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Plan de reprise d'activité : « le maître-mot c'est l'anticipation »

La crise du Covid-19 a métamorphosé en quelques jours l'organisation de toutes les entreprises françaises. Après avoir adopté de nouvelles méthodes de travail à distance, elles doivent dès aujourd'hui anticiper la sortie de confinement. Forte d'une expérience professionnelle de plus de 10 ans dans le conseil en gestion de crise, Julie Vallée, directrice associée du cabinet Iremos, spécialiste de la gestion de crise, décrypte cette situation inédite qui demande calme, humilité et anticipation pour se fixer une stratégie solide.
Plan de reprise d'activité : « le maître-mot c'est l'anticipation »
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Affiches Parisiennes : Dans ce contexte de confinement prolongé, les entreprises gèrent-elles bien la crise ?

Julie Vallée : Il y a eu deux vagues, une première qui a débuté fin février/début mars, quand les entreprises ont réalisé que l'on s'orientait vers un confinement qu'il a fallu préparer. Les entreprises sont alors entrées en mode dégradé. Quelques entreprises avaient anticipé les questions du télétravail, du roulement d'équipe pour limiter le nombre de personnes sur place et de la distanciation sociale, mais malheureusement trop peu.

Puis, il y a la deuxième vague, celle du déconfinement et qui pour moi ne prononce pas la fin de la crise, bien au contraire. Il faut absolument que les entreprises commencent à anticiper leur reprise dès à présent, pour éviter de rentrer dans une nouvelle crise sur l'activité. Chez Iremos nous sommes mobilisés auprès de nos clients depuis déjà 1 mois pour anticiper ce déconfinement. Toutefois, nous avons ressenti une certaine latence jusqu'à l'annonce du Président. Les entreprises ont attendu d'avoir cette date du 11 mai pour commencer à agir et se poser la question de savoir comment organiser ce retour. Cela est dommageable car leur a fait perdre du temps.

A.P. : Comment les entreprises peuvent-elles anticiper la reprise ?

J.V. : Pour bien gérer ce déconfinement, il y a trois aspects. Dans un premier temps, il faut définir un plan d'action clair et complet qui va permettre justement de coordonner cette reprise d'activité. Cela est à faire au travers de l'identification des activités-clés et des différentes interdépendances, un service ne pourra potentiellement pas rouvrir si un autre n'est pas mobilisé ou qu'il est dépendant de prestataires toujours à l'arrêt.

Il faut ensuite lister les contraintes avec entre autres de nouvelles règles de travail et de nouvelles règles sanitaires, puis tenir compte de la reprise économique globale. Il ne faut par exemple pas oublier que les déplacements à l'étranger sont encore limités jusqu'à nouvel ordre. De plus dans un contexte d'activités internationalisées, certaines entreprises vont devoir attendre le déconfinement d'autres pays pour reprendre leurs activités. Il faut donc réussir à travailler un maximum sur ces scénarios d'évolution.

Le deuxième aspect majeur selon moi est de travailler la communication, car il ne faut pas oublier, l'humain est vraiment à placer au cœur du dispositif dans un contexte comme celui-ci. Un projet de déconfinement d'une telle ampleur, ne pourra pas fonctionner sans que l'on ait des collaborateurs qui soient impliqués dans cette reprise. La communication doit alors être aussi bien interne qu'externe car il faut réussir à regagner la confiance des collaborateurs, mais également celle des clients et des partenaires dans un contexte compliqué et inédit.

Le troisième point est de capitaliser sur un retour d'expérience par rapport à cette première phase de la crise. Il y a très certainement des choses qui ont été bien faites par les entreprises, mais d'autres qui seraient à améliorer. Dans ce cadre-là, il faut pouvoir identifier quelles sont les faiblesses pour pouvoir y pallier lors de cette phase de reprise en étant très humble face à la crise.

A.P. : Constatez-vous que certains secteurs d'activité sont mieux préparés à faire face ?

J.V. : Je constate que malheureusement il y a peu de structures qui ont réussi à anticiper ce scénario de pandémie, contrairement aux scenarios terroriste, d'incendie, de catastrophe naturelle, cyber ou autre.

