Affiches Parisiennes : Vous êtes avocate en droit du travail et vous lancez une plateforme d'accord collectif dédiée aux PME. Pouvez-vous nous en parler et nous dire comment vous est venue cette idée ?
Nathalie Attias : Cette idée m'est venue, sans m'en rendre compte, par le Conseiller Social de l'Elysée, que j'avais rencontré en ma qualité de coprésidente de la commission sociale de l'ACE, en juillet 2017. Il m'avait demandé d'aider à faire la promotion des accords d'entreprise car il savait que j'étais très engagée sur cette thématique. En effet, après m'être formée au processus collaboratif, j'avais compris qu'il fallait envisager l'interlocuteur comme un partenaire et pas comme un adversaire. C'est à cette condition que j'ai pris la co-présidence de la commission sociale de l'ACE, pour y faire la promotion du dialogue social parce que c'est ma conviction profonde. C'est une conviction philosophique et quand j'ai lu le rapport Combrexelle, je peux dire que le dialogue social m'est apparu comme incontournable et nécessaire. Par ailleurs, quand j'ai pris la responsabilité de l'Incubateur du Barreau de Paris, que j'ai vu ce marché émergeant du droit dans le digital, j'ai compris que la profession d'avocat était en totale mutation et que si on ne s'y adaptait pas, notre pérénnité serait remise en cause au profit de concurrents commerciaux. La crise sanitaire n'a fait que me conforter dans cette conviction. C'est ainsi que m'est venue l'idée de cette plateforme : aujourd'hui on trouve des plateformes qui permettent d'automatiser ou modéliser n'importe quel document juridique (d'ailleurs, les élèves avocats apprennent à modéliser dans le cadre du parcours du Lab EFB à l'Ecole d'avocat), alors pourquoi ne pas modéliser des projets d'accords d'entreprise ?
Un accord d'entreprise c'est un acte juridique et ce qui en fait sa spécificité, c'est qu'il vise à adapter le droit aux spécificités de l'entreprise. Quand, en tant qu'avocat, on est face à un chef d'entreprise qui nous explique ses besoins, on adapte la rédaction de l'acte en fonction de ces besoins. Quand on modélise un acte, il suffit d'avoir un éventail de clauses le plus large possible pour permettre à l'entreprise, une fois qu'elle est face à un formulaire, de choisir l'option qui lui correspond le mieux. C'est une question de variable. L'accord d'entreprise, c'est exactement la même chose ; donc j'ai imaginé cette possibilité de créer un outil qui allait permettre de modéliser des projets d'accord d'entreprise. Cette idée a fait son chemin de manière assez philosophique et intellectuelle, j'ai échangé notamment avec des spécialistes qui ont trouvé l'idée bonne et m'ont confié qu'ils connaissaient des entreprises avec des DRH d'entreprises comptant des effectifs de 300 à 400 salariés, qui ne sont pas formées. Pourquoi ? Car le DRH est souvent débordé et monopolisé par trop de sujets. Et le dialogie social est malheureusement vécu comme subi, comme une contrainte.
Donc, en fait, les chefs d'entreprises, DRH, RRH sont confrontés à trois problématiques, la question de la formation, de la charge de travail et du coût parce que l'entreprise qui veut conclure un accord d'entreprise sur un sujet qui lui tient à cœur par rapport à ce qu'attendent ses salariés, va contacter un avocat ou téléphoner à des amis pour demander des modèles. Cela peut être long et vécu comme trop compliqué. C'est pourquoi j'ai décidé de proposer quelque chose de simple, rapide et surtout sécurisé. J'ai attendu de terminer mon mandat au Conseil de l'Ordre et donc celui que je tenais à l'Incubateur du Barreau de Paris pour me mettre au développement de cet outil, ce qui a abouti à la concrétisation de mesaccordscollectifs.com.
Le site est actuellement en cours de développement mais en attendant, des accords sont déjà disponibles sur le site de lancement que j'ai mis en ligne. Il suffit de nous contacter pour obtenir un lien de téléchargement.
