Matthieu Dulucq a fait le point sur les dossiers chauds qui intéressent actuellement la profession, notamment l'état d'urgence, la crise des réfugiés, l'aide juridictionnelle, la crise économique et la caisse de prévoyance des personnels des avocats. Pour lui, cette année de présidence fut « une année d'orage »... et celui-ci semble bien loin d'être terminée : « L'orage, c'est d'abord l'épreuve du terrorisme à laquelle nos sociétés doivent faire face depuis des mois. (…) Nous vivons depuis le 13 novembre 2015 sous un régime d'exception, celui de l'état d'urgence. »
L'état d'urgence
« Sa mise en place, comme sa prolongation fut, selon les enquêtes d'opinion, largement plébiscitée. L'utilité de ce régime d'exception dans la lutte contre le terrorisme n'est pas démontrée. Il ne faut pas oublier l'arsenal judiciaire anti-terroriste exorbitant dont nous disposons déjà, construit loi après loi, permettant les perquisitions de nuit pour enquêter et, face à des personnes réellement suspectées, autorisant la mise en examen, le placement sous contrôle judiciaire et même en détention provisoire, par un juge indépendant, dès que sont réunis les indices de la préparation d'un acte terroriste. (...)
Pour la troisième fois en quatre ans, nous allons modifier notre procédure pénale. Une fois de plus, il est question de renforcer les pouvoirs des Parquets et d'éviter l'intervention des magistrats du siège statutairement indépendants. Mettre à l'écart le juge du siège, c'est aussi s'exonérer du principe du contradictoire et in fine réduire à néant les droits de la défense. Le risque est grave, car des événements de nature exceptionnelle sont souvent utilisés pour justifier la construction d'un droit d'exception qui finit toujours par s'appliquer à la délinquance ordinaire. »
La crise des réfugiés
Pour le président de la FNUJA, l'orage « c'est également la crise des réfugiés à laquelle l'Europe doit faire face ». Le Conseil national des barreaux a formulé une initiative visant à garantir la présence d'avocats formés dans chaque hotspot afin d'apporter à chaque réfugié l'assistance et le conseil auquel il peut légitimement prétendre. De son côté, le président de la Conférence des bâtonniers a évoqué une initiative similaire. Matthieu Dulucq a redis à l'un et l'autre que les jeunes avocats sont à leur disposition pour les accompagner dans ces démarches.
L'aide juridictionnelle
L'orage, ce fut, par ailleurs, la crise de l'aide juridictionnelle qui a conduit l'ensemble du barreau français à un mouvement de grève unanimement suivi. Comme l'a souligné le président de la FNUJA, « C'est là aussi une question qui nous engage tous, qui ne concerne pas que les avocats, car elle détermine un choix de société. L'idée du droit à être défendu et assisté quelle que soit sa situation de fortune est communément admise. Le problème est plus de savoir sur qui doit reposer la charge de cette politique de solidarité. »
La chancellerie n'a pas encore annoncé « la » réforme attendue par la profession. Les avancées sont néanmoins réelles. Pour Matthieu Dulucq, « ce que nous avons obtenu, c'est grâce à la force des barreaux lorsqu'ils ne parlent que d'une seule voix. Il faudra nous en souvenir dans les prochains combats à venir. » Pour lui, l'idée d'une taxation sur le chiffre d'affaires des cabinets d'avocats ou sur les produits des CARPA pour abonder au budget de l'aide juridictionnelle n'est venue ni de la Chancellerie ni du CNB : « Elle a été suggérée par des avocats se présentant comme la voix de la profession. Ces mêmes avocats suggèrent aujourd'hui la mise en place d'internat, de structures conventionnées ou de protocoles de défense. Trois vocables obscurs pour ne définir qu'une seule est même idée, l'aide juridictionnelle ne serait plus exercée que par certains avocats qui n'interviendraient qu'à ce titre contre une rémunération fixe.