Généralement, celles qui s'en sortent le mieux sont les Opérateurs d'Importance Vitale (OIV) - ou encore les sites Seveso, car leurs collaborateurs ont davantage d'actes réflexes. La culture de crise dont dispose ce type d'entreprises est en particulier dû au fait que leurs équipes sont dans l'obligation de s'entraîner plusieurs fois par an au travers d'exercices d'évacuation et d'opérations internes. Le secteur de l'industrie s'en sort aussi bien car ses acteurs disposent beaucoup plus de process de gestion des urgences et de crise. Toutefois, même si les personnes sont entraînées, je peux vous assurer que la réussite du plan de sauvegarde dépend également du management et de l'équipe en place.

Celles qui sont les plus prêtes aujourd'hui sont les entreprises qui ont anticipé des process et une méthode en travaillant à froid à cette gestion d'événement pour être les plus réactives le jour-J. Elles avaient déjà mis en place des procédures et identifié les personnes qui doivent être autour de la table, en présentiel ou à distance évidemment, celles qui ont accès à tous les documents nécessaires et savent où ils se trouvent. Ce sont des petites choses qui peuvent paraître anodines quand on y pense mais qui sont finalement essentielles et que l'on doit anticiper pour justement pouvoir aujourd'hui être en télétravail, avoir accès à toutes les informations nécessaires et tous les outils pour pouvoir gérer au mieux l'événement.

A.P. : Au contact de qui travaillez-vous en ce moment ?

J.V. : D'habitude, en fonction de la thématique de crise, mon équipe et moi-même sommes en contact ou bien avec le top management ou bien avec des équipes opérationnelles et décisionnelles. Aujourd'hui, avec cette pandémie, tous mes dossiers sont en lien direct avec les dirigeants et le top management car cela impacte les entreprises dans leur globalité. En revanche, les Ressources Humaines sont aussi particulièrement impliquées car cette crise impacte avant tout l'humain :elles doivent absolument être intégrées à la cellule de crise car ce sont elles qui seront les relais de la stratégie auprès des collaborateurs.

A.P. : Cette crise aura-t-elle pour conséquence la pérennisation du télétravail ?

J.V. : Il est vrai que certaines méthodes de travail et de management vont évidemment évoluer suite à cette crise. Il y aura un avant et un après Covid-19 selon moi. Il est toutefois un peu trop tôt pour les évaluer précisément. En revanche, c'est évident que le télétravail va se développer dans les entreprises.

Nous nous sommes retrouvés en télétravail en marche forcée. Les organisations et leurs salariés ont donc dû s'adapter et trouver de nouveaux outils pour gérer le travail à distance à si grande échelle. Certaines équipes et certains outils ont très certainement fait leurs preuves et une nouvelle confiance a été accordée. La culture du présentéisme est encore très forte dans certaines entreprises française. Cette crise changera les choses.

A.P. : Les entreprises vont-elles mettre en place des équipes doublons en cas de nouvelles vague épidémique ?

J.V. : C'est une possibilité. Quoi qu'il en soit, cette reprise doit bien évidemment se faire de manière progressive. Il faut être conscient que la machine ne va pas pouvoir repartir dès le 11 mai pour un grand nombre d'entreprises. Il va falloir la rallumer progressivement et prioriser les leviers à activer. C'est pour cela que cette reprise doit vraiment être anticipée en identifiant par exemple de quelle manière faire revenir les équipes dans les locaux.

Le télétravail devra être favorisé encore pour quelques semaines. En effet, chaque entreprise devra préparer son « retour à la normale » en adaptant le mode de fonctionnement de ses locaux, les aspects des aspects logistiques et d'aménagement (espaces de bureaux, couloirs, restauration, etc.) mais aussi en mettant en place de nouvelles règles sanitaires claires et rassurantes au travers par exemple du port du masque, de l'utilisation de gel désinfectant et de distanciation sociale. Ce n'est pas une mince affaire mais un chantier énorme. Le jour de la reprise ne pourra pas être un jour de travail normal.

A.P. : Comment traiteront-elles l'accroissement des risques cyber dû à la généralisation du télétravail ?

