AccueilDroitActualité du droitLes enjeux de protections d'une œuvre face au streaming musical

Les enjeux de protections d'une œuvre face au streaming musical

Du studio d'enregistrement à vos nouvelles enceintes hi-fi, votre titre (ou « enregistrement ») préféré a beaucoup voyagé. Il y a eu avant tout un processus créatif. Le titre a été composé, chanté et interprété. Puis l'industrialisation du titre : il a été mixé, remixé, voire re-masterisé puis pressé.
Les enjeux de protections d'une œuvre face au streaming musical

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Suit sa promotion : l'artiste parcourt les plateaux télé et voit son visage affiché en 4x3 dans les couloirs de Saint-Lazare. Enfin il y a eu sa commercialisation, dans un réseau de distribution, chez les libraires ou les disquaires, dans le supermarché d'à côté et aujourd'hui sur vos plateformes numériques favorites. En effet, l'industrie musicale, comme beaucoup d'industries, a dû s'adapter pour survivre.

La musique et la propriété intellectuelle sont intimement liées

« Dans l'industrie musicale, le succès va de pair avec le droit d'auteur » (Aziz Harun, auteur-compositeur-interprète)

L'auteur et toutes personnes disposant de droits voisins au sens du Code de la propriété intellectuelle, peuvent se prévaloir de droits à la fois moraux et patrimoniaux. Dans l'industrie musicale le droit patrimonial se subdivise en deux branches principales.

Le droit de reproduction mécanique garantissant une rémunération par la fixation d'une œuvre sur un support, qui permet de la communiquer au public et le droit de représentation publique, qui concerne la communication de l'œuvre au public, que ce soit par des concerts ou des diffusions à la télévision par exemple.

Les artistes, et le microcosme qui les entoure, vivent de la musique grâce à ce droit patrimonial qui leur permet de récolter une rémunération sur cet art. Très simplement, quand vous achetez un CD une partie du prix est utilisée pour rémunérer les intermédiaires, et une partie est utilisée pour rémunérer les artistes grâce aux droits patrimoniaux dont ils disposent sur l'enregistrement.

Ces différents droits s'articulent autour de nombreux contrats qui régissent le travail de chacun, la rémunération attachée et les droits dont ils disposent sur l'enregistrement. Du contrat d'enregistrement dit « d'artiste » qui régit les relations entre l'artiste lui-même et le producteur, aux contrats de licence qui permettent l'utilisation d'un enregistrement dans la dernière compilation de l'été jusqu'aux contrats de synchronisation qui permettront au titre d'être dans le prochain film de Wes Anderson.

Si l'entrée dans les années 2000 a signé la crise du disque, l'année 2010 a vu naître le nouveau visage de l'industrie de la musique.

Une industrie bouleversée qui fait face à de nouvelles problématiques

Sur les droits moraux

Dans l'éventail de droit accordés aux artistes, un droit fortement mis en péril dans son exécution est le droit moral. Les droits moraux ont une relative importance en France comparé aux Etats-Unis où ils n'existent presque pas.

L'essence même de ces droits est de protéger le respect non seulement de l'artiste mais aussi de son œuvre. Cette protection est mise en difficulté par la multiplication des contenus dûe au développement du streaming.

Le droit au respect de l'œuvre (interdit toute modification sans autorisation de l'auteur) ou le droit de repentir (l'auteur peut revenir sur sa décision et ainsi faire cesser toute exploitation de son œuvre ou des droits qu'il a cédés, moyennant indemnisation) sont aujourd'hui en réalité des droits qui ne peuvent plus être à 100 % garantis.

Qui peut vérifier dans les milliers de playlists disponibles sur des dizaines de site de streaming différents que l'exploitation de son titre est faite dans le respect de ses droits ? Avec les particuliers qui peuvent créer eux-mêmes leurs playlists, ajouter, supprimer des titres et partager, exit un quelconque accord préalable de l'artiste avant d'apparaître dans une playlist. Cette digitalisation de la musique n'a laissé de choix à personne : si l'on n'a pas accepté de partager sa musique sur Internet, quelqu'un d'autre s'en sera chargé.

Sur l'identification des droits d'auteurs et droits voisins

En effet, il n'y a pas que l'auteur du titre, ou son « propriétaire » légal, qui puisse diffuser l'enregistrement sur Internet. Si les sites spécialisés dans le streaming musical tels que Deezer sont très regardants, sur d'autres sites de partage plus généraux les enjeux de protection sont plus complexes : les droits relatifs à l'enregistrement sont moins identifiables.

Cependant des plateformes telles que Youtube travaillent attentivement sur ces problèmes de protection. Youtube a ainsi mis en place un logiciel de reconnaissance de contenus, permettant aux ayant-droits d'un enregistrement d'identifier une de leurs œuvres et d'en réclamer soit la monétisation, soit la suppression.

Sur la redevance des artistes

Puisque ce sont les droits patrimoniaux qui permettent la rémunération de l'artiste, la non-identification de l'artiste l'empêche d'obtenir des redevances. Au moins dans ce cas, le problème est clair. Cependant même lorsque l'enregistrement est identifié et sur une plateforme légale de streaming le mode de rémunération a évolué.

« Un CD rapporte plus à court terme, c'est une somme générée rapidement mais une seule fois. Mais un disque à succès peut rapporter bien plus d'argent sur le streaming parce qu'il va en générer ad vitam, tous les jours un peu » remarque Sophian Fanem, journaliste musicale spécialisé dans le streaming musical.

