un contentieux complexe

La pratique du contentieux communautaire démontre que celui-ci est technique et complexe, avec des ramifications et des allers-retours entre le plan national et le plan communautaire.

Les liens entre le niveau communautaire et le niveau national sont nombreux. Par exemple, les demandes de priorité, les demandes d’ancienneté[2], ou de transformation[3] de marques… Et même simplement, la possibilité de fonder les oppositions contre des marques communautaires sur des marques nationales. Ou, inversement, d’utiliser des marques communautaires dans les procédures d’opposition contre des marques nationales.

Il est souvent possible pour le défendeur dans une opposition d'intenter des procédures pour paralyser la procédure en cours en tentant de faire annuler les droits opposés. Les actions en annulation et les actions en déchéance, tant devant l'OHMI que devant les juridictions nationales, sont possibles.

Face à cette technicité, à ce possible morcellement du contentieux devant de nombreuses juridictions et à un fort enjeu, la médiation apparaît comme une solution adaptée. Sa rapidité, son caractère « sur mesure » et son faible coût sont ses atouts.

L'Office des marques communautaires

L’Office pour l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) est l'une des réussites silencieuses de l'Europe. Actif depuis le 1er avril 1996 pour favoriser l'essor du commerce au sein de la Communauté européenne - soit à ce jour 28 pays[4] - l'OHMI gère le dépôt et l'enregistrement des marques communautaires à Alicante, en Espagne, avec plus de 800[5] employés.

Depuis plus de 15 ans, l'Office des marques communautaires évolue, s'adapte et anticipe les besoins de ses usagers. La capacité d'adaptation de l'Office est toujours source d'émerveillement pour le praticien. Citons la communication entièrement dématérialisée : dès la création de l’Office en 1996, le fax remplace le courrier papier dans toutes les procédures ; les oppositions et le renouvellement des marques communautaires en ligne ; et plus généralement, une gestion optimale des ressources et une grande réactivité aux évolutions jurisprudentielles[6].

C'est dans ce contexte d'une performance toujours accrue et d'un traitement toujours optimisé des tâches et des procédures que l'Office a créé un service de médiation.

Les principes généraux de la médiation

La médiation[7] est la pratique visant à réunir les parties ayant un différend autour d'une ou plusieurs personnes indépendantes, formées à la médiation et compétentes en la matière, appelée(s) médiateur(s), afin de leur permettre de trouver elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose.

Le processus de médiation offre un cadre privilégié au règlement des conflits. Il s’articule autour de trois grands principes : l'indépendance, la confidentialité et la liberté.

1/ Le médiateur doit être neutre et indépendant. Il doit être impartial et conserver la confidentialité des informations portées à sa connaissance.

2/ La confidentialité est garantie entre les parties dès la convention d’accord de médiation. Le médiateur est lui-même tenu au respect de la confidentialité, par sa fonction et ses règles déontologiques.

3/ Le principe de liberté permet à chaque partie de mettre fin à la médiation à tout moment, sans motifs, et lui garantit que la solution trouvée ne lui sera pas imposée.

La médiation à l’OHMI

Ces principes généraux de la médiation, repris par l'OHMI, sont présents notamment en droit français[8] qui a transposé la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur « certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ».

L'OHMI se fonde sur le code de conduite européen pour les médiateurs[9].

1/ Les médiateurs proposés par l'OHMI sont des employés de l'Office, ceux-là mêmes qui sont susceptibles de trancher le litige. Ils disposent donc de la même indépendance, impartialité et compétence technique lorsqu'ils font une médiation que lorsqu'ils rendent une décision.

2/ La confidentialité est également garantie par un système d'incompatibilité entre le rôle de médiateur et celui de membres de la formation de jugement d'une division d'opposition ou d'une chambre de recours pour un même dossier.

3/ La liberté est la règle : la médiation n’est pas imposée, mais proposée. Elle relève de l’initiative des parties, qui peuvent y mettre fin à tout moment.

La médiation est gratuite. Elle a lieu dans les locaux de l'OHMI à Alicante, en Espagne. Cet éloignement géographique permet, malgré la gratuité, d’effectuer un filtre parmi les candidats à la médiation, car ils devront investir en temps ce qu’ils n'investissent pas en argent. Cependant, une certaine flexibilité sur le lieu de la médiation est possible, si les parties prennent à leur charge les frais de déplacement du médiateur. Les médiateurs sont formés par des instituts de médiations reconnus, notamment en Angleterre ou en Espagne.

Les points forts du dispositif

L'OHMI fait preuve de beaucoup de flexibilité, notamment sur le lieu de la médiation et l'étendue de l'objet de la médiation. La médiation peut traiter de questions annexes et inclure le titulaire d’une licence sur la marque en litige ou encore un distributeur qui ne serait pas partie à la procédure pendante devant la chambre des recours.

L'OHMI a une approche internationale et interculturelle évidente, du fait même de sa localisation et de la nationalité de ses différents intervenants.