J.V. : On constate depuis quelques années une prise de conscience progressive autour de ce risque mais il est vrai que bon nombre d'entreprises n'abordent pas encore suffisamment le sujet. C'est un risque qui n'est pas maîtrisé par tous car il est très technique.

Malheureusement, de nombreuses entreprises ne voudront mettre en place une stratégie cyber qu'une fois qu'elles auront été confrontées à une cyberattaque. Il s'agit d'une action à faire absolument dès aujourd'hui à travers la mise en place d'outils et de process ainsi que par la sensibilisation en interne (la faille est avant tout humaine).

Dès le démarrage du confinement, nous avons justement beaucoup travaillé avec nos clients sur ce sujet car le risque était déjà particulièrement accru, notamment par rapport au fait que les collaborateurs peuvent perdre un certain nombre de réflexes chez eux ou bien avoir du matériel moins protégé. La cyberattaque ayant touché la Ville de Marseille a permis de redynamiser la vigilance des entreprises étaient concentrées principalement sur le Covid-19.

A.P. : Avez-vous déjà anticipé avec vos clients certains risques de pénurie ?

J.V. : Lister les potentielles pénuries de matières premières ou de produits importés fait justement partie des éléments qu'il faut travailler pour avoir un plan d'action de reprise complet.

Il faut en effet réussir à identifier au plus tôt toutes les interdépendances et les éléments extérieurs (mais aussi intérieurs) clés pour la pérennité de l'activité. Si le fournisseur ou un prestataire ne peut pas délivrer la matière première ou des services le 11 mai, automatiquement certaines activités ne pourront pas reprendre. C'est tout cela qu'il faut anticiper dès maintenant.

Les entreprises doivent prendre conscience qu'il y aura potentiellement encore un mois, deux, peut-être trois ou plus, où elles travailleront en mode dégradé car d'autres pays seront certainement encore en confinement avec des activités stoppées. Il faut anticiper cette reprise et maîtriser la communication qui en est faite afin de témoigner auprès de ses parties prenantes internes et externes du travail qui a été fait en amont. Le principe d'une crise est que l'on n'est pas maître de la situation dont, pour le Covid-19, les conséquences sont dramatiques pour les entreprises. Cependant, les entreprises peuvent réussir à anticiper une reprise d'activité, et ce, peut-être au travers de nouveaux partenaires à identifier au niveau national. C'est pour cela que selon moi, le maître-mot est vraiment l'anticipation. Demain, il sera trop tard.

A.P. : Quelle autre crise est à craindre si cette reprise n'est pas suffisamment réfléchie en amont ?

J.V. : Il y a différents risques dont le premier est humain., Une perte de confiance et une démobilisation des collaborateurs, moteurs de la dynamique de reprise, pourra être possible si cette reprise d'activité est mal gérée. Ce sera le cas si les entreprises n'anticipent pas un certain nombre de choses qui peuvent avoir un impact sur leur intégrité physique et morale.

Ensuite, il existe bien évidemment un risque sur l'activité même dans ce contexte dégradé où l'ensemble du tissu économique étant impacté. La reprise dépend donc aussi des autres parties prenantes présentes dans l'écosystème des entreprises.

Enfin, il y a un grand risque de crise d'image à prendre en compte si la gestion de la reprise est mal gérée ou si elle n'est pas correcte. Il peut par exemple aussi y avoir un impact juridique si l'intégrité physique des salariés est mise à mal, la responsabilité pénale de l'entreprise et de son dirigeant est engagée, comme dans l'affaire Amazon par exemple. Même si le Gouvernement n'est pas encore en mesure de nous fournir toutes les règles qui vont devoir être mises en place à la sortie du confinement, les entreprises doivent impérativement réussir à protéger leurs collaborateurs.

Julie Vallée identifie 8 axes pour guider les entreprises dans la préparation de la reprise :

  • Commencer par mieux comprendre le "jour J"
  • Anticiper le jour d'après
  • Structurer le processus de reprise d'activité
  • Sélectionner les activités à préserver
  • Mettre les ressources adéquates à disposition pour la reprise d'activité
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