Bruno Le Maire a été entendu mardi 22 février après-midi dans la salle Clémenceau du Sénat par les membres des commissions des finances et des affaires européennes sur les dossiers traités dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE).
« Nous avons estimé utile de faire le point avec vous Monsieur le ministre alors que la France a pris début janvier la présidence de l’Union européenne après la Slovénie et avant la République tchèque », a expliqué Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat, en présentant brièvement le contexte.
Il a également posé deux questions sur les conséquences économiques de la crise sanitairesur laréforme des règles budgétaires, et sur l’approfondissement de l’union des marchés de capitaux et de l’union bancaire, avant de donner la parole au ministre de l’Economique.
« Croissance forte, innovante, décarbonée et juste »
« Cette audition se tient à un moment particulier où la Russie a fait le choix de l’escalade militaire et de la violation de ses engagements internationaux », a débuté Bruno Le Maire qui a expliqué aux sénateurs que le Président de la République a réuni la veille au soir un conseil de défense et pris des décisions fortes en réponse à cette action belliqueuse, comme le gel des avoirs de certaines banques publiques russes.
« Ces sanctions contre la Russie seront immédiates, lourdes et efficaces. Nous ne laisserons pas le Président Poutine violer le droit international », a commenté le ministre.
« Les conséquences de cette crise en Ukraine seront contenues car l’économie française est peu exposée à la Russie », a-t-il toutefois rassuré les sénateurs en précisant qu’il fera la liste des TPE PME indirectement touchées afin de les soutenir.
Sur l’impact de la crise sanitaire, le ministre a expliqué que nous avons connu la crise la plus grave depuis 1929 et nous en sortons avec une croissance économique solide en hausse, s’est-il réjoui en souhaitant « maintenir une croissance forte, innovante, décarbonée et juste ».
« Est-ce qu’on revient au business as usual ou est-ce qu’on veut une croissance plus forte et plus décarbonnée ? Notre choix est fait », a déclaré Bruno Le Maire pour qui l’austérité est une véritable impasse.
Une condition de cette transition vers une croissance décarbonnée est la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui est un des objectifs affichés de la PFUE. « Le principe pollueur-payeur s’applique à l’intérieur de nos frontières et doit aussi s’appliquer à l’extérieur. L’accélération de la décarbonation de notre économie est vitale et nous devons parvenir à un résultat », a-t-il scandé.
Il s’est également satisfait de la réussite de la politique de soutien économique du "quoi qu’il en coûte" en citant l’exemple du rebond du fleuron national Airbus car « protéger coûte moins cher que réparer ».
La sénatrice de l'Aube Vanina Paoli-Gagin interrogeant Bruno Le Maire sur la taxation des géants du numérique.
Sur les règles budgétaires européennes, il a précisé que « l’imagination est utile et lorsqu’on met sur la table de nouveaux instruments, c’est efficace », en prenant l’exemple de l’émission de dettes en commun aux Etats membres de la zone euro qui « a permis de financer les plans de relance et de réactiver la croissance en Europe ».
Il a également évoqué les investissements dans l’innovation verte, la révolution copernicienne grâce aux PIEC (projets des intérêts collectifs des consommateurs), et les aides publiques européennes pour les usines, entreprises ou secteurs industriels (exemples des projets de développement de l’hydrogène et de semi-conducteurs).
« L’Europe a enfin compris qu’il n’y a pas d’avenir sans le soutien du financement public », a-t-il commenté en précisant qu’« un euro d’argent public doit donner lieu à 3 euros d’investissement privé pour être rentable ».
Enfin, pour lui, le modèle économique européen doit être juste. La PFUE s’engage ainsi dans la poursuite des accords avec les géants du numérique pour « défendre la justice commerciale contre la loi du plus fort » et va imposer le principe de réciprocité sur l’accès aux marchés publics européens : « la Chine ferme les siens, pourquoi pas nous ? ». Quid des subventions abusives des Etats étrangers auprès de leurs entreprises lorsque ces dernières opèrent sur le marché européen qui « créent un déséquilibre totalement abusif ».
