A.-P. : Pour vous, quelle importance revêtent les UE 2022 ?
Philippe Vincent : Pour moi cet événement revêt une importance primordiale pour plusieurs raisons. La première, on l’a vu l'année dernière et les inscriptions semblent le confirmer, je pense qu’après la période que nous venons de vivre, nos confrères ont besoin de se retrouver physiquement et d’échanger, de manière conviviale. C'est extrêmement important. Dans notre profession, il y a certes des confrères qui œuvrent dans de grands cabinets, comme moi, mais il y en a un certain nombre qui travaille dans des structures où ils sont un peu seuls. C'est essentiel qu’ils aient des lieux de rassemblement pour se retrouver.
Le deuxième élément, que ce soit pour les commissaires aux comptes, mais aussi pour les experts-comptables, c’est le besoin de formation plus important que jamais, parce que notre environnement continue à évoluer et nos clients aussi. Pour rester crédibles, les professions d'experts, quelles qu'elles soient, doivent maintenir leur niveau de formation. Il y a de nouvelles obligations légales qui nous concernent. Ce n'est pas toujours facile pour nos confrères de trouver le temps de se former. Avec ces Universités, nous leur offrons, pendant trois jours, la possibilité d'engranger des crédits formation extrêmement importants sur des thématiques diverses ; à la fois traditionnelles, sur l’actualité comptable, notamment celle des normes, mais aussi sur la blockchain ou les cryptomonnaies, qui sont des sujets émergeants, auxquels les experts-comptables et les commissaires aux comptes sont aujourd'hui confrontés.
Nous avons parmi nos clients de petites entreprises qui sont contraintes d’utiliser ces crypto-monnaies pour des achats. Nous devons maîtriser leur traitement comptable.
Le vote définitif au Parlement européen de la nouvelle directive CSRD va également avoir des conséquences directes sur notre activité. Les sujets environnementaux se multiplient aussi. Nous devons nous préparer à toutes ces évolutions. Voilà pourquoi l’événement est extrêmement important, dans ce contexte, pour permettre à nos confrères de s’informer et de se former, pour continuer à apporter de la valeur ajoutée à leurs clients. C’est un point essentiel.
A.P. : Ces Universités d’été constituent également un rendez-vous important pour vos jeunes confrères ?
P. V. : Nous organisons périodiquement des événements qui leur sont plus spécialement destinés. Ces Universités d’été constituent l’un des plus importants, notamment pour les commissaires aux comptes qui ont un bel avenir devant eux, à condition que les jeunes générations s'y intéressent. Pour ces jeunes en cours d’inscription ou d’installation, ces moments privilégiés permettent de faire un peu de réseautage, pour faciliter la constitution de clientèles, d'échanger sur leurs problématiques qui ne sont pas celles de professionnels établis depuis de nombreuses années.
A.-P. : Vous venez d’évoquer les cryptomonnaies. Êtes-vous confronté dans votre quotidien de commissaire aux comptes à ce moyen de paiement ?
P. V. : Les cryptomonnaies sont, schématiquement, un dérivé de la blockchain. C'est donc un secteur que les entreprises regardent de plus en plus, pour sécuriser un certain nombre de flux et pour les intégrer. On commence donc à voir apparaître ces cryptomonnaies dans les bilans des grandes entreprises, mais pas uniquement. Nous les trouvons également sur des marchés particuliers ou des pays particuliers, dans lesquels l'usage de ce type de paiement commence à rentrer dans les mœurs.
A.-P : Pourquoi une entreprise se met-elle à utiliser les cryptomonnaies ?
P. V. : Les cryptomonnaies sont surtout utilisées pour des problématiques d'intégration de chaînes de valeur. Elles peuvent aussi faciliter des paiements directs entre entreprises. Certaines peuvent également faire des placements, quand elles ont des excédents de trésorerie. Il y a un peu de spéculation chez certaines, mais c'est assez rare. Elles sont plutôt utilisées pour des circuits courts de financement.
A.-P : L'autre grande nouveauté, c'est votre entrée dans Sup’Expertise. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’importance de la formation à la Compagnie régionale de Versailles et du Centre ?
