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Pornographie et prostitution, pas si différentes pour les experts auditionnés au Sénat

Récemment, la délégation aux droits des femmes du Sénat a entendu des policiers et magistrats en charge dans la lutte contre la traite des êtres humains et la cybercriminalité, dans le cadre du rapport d’information sur la pornographie.
Pornographie et prostitution, pas si différentes pour les experts auditionnés au Sénat
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Le 18 mai dernier, la délégation aux droits des femmes, dirigée par Annick Billon, a organisé une table ronde autour d’Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire et chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), de Jean-Baptiste Baldo, commandant de police, chef de la plateforme Pharos, de Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République au tribunal judiciaire de Bobigny et de la magistrate Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

Cette table ronde s’inscrit dans les travaux de la mission d’information sur les dérives de la pornographie, mise en place suite à l’affaire « french bukkake » dans laquelle une dizaine de producteurs et acteurs sont mis en examen pour viols en réunion, traite d’êtres humains et proxénétisme et qui a fait une cinquantaine de victimes. Dans ce contexte, et quelques jours auparavant, des représentants des sites pornographiques Dorcel et Jacquie et Michel ont été interrogés par les sénateurs sur les conditions de tournage et de la réglementation de ce milieu,

Frontière ténue entre pornographie et prostitution

Comme a commencé par le rappeler la magistrate Élisabeth Moiron-Braud, la traite des êtres humains est une infraction qui vise plusieurs formes d’exploitation dont celle sexuelle, qui regroupe deux termes du code pénal : les violences sexuelles et le proxénétisme. La traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle couvre la prostitution, dans les instances nationales, internationales et européennes. La pornographie « simple » n’est, quant à elle, pas visée dans les textes, n’est donc pas assimilée à la traite d’êtres humains, et très peu d’Etats font un rapprochement entre la prostitution et la pornographie. « Or, les deux sont extrêmement semblables », selon la secrétaire générale de la MIPROF.

Comme elle l’explique, dans les deux cas, le corps est un bien marchand et répond à la satisfaction du plaisir d’autrui. Parce que les buts poursuivis sont similaires, la définition de la traite des êtres humains, qui est large, pourrait tout à fait viser la pornographie. Derrière ce phénomène, se cachent très souvent des femmes en situation de vulnérabilité, à qui on propose une rémunération et se retrouve à disposition des personnes qui gèrent cette industrie.

Sur ce sujet, la France a une position abolitionniste et a encadré juridiquement la prostitution, interdisant tout achat d’acte sexuel. Pour la magistrate, la loi de 2016, qui réprime notamment le « revenge pron » ou la diffusion sans accord préalable de l’intéressé(e) de contenus à caractère sexuel, a fait ses preuves même si elle n’est pas suffisamment appliquée. Elle appelle par ailleurs à davantage des campagnes de sensibilisation, notamment auprès des jeunes dans les écoles. « Il faut des affaires graves pour que les gens prennent conscience et se sensibilisent à ces sujets », regrette la magistrate.

Sur le territoire national, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, créé en 1958, qui lutte contre la criminalité organisée et le grand banditisme, se concentre sur la traite des êtres humains à vocation sexuelle et le proxénétisme. Elvire Arrighi, qui le dirige, remarque, elle aussi que « la porosité entre la prostitution et le monde de la pornographie est évidente ». « Mes enquêteurs dans leur travail quotidien sur internet pour démanteler des réseaux de proxénétisme tombent très régulièrement sur des annonces vantant l’expérience dans le domaine de la pornographie, des prostituées », explique-t-elle. Les femmes qui sont exploitées dans le domaine de la prostitution le sont aussi régulièrement dans la pornographie.

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Rattacher juridiquement la pornographie à la prostitution

L’Office traite toute affaire qui lui est confiée par la justice mais toute enquête est conditionnée à l’existence d’une infraction. Cela implique donc de s’interroger sur l’applicabilité des infractions de prostitution et de traite des êtres humains à l’encontre de l’industrie pornographique. Or, tout le problème est là, en l’absence de définition légale, le seul recours possible étant de s’appuyer sur la jurisprudence.

La commissaire divisionnaire rappelle que dans la prostitution comme dans la pornographie, les femmes donnent souvent leur accord à la commercialisation de leur corps. Ainsi le consentement ne peut permettre de différencier la prostitution de la pornographie. Demeure la question de la définition de la prostitution et de savoir si la pornographie peut être qualifiée comme telle.

Si le législateur définit la prostitution comme pouvant couvrir des cas de pornographie, « le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle seront systématiquement caractérisés dans le cadre de productions pornographiques », souligne Elvire Arrighi. Dès lors, un producteur de films pornographiques se verrait poursuivi pour proxénétisme. A ce titre, la directrice de l’OCRTEH rappelle que l’année dernière, dans le cadre d’un rapport sur la prostitution des mineurs remis à Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, ses services ont proposé de définir dans le code pénal la prostitution comme une pratique qui « consiste à se prêter contre rémunération, avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ». « Pour moi, cette proposition de texte couvre les situations de pornographie », a-t-elle conclu.

« Lien certain » entre pornographie virtuelle et prostitution des mineurs

Le substitut du procureur Simon Benard-Courbon relève quant à lui que la frontière entre pornographie et prostitution est encore plus mince chez les mineurs. Il remarque par ailleurs que la pornographie en ligne a pris de l’ampleur au même moment que la prostitution des mineurs a pris son envol. Premier facteur explicatif, la popularisation du smartphone ces dernières années, permettant aux adolescents d’avoir accès très facilement à des contenus pornographiques. Et première conséquence chez ces jeunes, la banalisation de la notion de consentement voire de l’acte sexuel en lui-même. « Dans les procédures que je traite, l’idée qu’un mineur exploité n’est qu’un objet est vraiment une constante », ajoute Simon Benard-Courbon qui alerte, toute comme sa consœur quelques minutes plus tôt, sur l’importance de la sensibilisation des jeunes à l’école.

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