La procédure est rapide : la médiation est prévue pour durer un jour, voire deux. Les délais de mise en œuvre sont courts : quelques semaines au plus. L'indépendance et l'impartialité des 19 médiateurs proposés, tous salariés de l'OHMI, apparaissent garanties. En effet, leurs revenus ne dépendent pas du nombre de médiations effectuées, ni de leur résultat : ils réalisent cette tâche dans le cadre de leurs fonctions habituelles à l’OHMI, qui exigent déjà d’être indépendant.

Les limites du dispositif actuel

Cette procédure est offerte uniquement aux parties ayant un contentieux en cours devant la chambre des recours de l'OHMI. Il faut donc une procédure d’appel pendante. Elle nécessite l'accord des deux parties et une suspension de la procédure.

Une des limites est que la médiation est un ajout non prévu par les textes. Elle n'est donc pas en elle-même suspensive. Ce n’est que dans le cadre d'une demande de suspension « normale », déjà prévue par les textes, qu'elle pourra avoir lieu, sauf à être finalisée dans le délai d'appel.

Le délai de quatre mois pour développer ses arguments d'appel ne peut pas être suspendu. L'appelant doit donc, de manière impérative :

- soit développer ses arguments dans le délai de quatre mois,

- soit aboutir dans le processus de médiation.

La médiation ne peut avoir lieu que dans les procédures opposant plusieurs parties, et non dans le cas d’une contestation d'une décision ex parte de l'OHMI. Par exemple, le refus de dépôt d'une marque pour caractère descriptif ne peut faire l’objet d’une médiation.

La médiation ne pourra pas être étalée sur plusieurs mois du fait de l'éloignement géographique des parties.

Changer les habitudes avec la médiation

Le conflit naît souvent de l’incompréhension. Le caractère international des litiges au niveau communautaire nécessite de faire appel à des praticiens compétents, formés aux techniques de communication, capables d’appréhender les différentes façons de penser et de faire émerger des besoins réels de chaque partie. Le processus de médiation permet ainsi de dépasser une guerre des positions pour permettre aux parties d’élaborer ensemble une solution sur mesure, avec l’aide du médiateur.

L'OHMI, précurseur en matière de propriété intellectuelle, offre une chance d'essayer la médiation sans risque et à peu de frais. Ce service connaît un succès discret mais croissant, avec huit médiations à son actif fin novembre 2013. Il mérite d'être mieux connu.

Même si l'évolution des habitudes peut être longue, l'OHMI joue ici un rôle essentiel en changeant de paradigme. De « machine à trancher les litiges », l'Office communautaire devient une ressource permettant de résoudre les conflits par différents moyens : la médiation est l’un d’eux, la procédure contentieuse en est un autre.

Cette nouvelle possibilité, par son caractère exemplaire, doit faire réfléchir. Par son existence même, la médiation peut modifier l'âme d'une institution et son objet. Ainsi le conflit, s’il fait partie de la vie des entreprises[10], n’est pas inéluctable. Il peut aussi être résolu en bonne intelligence, avec l’aide d’un tiers neutre et impartial.

Créée pour trancher le conflit, l’institution a su évoluer pour proposer la meilleure solution possible, en fonction des situations. Il reste à espérer que l'OHMI poursuive dans cette voie et développe la médiation, actuellement réservée aux procédures d'appel, pour l’étendre aux procédures de première instance.


[1] Pour être précis, il convient de préciser que la marque Benelux couvre trois pays : la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg et qu’il ne faudrait donc que 26 dépôts de marques pour obtenir une protection identique et non 28.

[2] L'ancienneté est un système visant à permettre de ne pas renouveler des marques nationales en intégrant ces droits dans un seul titre communautaire sans perte de droits si certaines conditions sont respectées.

[3] La transformation est la possibilité, après qu'un dépôt de marque communautaire ait été refusé, de déposer des marques nationales en conservant la date de dépôt de la marque communautaire ou la priorité, pour les pays non affectés par le vice qui a conduit au rejet du dépôt de la marque communautaire.

[4] Les pays sont les suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie et Suède.

[6] Par exemple, l'Office a dès le 20 juin 2012 avec sa communication n° 2/12 du président de l'Office « Concernant le des intitulés de classes dans les listes de produits et services pour les demandes et les enregistrements de marques communautaires » réagit à l'arrêt « IP TRANSLATOR » du 19 juin 2013 de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

[7] L'article 21 de la loi du 8 février 1995 modifiée par l'Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale définit la médiation comme " tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige."

[8] La loi du 8 février 1995 ainsi indique : "Art. 21-2.-Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. Art. 21-3.-Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité."

[10] Pour une première approche de la médiation, on pourra se reporter avec profit à un ouvrage accessible par son contenu, son nombre de pages et son prix : « Guide pratique de l’usager de la médiation - Guerre et Paix dans l’entreprise » par Jacques Salzer, Michel Fefeu et Jean-Paul Saubesty. 48 pages, 7 €. Disponible en librairie et chez l’éditeur http://www.medias-mediations.fr/guerre-et-paix-dans-l-entreprise/

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