Affiches Parisiennes : Après un mandat au Conseil de l'Ordre du barreau de Paris, vous êtes actuellement candidate aux élections du CNB et vous menez la liste de l'ACE Paris. Pourquoi êtes-vous candidate pour le CNB ?
Nathalie Attias : Je suis présidente de la section parisienne de l'ACE, une section importante puisque Paris représente quasiment la moitié des avocats de France et donc, du fait de mes fonctions, je suis amenée à faire campagne pour les candidats que l'ACE présente aux élections des différentes instances, et particulièrement au Conseil de l'Ordre de Paris. Cette année est une année charnière à plusieurs égards : d'abord, en plus de l'élection du prochain bâtonnier, nous allons élire des nouveaux membres du Conseil de l'Ordre et nous allons élire nos prochains membres du Conseil national des barreaux. A l'ACE, nous avons bien conscience des enjeux qui se posent à la profession et de la nécessité d'avoir dans nos instances des membres qui soient des progressistes, des défenseurs des valeurs entrepreneuriales, de l'esprit libéral de la profession. C'est pourquoi nous avons décidé d'investir deux binômes au Conseil de l'Ordre : d'une part, Georges Sauveur et Sandy Mockel, d'autre part Charlotte Hildebrand et Thierry Aballéa. Par ailleurs, une élection partielle est organisée pour remplacer Yannick Sala, sorti du Conseil de l'Ordre car il a été récemment nommé auprès du secrétaire d'Etat à l'Artisanat et aux Professions libérales. Nous avons donc également un candidat de grande qualité à cette élection partielle, Emmanuel Escard de Romanovsky.
Par ailleurs, notre section parisienne présente des candidats aux élections du Conseil national des barreaux pour son collège général parisien. Du fait de mon engagement, j'ai proposé à notre présidente nationale ma candidature ; elle l'a accepté et m'a fait l'honneur de me placer à la tête de cette liste composée d'excellents confrères.
Les enjeux sont considérables. Je vous rappelle que la profession a eu à faire face au mouvement contre la réforme des retraites qui a considérablement affaibli une partie de nos confrères. A cette crise est venue s'ajouter la crise sanitaire puis la crise économique sans précédent que traverse déjà le monde entier, la France et, en dommage collatéral, les avocats. On anticipe malheureusement beaucoup de difficultés pour les confrères. Dès lors, la défense des valeurs entrepreneuriale et économique est, selon moi, fondamentale. Aujourd'hui, les avocats veulent avant tout savoir comment arriver à redresser leur activité, à faire rentrer des nouveaux clients, à surmonter cette crise économique sans précédent.
A.- P. : Quel est votre programme ? Les sujets qui vous tiennent à cœur ?
N. A. : A l'ACE, nous avons conçu notre programme en nous disant que le meilleur moyen de surmonter la crise économique était de faire tomber tous les freins au développement de nos activités. Cela passe nécessairement par la modernisation de notre profession, de nos règles et pratiques professionnelles et par la modernisation de la déontologie. Il faut supprimer tout ce qui peut constituer un frein, par exemple, l'interdiction de la rémunération de l'apport d'affaires. Aujourd'hui, les avocats qui reçoivent une proposition de service qu'ils ne peuvent pas traiter envoient vers d'autres avocats. Nous sommes des prescripteurs, mais nous ne pouvons pas être rémunérés, sauf à faire une facture de sous-traitance fictive. Pour moi, lorsque les règles déontologiques conduisent un avocat à faire cela, c'est un non-sens, c'est faire passer les avocats pour des voyous et cela décrédibilise l'avocat. Dans ce cas, on voit bien qu'il s'agit d'une mesure facile parce que la réalité, c'est qu'il n'y a pas obstacle déontologique dirimant ; personnellement, je pense que nous devons également accepter la rémunération d'apport d'affaires à des tiers. Certains veulent la limiter aux professions réglementées, aux avocats, aux professions réglementées avec lesquelles on partage le secret. Ce sont des sujets aménageables, pour autant qu'on ait la volonté d'aller dans ce sens et de ne pas rester campés sur des positions que je considère d'arrière garde. J'estime que rien ne s'oppose à ce que on puisse l'organiser. En tous cas, il faut réfléchir sur ces questions car les avocats veulent pouvoir trouver de nouveaux clients et s'adressent de plus en plus à des plateformes d'intermédiation qui permettent de mettre en relation des avocats et des clients. Avec le confinement, c'est plus que jamais d'actualité.