Avec clarté et avec force je vous indique que nous ne l'accepterons jamais et n'hésiterons pas à nous y opposer par tout moyen. C'est là une question fondamentale, car elle touche à l'idée même que l'on se fait de la solidarité. Il n'y a pas à construire un système qui consacrerait d'un côté une fonctionnarisation des avocats des pauvres et de l'autre les avocats des riches. Chacun doit conserver le libre choix de son conseil, quelle que soit sa situation de fortune. »
La crise économique
L'orage c'est aussi la crise économique qui n'épargne pas les avocats. Même si le revenu global de la profession d'avocat progresse, les disparités ne cessent de s'accroître. Matthieu Dulucq « n'ignore pas le désarroi de nombreux jeunes avocats, dont près de 30% quittent le barreau après quelques années ». Il « n'ignore pas la situation de jeunes confrères, sans mutuelle santé, dont la conclusion de contrats de collaboration à temps partiels, destinées en réalité à échapper aux minima ordinaux, les conduits sous le seuil de pauvreté. Ces situations ne sont pas marginales, c'est notre échec à tous ».
Pour le président de la FNUJA, bien que dramatiques, « ces situations ne sont pas inéluctables ». Il détaille trois axes de réponse : « Nous proposerons tout d'abord au Conseil national des barreaux une modifications des règles permettant de mieux encadrer les temps partiel, en fixant d'une part un seuil en deçà duquel on ne pourrait descendre et d'autre part un montant de rétrocession minimale majoré permettant par exemple qu'à un mi-temps correspondent une rétrocession supérieure à un demi temps complet.
La mutualisation ensuite. Profitons de notre nombre pour offrir à tous des services auxquels seuls ils ne pourraient pas prétendre, en matière de santé et de prévoyance par exemple.
L'accompagnement enfin. Il est faux de prétendre que nous sommes trop nombreux. La comparaison avec nos voisins européens nous montre le contraire. Simplement, nous n'investissons pas tous les champs des possibles. Les perspectives de développement sont énormes, suivant la matière ou le mode d'exercice choisi.
La caisse de prévoyance des personnels des avocat
Pour Matthieu Dulucq, l'orage, ce fut enfin la Crepa, la caisse de prévoyance des personnels des avocats : « Il est curieux de voir que les deux institutions qui ont le plus d'argent dans la profession, la Crepa (1 milliard d'euros) et la CNBF (1,4 milliard) sont celles qui nous intéressent le moins. J'ai rencontré la Présidente de la Crepa au début de mon mandat. Ce repas m'est resté sur l'estomac... »
Au mois d'octobre, à l'occasion du conseil d'administration de la Crepa, la FNUJA a sollicité et obtenu la démission des présidents et vice-présidents et la mise en place d'une administration provisoire. Matthieu Dulucq été nommé administrateur provisoire. « Il nous a fallu sept mois pour réinstaurer un climat de confiance entre les organisations syndicales de salariés et d'employeur, pour rendre aux 60 salariés de la Crepa la fierté de travailler pour ce qui reste une très belle maison, et pour mettre fin aux errements du passé. »
La mission du président de la FNUJA s'est achevée le 25 avril dernier : « Nous avons obtenu qu'il soit mis fin au mandat de l'ensemble du conseil d'administration, le plafonnement du remboursement des frais et le renforcement de leur contrôle ; la résiliation de l'ensemble des conventions conclues avec la famille de certains administrateurs et rendu obligatoire la mise en concurrence avant chaque recours à un prestataire extérieur, et la suppression du versement de toute indemnité aux administrateurs. Rien de tout cela n'aurait été possible sans le concours des autres syndicats d'avocats. » Matthieu Dulucq a tenu à rendre hommage à monsieur Eric Chancy, directeur de la Crepa : « La profession ignore tout de ce qu'elle lui doit. Dans l'hypothèse d'un désastre financier c'est nous tous qui aurions dû combler les pertes. »