Enfin, le ministre a fait l’apologie du pacte de stabilité et de croissance, un instrument très efficace dont il préfère inverser les mots « car la croissance est la condition de la stabilité » et pas l’inverse. L’ambition affichée de la PFUE est d’orienter les 27 Etats membres à se mettre d’accord sur cet objectif de croissance plus juste, plus décarbonnée et plus innovante et de « trouver le meilleur équilibre entre la transition verte et le rétablissement des finances publiques ».
30 questions posées par 12 sénateurs
Après les brèves interventions deJean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du sénat, une douzaine de sénateurs ont posé pas moins de 30 questions à Bruno Le Maire.
Jean-François Husson a rappelé que la PFUE « ne dure que 6 mois et qu’avec tous les engagements que vous venez de prendre il va falloir travailler nuit et jour » avant de défendre la politique d’austérité soulignant qu’il craint que l’alimentation de la croissance, faite de davantage d’importations que d’exportation, soit trop risquée.
Sur le pacte de stabilité et de croissance, il s’est demandé si la réalité n’est pas « plus complexe que ça puisque nous souffrons aujourd’hui d’avoir des finances publiques fortement dégradées, notamment par rapport à nos partenaires allemands ». Comment alors les convaincre d’accepter de réformer la règle de désendettement de ce Pacte sur le pourcentage du PIB concerné ?
La sénatrice Vanina Paoli-Gagin a demandé au ministre de s’exprimer sur le sujet de la concurrence américaine et chinoise dans le domaine de la tech, et notamment du problème de la prééminence des Gafam qui ont bénéficié d’aides publiques en tout genre depuis 1950 et « sont devenus quasiment des micro-états ».
Sa collègue Christine Lavarde l’a interrogé quant à elle sur l’articulation du dispositif relatif aux semi-conducteurs, le devoir de vigilance des entreprises et sur la gouvernance durable tandis que d’autres ont abordé les thèmes de la dépendance énergétique européenne, des données bancaires ou encore de la gestion de l’eau (sécheresses et inondation) laissée à l’échelon territorial.
« L’énergie est le sujet stratégique de ces prochaines années »
Le ministre a commencé ses réponses sur le thème de l’énergie qu’il a volontiers qualifié de « sujet stratégique de ces prochaines années ». « Là-dessus nous avons un objectif commun entre les 27 Etats membres mais c’est un sujet de disputes car nous sommes tous d’accord sur l’objectif de zéro émission de carbone mais nous ne sommes pas d’accord sur le moyen d’y parvenir », a-t-il expliqué.
Il a également évoqué les disputes sur la réforme du marché européen de l’énergie : « Nous ne pouvons pas accepter de payer l’électricité décarbonée au même prix que les kilowatts/h produits par des centrales à gaz ! ». La stratégie française consiste à débuter par la sobriété dans la consommation, le développement des énergies renouvelables et le pilier nucléaire qui est essentiel.
Sur la dégradation des finances publiques, on a commencé à les rétablir a expliqué le ministre car la dette est passée de 115 à 113 % cette année. Selon lui, il faut poursuivre cet effort « absolument et nécessairement » car « quand les choses vont mieux il faut rétablir les finances publiques ».
« On ne peut pas accepter que certains Etats et certaines multinationales échappent à l’impôt », a-t-il déclaré en rebondissant sur la taxation des géants du numérique. Il a d’ailleurs annoncé qu’une directive européenne est en préparation consacrant une taxation minimale à 15 % sur les grandes entreprises (objectif de vote en janvier 2023), ainsi qu’un accord dans la convention internationale de l’OCDE prévu à l’été 2022.
Finissant sur la croissance, elle devrait s’améliorer selon lui, notamment via des réformes de structures comme celle des retraites qui doit se faire d’ici l’année prochaine, et l’investissement dans l’école et l’hôpital.