Aujourd'hui, le Droit n'est plus l'apanage des avocats. Nous ne sommes plus les seuls sur notre marché depuis longtemps mais avec le marché du digital, des sociétés commerciales ont bien identifié ce marché émergent, c'est un train en marche, nous devons le prendre. La consultation juridique n'est pas encadrée légalement. On sait que les experts-comptables le font, mais pour autant, je ne les considère pas comme des ennemis à abattre, mais plutôt comme des partenaires avec qui nous devons travailler car ils ont également les mêmes difficultés que nous. D'ailleurs, à l'ACE, nous plaidons en faveur de l'interprofessionnalité, de l'ouverture vers les professions réglementées. C'est simplement la preuve que le besoin de droit existe, que c'est un marché et que nous devons pouvoir lutter efficacement contre nos concurrents. Nous considérons que notre déontologie est un atout concurrentiel : l'interdiction du conflit d'intérêts, le secret professionnel, la garantie d'une assurance RCP sont autant de garanties de protection pour le consommateur de droit. Mais à l'inverse, notre déontologie crée une rupture d'égalité par rapport à nos concurrents sur différents points : , l'interdiction de la rémunération de l'apport d'affaires, l'interdiction du partage des honoraires, l'impossibilité de faire entrer des investisseurs dans notre capital, ce qui nous interdit de facto de pouvoir investir, développer de nouvelles offres digitales par exemple, la publicité et la communication de l'avocat doivent encore évoluer car tout ce qui existe, même si c'est déjà une révolution de notre culture, demeure à parfaire. Certes, l'avocat peut faire de la publicité mais il ne peut pas tenir des propos laudatifs. On a tellement encadré la communication et la publicité que, concrètement, on aboutit à une position schizophrénique, qui n'a plus de sens. De même, les sociétés commerciales ne se gênent pas pour démarcher, alors que nous sommes liés par la seule possibilité de faire de la sollicitation personnalisée très encadrée et surtout contrôlée à priori en principe, ce qui nous empêche d'être agile lorsqu'une opportunité de marché se manifeste et qu'on veut la saisir. De même, nous avons un sujet sur « l'e.réputation ». Nous devons maitriser la notation des avocats, notre Elu au CNB, Louis Degos, Président de la Commission Prospective a fait d'excellents travaux sur cette donnée qui ne peut faire peur que si nous na maîtrisons pas. Notre conviction à l'ACE, c'est que nous devons moderniser la déontologie pour permettre aux avocats de faire face à un marché qui devient de plus en plus concurrentiel. Il ne s'agit pas de perdre notre ADN, nos principes essentiels et de devenir, comme je l'entends souvent, des « commerçants », comme si c'était une injure. Si nous restons drapés dans notre dignité, nous perdrons tous les marchés et nous disparaitrons. Pourtant, si une profession est bien légitime pour proposer du droit, c'est la profession d'Avocat. C'est ce combat que nous voulons mener si nous sommes élus.
La suite logique c'est que si on doit aider les avocats à trouver des nouveaux clients, il faut multiplier le déclenchement du réflexe avocat chez les clients. Cela peut en effet passer par de la communication institutionnelle. Les notaires sont très forts pour cela. Mais pour des raisons que je n'arrive pas à comprendre, notre profession n'est pas douée pour communiquer de manière positive ou en tout cas productive. Mais ce qui est certain, c'est que si on estime devoir communiquer, c'est parce que nous savons que les citoyens, les entreprises en particulier, n'ont pas ce « réflexe avocat ». Aujourd'hui, quand une entreprise a une difficulté elle appelle d'abord son expert-comptable, c'est ce que j'appelle le « couteau suisse » de l'entreprise. Si l'entreprise comptait dans ses effectifs un avocat dans l'entreprise, celui-ci aurait immédiatement le réflexe d'avocat, sachant que s'il est face à un sujet qu'il ne maîtrise pas, il contactera un confrère pour lui demander d'intervenir sur le sujet non maitrisé. Car je l'ai dit, l'avocat est par nature prescripteur au quotidien.
L'ACE porte le sujet de l'avocat en entreprise depuis des décennies car nous considérons que c'est un axe clé du développement des marchés de l'Avocat et d'attractivité en France des entreprises à dimension internationale. Nous savons que celles ci demandent la confidentialité de leurs avis juridiques. Mais je regrette que ce débat revienne en d'aussi mauvaises circonstances. Le présenter comme un élément de négociation en contrepartie d'une revalorisation de l'aide juridictionnelle est inacceptable et dommageable car c'est un sujet important qui mérite d'être examiné avec pragmatisme, pédagogie et sans dogme ni de notre part ni de celle de la chancellerie. C'est d'autant plus préjudiciable que, justement, les positions avaient commencé à bouger, on a vu que la Conférence des Bâtonniers elle même a rejoint les conclusions du Rapport Gauvain qui a conclu par la politique «des petits pas », en admettant le principe d'un « legal privilege » (secret professionnel attaché à l'acte et non au statut de la personne qui a rédigé l'acte). Mais je pense que c'est typiquement une fausse bonne idée parce qu'elle reviendrait à créer un secret professionnel à côté du celui de l'avocat, et donc à créer une autre profession réglementée qui va affaiblir encore davantage le secret professionnel de l'avocat qui, on le sait, est déjà tellement menacé. Dans tous les cas, l'ACE n'a pas demandé à mettre ce point dans le débat électoral, mais elle sera évidemment prête à contribuer aux travaux car elle connaît bien le sujet.