Concrètement, cela fait déjà plusieurs mois que je modélise des accords, à ce jour près d'une quinzaine d'accords sont déjà disponibles. J'ai évidemment commencé par les accords prioritaires : l'accord de mise en place CSE, parce que depuis le 1er janvier, le CSE est obligatoire et qu'avec l'activité partielle, les entreprises qui n'avaient pas organisé d'élections et qui ont eu recours à l'activité partielle vont être obligées de les organiser et de mettre en place un CSE. J'ai aussi tout de suite modélisé un règlement intérieur, puis l'accord/charte télétravail, l'accord déconnexion, ou encore l'accord forfait jours, puisque, avec la liberté qui a été offerte par l'ordonnance Macron de septembre 2017, la primauté est donnée à l'accord d'entreprise sur les autres normes, c'est-à-dire lois et contrats de travail. Je suis en cours de modélisation de l'accord d'activité partielle longue durée, l'accord de performance collective, en fait, de tous les accords dont les entreprises vont avoir besoin maintenant pour sauvegarder leur entreprise et l'emploi. Et puis, en lisant le bilan 2019 de la négociation collective, j'ai vu une augmentation de 44 % des accords d'entreprise qui ont été conclus par les TPE, dont la moitié intéresse la participation et l'épargne salariale. Donc, je suis en train de modéliser ces accords là aussi puisque c'est une vraie demande des entreprises. Il y a donc un marché considérable et qui va bien au-delà de celui envisagé initialement. Je m'étais dit qu'il fallait aider les TPE/PME jusqu'à environ 300/400 salariés mais en réalité, les juristes d'entreprise de grosses structures, qui veulent faire un accord, vont d'abord demander à des amis et seront exactement dans la même préoccupation d'avoir un modèle sécurisé, fiable et conforme aux dernières mises à jour. La cible est donc plus large que PME/TPE/ETI.
Les avocats eux-mêmes pourront se servir de cette plateforme pour proposer des projets à leurs clients, nous allons proposer des partenariats et des abonnements.
A.- P. : Quels sont les accords qui sont déjà disponibles sur cette plateforme ?
N. A. : Il y a déjà des accords disponibles dont celui de mise en place CSE, d'égalité hommes/femmes, de déconnexion et usage des outils numériques, de méthode pour toutes les négociations annuelles obligatoires, de charte de télétravail, de règlement intérieur et d'activité partielle de longue durée. Parmi les accords à venir, on a le forfait jour, le document unique d'évaluation des risques professionnels, très important parce qu'avec la crise sanitaire, toutes les entreprises sont obligées de mettre à jour leur DUER, tous les actes et documents nécessaires à la procédure de négociation collective. Nous sommes également en train de modéliser l'accord de performance collective, la rupture conventionnelle collective et l'accord risques psychosociaux, la valorisation des parcours syndicaux, la qualité de vie au travail, accord sur la rémunération, la charte informatique qui concerne le travail de nuit, d'astreinte et en temps partiel etc..
D'ailleurs, une entreprise qui ne sait pas trop où elle en est au niveau de ses obligations légales en dialogue social/négociation collective a la possibilité de faire son propre diagnostic en quelques minutes. Il lui suffit de cliquer sur la pastille du site, de remplir un formulaire assez rapide et, à la fin, le récapitulatif lui indique les actions prioritaires qu'elle doit dresser selon trois degrés : urgence absolue, urgence relative ou à faire.
A.- P. : Tous ces accords s'adressent à des entreprises de combien de salariés ?
N. A. : A partir de 11, le seuil de mise en place d'un Comité Social et Economique, mais sans taille limite. Soit il s'agit d'une petite RRH qui est totalement débordée, qui n'y connait rien, qui va pouvoir se connecter à la plateforme et trouver facilement ces accords, soit il s'agit d'une PME de plus grosse taille, avec toujours la même problématique, soit il s'agit du juriste d'un grand groupe qui, plutôt que d'aller créer ex nihilo un document et d'aller chercher les documents PDF sur Internet va se connecter et, en répondant très rapidement à un questionnaire, obtenir une première trame qui sera une base sérieuse et complète de travail s'il veut encore l'affiner. Donc, en fait, il n'y a pas de limite. Quand j'ai conçu l'outil, j'ai vraiment pensé aux TPE/PME mais avec la rencontre du marché, je m'aperçois qu'il est beaucoup plus large.
Aujourd'hui, j'ai constitué une équipe dans le prolongement de mon activité en droit du travail auprès des entreprises ; j'adore le collectif, c'est une appétence qui doit venir du fait qu'il y a 15 ans, j'ai été avocate de Comités d'Entreprises, je les aidais à négocier avec les directions, j'adore la négociation, le conseil et la stratégie. Ayant décidé de m'impliquer professionnellement dans ce segment, il m'est apparu que le numérique est un outil extraordinaire pour aller rencontrer de nouveaux clients.