Affiches Parisiennes : En tant que président de l'Ordre vous vous êtes engagé à moderniser et transformer la profession, et à piloter des changements importants. Quels sont les défis à relever ?
Philippe Arraou :Les défis du monde dans lequel nous vivons sont nombreux, mais le principal est sans aucun doute celui de la mutation de notre société sous l'effet de la révolution numérique. Véritable révolution industrielle à laquelle personne n'échappe, l'irruption du numérique dans tous les champs de la vie économique et sociale doit nous conduire à repenser totalement le rapport de l'expert-comptable à son environnement.
De profession centrée sur sa prérogative d'exercice en matière de comptabilité, les experts-comptables ne pourront faire face à ce XXIe siècle qu'en capitalisant sur ce qui fait leur valeur ajoutée et non sur ce qui les protège artificiellement. Dans un contexte d'érosion rapide de la valeur de la production comptable, ceci conduit naturellement la profession à consolider l'exceptionnelle relation de confiance qu'elle entretient avec ses clients. Cela passera par sa capacité à continuer de répondre à leurs demandes, à les accompagner dans la globalité de leurs besoins (le fameux « full service » que pratiquent nombre de nos homologues européens) et à les conseiller. Il s'agit là du seul remède à même de préserver la profession de son « ubérisation », le mot est lâché ! Car c'est bien cela dont il s'agit : prévenir l'immixtion dans notre relation de proximité avec les entreprises de tiers intermédiaires profitant de l'automatisation des flux de données.
A. P. : Et les opportunités pour la profession ?
P. A. : Par les marges de manœuvre qu'elle permet de dégager, notamment en matière de production comptable, la révolution numérique doit permettre aux cabinets de repenser leur organisation pour toujours mieux répondre aux besoins évolutifs de leurs clients. Nous pouvons attendre un gain de temps dans le traitement de la comptabilité, et par voie de conséquence, une plus grande disponibilité sur des tâches à plus forte valeur ajoutée pour le client. En devenant les DAF des PME et TPE, nous permettrons à nos clients de se concentrer sur leur cœur de métier, et de se débarrasser de tout le reste. L'expert-comptable du XXIe siècle sera le centre externalisé des fonctions supports de la TPE-PME et, de fait, le conseil privilégié de l'entrepreneur.
A. P. : Quels sont les projets innovants chers à vos yeux ?
P. A. : L'expert-comptable, véritable tiers de confiance des relations économiques, s'inscrit au centre d'un cercle vertueux qui passe par la simplification, la dématérialisation et la transparence. Tous les projets du gouvernement qui appuieront réellement ce triptyque trouveront grâce à nos yeux.
A. P. : La loi Macron est-elle conforme à vos vœux ?
P. A. : Nous retrouvons l'essentiel de nos attentes dans la loi Macron, même si nous pouvons regretter que ne se retrouvent pas dans le texte final toutes les dispositions concernant la profession adoptées à l'Assemblée nationale en première lecture.
Tout d'abord, le législateur a consacré et donc sécurisé le périmètre des missions que l'expert-comptable peut réaliser pour ses clients. Cette disposition, tant attendue, est fondamentale car c'est elle qui permet à l'expert-comptable de s'engager résolument dans l'accompagnement complet du client.
La deuxième grande avancée de la loi Macron est l'interprofessionnalité d'exercice qui nous est désormais autorisée avec les professions juridiques et judiciaires réglementées. Cela facilitera l'accès de nos clients à un conseil pluridisciplinaire, réglementé et de qualité, donc générateur de confiance.
A. P. : L'interprofessionnalité va-t-elle contribuer à gommer les divergences entre les professions du droit et les experts-comptables et mieux servir l'économie et les entreprises françaises ?
P. A. : J'en suis convaincu, même s'il convient de relativiser les divergences que vous évoquez et qui relèvent davantage, selon moi, de calculs politiques que de véritables divergences professionnelles. Il faut méconnaître la réalité du terrain, où les experts-comptables, avocats et notaires, entre autres, travaillent de façon très étroite au quotidien, pour s'insurger contre l'interprofessionnalité. C'est d'ailleurs sur la base de ce constat et des remontées des professionnels concernés, confrontés à certains freins qui pèsent sur leur efficacité au détriment de leurs clients communs, qu'est venue la volonté publique de lever les barrières à l'exercice en commun de professions réglementées de conseil au service des entreprises.