P. V. : En préambule, je dirai que nous avons aujourd'hui beaucoup de mal à recruter et à faire entrer des jeunes dans la profession. En fait, nous avons trois enjeux. Le premier, c'est d'intéresser les jeunes très tôt à la filière et quand je dis “très tôt“, c'est dès le collège ou le lycée. Sur ce point, la CRCC et la Compagnie nationale mènent des actions auprès d'un certain nombre d'académies ou d’organismes de formation, pour inciter les jeunes à intégrer le cursus. Le deuxième enjeu est pour nous de les amener jusqu'au diplôme, parce que nous voyons bien qu’un nombre non négligeable d’étudiants abandonnent le cursus en cours de route, le jugeant trop long, trop complexe, pas assez encadré…
Troisième enjeu, une fois leur diplôme en poche, ils doivent s’inscrire et nous constatons qu’un certain nombre de jeunes posent leur plaque et commencent une activité d'expertise-comptable, ne s'intéressant au métier de commissaire aux comptes que bien plus tard, voire jamais.
Sup’Expertise répond ainsi à une partie des besoins d'accompagnement de ces jeunes, au stade du diplôme. Avec cette école, dans un lieu sympathique à Courbevoie, qui est sur le territoire de notre compagnie, nous leur proposons un panel de formations plus large, avant, bien entendu, de leur permettre de suivre la formation continue, obligatoire pour les diplômés.
Pour nous, le nerf de la guerre est d’attirer ces jeunes et de les garder dans nos cabinets.
Ce qui est aussi extrêmement positif, dans cette école, c'est que les trois institutions que sont l'Ordre des experts-comptables francilien, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris et celle de Versailles et du Centre, ont su se réunir, dans l'intérêt suprême de nos professions. Voilà un message extrêmement fort que nous souhaitons faire passer en priorité. Au-delà de nos différences, notamment syndicales, au-delà de la taille de nos cabinets, nous montrons que nous savons travailler ensemble, avant tout dans l’intérêt de nos professions.
A.-P. : Comment voyez-vous les perspectives d'évolution de votre profession, notamment en termes de recrutement ?
P. V. : Nous restons optimistes. Et là, je vais m'arrêter uniquement aux commissaires aux comptes. Je pense que cette profession a un avenir extrêmement fort. Quand on parle à l'ensemble des parties prenantes, que ce soient nos clients, les Pouvoirs publics, les collectivités, les banques… Il n'y a aucun doute sur la valeur ajoutée qu'apportent les commissaires aux comptes à l'activité économique. À tel point d'ailleurs que l'État nous redonne un certain nombre de missions obligatoires, notamment sur des associations faisant appel à des fonds étrangers et sur certaines entités parapubliques. Aujourd'hui, cette profession a d'autant plus d'avenir que le champ de ses compétences vient d'être élargi par la fameuse directive européenne CSRD, qui donne aux commissaires aux comptes un rôle privilégié, pour auditer les informations non financières. La seule question est de savoir comment notre profession se met en ordre de marche pour répondre à ces besoins.
La formation à ces nouvelles missions va donc être extrêmement importante. Notre compagnie régionale, en relais de la CNCC, a d’ailleurs déjà proposé un certain nombre de formations spécifiques à l'ensemble de nos confrères. Comme vous le soulignez, nous avons également ce besoin de recrutement. Il est général. Aujourd'hui, il n'y a pas un secteur, pas une profession, pas une activité, pas une industrie qui ne soit pas touchée par ces problèmes de recrutement. C'est la contrepartie d'une situation de quasi plein emploi.
C'est là que les nouvelles missions du commissaire aux comptes revêtent un très fort intérêt. Quand vous dites à un jeune que demain nous allons, non seulement auditer des comptes, mais aussi nous intéresser de très près aux informations que les entreprises vont devoir communiquer sur leurs engagements environnementaux, sociétaux, sur leur bilan carbone... Ce discours va évidemment le motiver, à condition, bien entendu, que nos cabinets s'emparent réellement de ces nouvelles missions qui ont beaucoup de valeur aujourd'hui. Je reste donc confiant sur la capacité de notre profession à attirer de nombreux talents.