Troisième concept axial et pédagogique qui permet de décliner tant de mesures : l'avocat doit changer de posture, d'attitude, il doit se positionner et réfléchir en termes de besoins client. Il doit d'abord essayer de réfléchir à la perception que le client a de son service, le personnaliser et adapter la réponse donnée au client. Le légal design est par exemple une formation que tous les avocats devraient suivre pour rédiger des actes intelligibles et clairs. A l'ACE, nous formons nos membres à ces techniques depuis plusieurs années déjà grâce à Sophie Lapisardi ; là aussi, c'est encore un autre mouvement en marche que nous devons prendre. On peut également décliner ce concept pour beaucoup de choses, comme les modes alternatifs de règlement des différends, qui permettent de trouver une solution adaptée à une problématique posée par un client, contrairement au contentieux qui va venir trancher de manière implacable un litige sans forcément répondre aux besoins des parties et des justiciables. Parce que les moyens de la justice resteront toujours faibles, y compris dans la réponse numérique, il faut développer au maximum les modes de règlement alternatifs, la négociation, revoir la redéfinition des honoraires car les avocats sont encore perçus comme très opaques sur ce sujet.
Autre sujet qui nous tient à coeur, c'est celui de la collaboration et de la formation initiale. La formation initiale apparaît comme étant très redondante par rapport au niveau Master 2, que la plupart des élèves avocats ont. Ce sur quoi on doit être absolument se concentrer, c'est l'enseignement de la déontologie mais aussi apprendre aux élèves que l'on est une profession libérale, indépendante et que la collaboration doit rester un état transitoire. Donc, l'idée qui consiste à aligner le contrat de collaboration libérale sur le contrat de travail est, là aussi, une fausse bonne idée parce qu'elle abouti, non seulement à tuer le contrat de collaboration libérale mais en outre à installer psychologiquement le collaborateur dans un état permanent alors qu'il faut au contraire le pousser à s'installer ou à s'associer. C'est pourquoi, à l'ACE, nous insistons énormément sur le caractère entrepreneurial de la collaboration. Ce qui suppose que les patrons jouent le jeu dans la formation de leurs collaborateurs, dans le respect du caractère libéral de la collaboration, considérer que le collaborateur est un égal et non un subordonné, grâce à un management positif, dans la co-construction. Nous dispensons énormément de formations sur ce sujet, et je souhaite qu'on arrête d'opposer les « patrons » de cabinets et les collaborateurs, il faut mettre un terme à ce dogme et arriver à communiquer car nous avons des intérêts convergents : il ne peut y avoir de collaborateurs sans cabinets et inversement. En revanche, il est évident qu'il faut se montrer intraitable lorsque surviennent des abus, de part et d'autre ; l'ACE est très attachée à tous les sujets de RSA et a d'ailleurs réalisé la 1ère enquête sur les discriminations et le harcèlement.
A.- P. : Pouvez-vous nous présenter les colistiers inscrits sur la liste ?
N. A. : Les élus ACE sont toujours très travailleurs, il suffit de voir les sortants qui font notre fierté et qui ont tant œuvré, je veux d'abord leur rendre hommage : Emmanuel Raskin, à la commission Textes, qui a tant oeuvré sur toutes les réformes de ces 3 dernières années, Louis Degos à la commission prospective et innovation, Catherine Peulvé, aux MARD, Audrey Chemouli à la commission Statut Professionnel de l'Avocat, Jacques Taquet, qui a beaucoup travaillé sur la lutte contre le blanchiment, la DAC6, Louis Bernard Buchman,Caroline Ctorza, Sophie Fery Bouillon. J'espère que nous serons dignes pour assurer la relève. En tous cas, nous sommes tous motivés avec mes co listiers : David Levy, qui connaît parfaitement l'institution de l'intérieur et son fonctionnement, qui est un pénaliste très compétent, de grande qualité. En troisième position, nous avons Charlotte Robb, associée au sein du cabinet BWG et qui intervient déjà comme experte au CNB, une femme remarquable et très brillante en sa matière et, en quatrième position, Philippe Touzet, qui a beaucoup travaillé sur tous les sujets liés à l'unité de la profession, à la déontologie. En cinquième position, Séverine Audoubert, présidente de la Commission ouverte des nouveaux métiers du droit du Barreau de Paris et en sixième position, Marc Bornhauser, ancien président de l'IACF, l'Institut des avocats conseils fiscaux. Son rôle sera très important sur tous les sujets fiscaux qui touchent au respect de notre secret professionnel mais également sur le sujet de la baisse de la TVA des particuliers. Nous avons encore d'autres candidats de très grande qualité, des ressources absolument formidables et précieuses pour travailler efficacement dans la prochaine mandature.
VIDEO. Les candidats de l'ACE Paris aux élections du Conseil de l’ordre du barreau de Paris