Je rappelle que l'interprofessionnalité respectera les déontologies propres à chacune des professions concernées, et je souligne d'ailleurs, à l'endroit de ceux
que l'interprofessionnalité effraie, qu'elle est une option laissée à la seule discrétion des professionnels libéraux qui souhaitent s'associer. Cette interprofessionnalité pragmatique ne présente donc de risques pour personne.
A. P. : Quid de vos cinq propositions pour la croissance et le développement des TPE-PME faites dans le cadre d'euREca, notamment le compte numérique de l'entreprise ?
P. A. : Emmanuel Macron a été très attentif aux propositions que nous lui avons faites et nous a clairement invité à poursuivre les échanges avec ses services pour étudier leur mise en œuvre pratique. Nos suggestions en matière de compte numérique l'ont d'autant plus intéressé que sa loi contenait elle-même des dispositions relatives à l'identité numérique des entreprises. Nous lui avons proposé d'aller plus loin en inversant la relation entre les services administratifs et les entreprises pour passer d'une logique historique de déclarations à un fonctionnement moderne qui consisterait à mettre à disposition de l'administration une base de données numérique contenant l'ensemble des informations dont elle a besoin.
A. P. : L'expert-comptable est le conseil par excellence de la PME, quel devrait être votre rôle en tant que soutien de l'économie réelle ?
P. A. : L'expert-comptable est le premier conseil de l'entrepreneur et bénéficie dans plus de 90 % des cas de la confiance de ses clients (*), ce qui est LE trésor de notre profession. Il s'agit d'une très grande responsabilité, particulièrement aujourd'hui, puisque la crise que traverse l'économie européenne depuis 2008 est d'abord et avant tout une crise de confiance.
L'économie réelle, c'est celle qui finance, qui investit, qui exporte, qui embauche… à toutes les étapes de la vie de l'entreprise, l'expert-comptable est déjà bel et bien présent. Et ce sera de plus en plus le cas, à condition que l'expert-comptable sache évoluer en rythme avec les demandes de plus en plus vastes et complexes de ses clients, et sache les conseiller.
A. P. : Quelle est la marque de l'expert-comptable français ? Ira-t-il conquérir des marchés à l'international ? Comment ?
P. A. : L'expert-comptable français est sans doute l'un des meilleurs professionnels de son secteur dans le monde : son diplôme de haut niveau sanctionne un parcours pluridisciplinaire complet (droit comptable, fiscal, social, économie, gestion, etc.), parachevé par une solide formation pratique de trois années ; il est par ailleurs soumis à une obligation de formation continue régulièrement contrôlée ; le référentiel déontologique et normatif, dont l'impératif absolu d'indépendance, qui s'appliquent à lui sont particulièrement exigeants et offrent de solides garanties à ses clients ; sa capacité à appréhender, en toute indépendance, l'entreprise dans sa globalité, à l'accompagner et à la conseiller en conséquence, le tout dans des structures à taille humaine, en font également un professionnel attractif et peu commun dans le paysage mondial.
Ayant assumé durant de nombreuses années des fonctions internationales, je voyage beaucoup et je peux vous garantir que ces caractéristiques sont particulièrement recherchées dans de nombreuses régions du monde, particulièrement dans les pays émergents. Je prédis donc un bel avenir aux professionnels français, à condition que ceux-ci sachent élargir un peu leur horizon et maîtriser un minimum les langues étrangères. Cependant, compte tenu de la très grande hétérogénéité des systèmes comptables, fiscaux et sociaux dans le monde, et même au sein de l'Union européenne, je crois davantage à des partenariats entre professionnels de différents pays, qui faciliteraient le développement et l'accompagnement de leurs clients à l'international, plutôt qu'à des « conquêtes » de marchés.
A. P. : Comment voyez-vous l'avenir de la profession ?
P. A. : Comme vous l'aurez deviné, je suis particulièrement optimiste quant à la capacité des experts-comptables à continuer d'évoluer au XXIe siècle afin d'apporter à leurs clients tous les services dont ils ont besoin. C'est une profession en évolution perpétuelle.
* Sondage TNS-Sofres 2014 pour l'Observatoire de la profession comptable.