Les rémunérations touchées par l'artiste lui-même lorsqu'un CD est vendu ou lorsque son titre est écouté sur une plateforme de streaming musical conventionnel (et non pas issue du téléchargement illégal où aucune rémunération n'est versée) sont différentes. Globalement les recettes sont divisées de la manière suivante : 70 % pour les ayants droits et 30 % pour le service de streaming.

Sur ces 70 %, une partie va à la maison de disque, aux producteurs et divers intermédiaires. Finalement, on estime que l'artiste ne touchera qu'en moyenne 0,002€ à chaque fois qu'un de ses titres est écouté. C'est une moyenne et les rémunérations peuvent être différentes : elles varient si l'enregistrement a été écouté par un utilisateur « Free » ou par un abonné, ou encore en fonction des plateformes de streaming.

La protection des droits patrimoniaux liés à un enregistrement est donc de plus en plus complexe, et nécessite une connaissance de plus en plus approfondie des rouages de ce nouveau système.

Face à la rapide mutation de l'industrie dans cette nouvelle ère du digital, le législateur a parfois du mal à ne pas se faire distancer : c'était le cas aux États-Unis où avant le Music Modernization Act de 2018, les œuvres composées avant 1972 ne pouvaient prétendre au paiement de royalties lorsqu'elles étaient diffusées sur Internet. Heureusement la législation évolue et aujourd'hui tous les ayants droits d'enregistrements diffusés sur Internet ont les mêmes droits et un même taux de rémunération.

Cependant le droit ne doit plus aujourd'hui seulement permettre de protéger l'œuvre de façon défensive. Il doit aussi être une manière offensive de faire du business. L'évolution rapide de l'industrie a vu naître de nouveaux mécanismes qui, appuyés par des leviers contractuels, permettent de profiter de cette mutation pour sortir son épingle du jeu.

Les nouveaux enjeux liés à cette nouvelle industrie : un terrain fertile à la créativité

L'exclusivité

Dans un monde où tout est accessible, la bataille de l'exclusivité fait rage. En effet les contrats d'exclusivité et de distribution exclusive sont aujourd'hui un bon moyen de se différencier et de garder un certain contrôle sur son business.

Certains l'ont bien compris. Ainsi le site de streaming Tidal, qui a été créé par les géants de l'industrie musicale Beyoncé et Jay-Z, leur permettent de gérer la chaine directement du producteur au consommateur. Beyoncé avait d'ailleurs sortie en exclusivité son album « Lemonade » sur la plateforme, privant les autres plateformes de sa renommée. Néanmoins ces stratégies présentent toujours un risque, puisque l'effet de cette exclusivité a plutôt conduit les fans à télécharger l'album de façon illégale plutôt qu'à souscrire un abonnement à Tidal…

L'exclusivité peut aussi être utilisée comme moyen de relancer la vente d'albums physiques, au moyen d'actions ciblées et de contrats de distribution exclusive en lien avec des marques prestigieuses. Une illustration parfaite est le cas de la sortie d'un vinyle en exclusivité chez Colette, né d'une collaboration entre le rappeur américain Travis Scott et la maison Saint-Laurent. Ce contrat de distribution exclusive, avec un partenaire premium et pressé sur un medium qui a de nouveau le vent en poupe, a permis d'hisser cette compilation au rang d'objet de collection.

Cette diversification des contrats (partenariats, exclusivité) est symptomatique de la mutation de l'industrie musicale. Ces contrats sont communément appelés des « contrats 360 », qui ont pour but de diversifier les sources de revenus.

Les nouvelles sources de revenus pour les maisons de disque : les contrats dits « 360 » Warner Music 360, Universal Music and Brand, Sony Music Partnerships, etc. Tous ces départements des maisons de disques ont un but commun : diversifier les revenus et trouver de nouvelles exploitations pour la musique et les artistes. La musique en elle-même n'est pas l'unique source de revenu et l'image des artistes en est une elle aussi.

L'artiste peut être partie à un contrat d'endorsement (qui est une collaboration, un contrat établi entre une marque et un artiste) afin d'être l'égérie d'une maison de haute couture par exemple. Les revenus peuvent aussi venir du merchandising, de t-shirts à l'effigie du chanteur, mais aussi de toutes sortes d'autres contrats accessoires.

Aujourd'hui, des équipes entières de marketeurs et de juristes, travaillent ensemble sur de nouveaux moyens de pallier cette fameuse crise du disque. Face à l'évolution constante de l'industrie musicale, la protection de l'œuvre est de plus en plus complexe. Plagié, remixé, samplé ou écouté illégalement, le libre accès qu'a fourni Internet rend presque impossible le contrôle absolu sur un morceau.

Le juriste doit aujourd'hui bien plus qu'avant être un businessman averti afin de protéger mais aussi de développer une œuvre devenue produit.

Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »

Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.
L'EDHEC Business School dispose de deux atouts pour contribuer aux réflexions sur ces sujets. D'une part, son centre de recherche LegalEdhec, dont les travaux – reconnus – à l'intersection entre le droit et la stratégie, et portant sur le management des risques juridiques et la performance juridique, l'amènent aujourd'hui à lancer son nouveau projet A3L (Advanced Law, Lawyers and Lawyering). D'autre part, ses étudiants, et en particulier ceux de sa Filière Business Law and Management (en partenariat avec la Faculté de droit de l'Université Catholique de Lille) et de son LLM Law & Tax Management, dont la formation et les objectifs professionnels les placent au cœur de ces enjeux du digital.

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