« La profession se fera-t-elle uberiser ? » a interrogé Virginie Roitman, vice-présidente de l'Ordre des experts-comptables Paris Ile-de-France, en introduisant les débats.
« Avec la généralisation des factures électroniques il va vraiment se passer quelque chose, donc comment conduire la transformation de nos cabinets ? », s'est-elle demandé après avoir dressé un constat plutôt sombre sur l'évolution de la profession en perte de marché.
La présentation interactive de Philippe Barré, expert-comptable et commissaire aux comptes fondateur associé de B Ready et Pluriels consultants, sur l'actualité de ce métier qui se tourne lentement mais sûrement vers le conseil confirme ce constat.
Concurrence accrue
Basant leurs propos sur les études chiffrées du think tank baptisé Les Moulins (notamment l'enquête réalisée en 2015 sur l'ubérisation de la profession, celle de 2017 sur les missions de demain, et enfin, la dernière sur les métiers comptables du futur produite l'an dernier), ils ont alerté leurs confrères sur l'urgence de la situation.
En effet, la prestation comptable assure encore 60 % du chiffre d'affaires de la profession tandis que les missions d'accompagnement ne représentent pour le moment que 2 %. Le virage vers le conseil ne semble donc pas être évident à prendre.
Pourtant, ce dernier est annoncé depuis des années, c'était d'ailleurs le thème du 72e congrès annuel de la profession tenu en 2017 à Lille, et malgré ça, « il ne s'est pas passé grand-chose » dénoncent certains experts dans l'auditoire.
Mais comme la grand-mère de Philippe Barré le dit si bien « on ne va pas faire de courses quand le frigo est plein » donc tant que les cabinets gagneront un chiffre d'affaires suffisant en faisant de la simple tenue comptable ils ne s'investiront pas dans leur transition.
Et pendant ce temps-là, de nouveaux acteurs font leur entrée sur le marché. Depuis 2019, 900 millions de fonds ont été levés dans le secteur de la comptatech. L'arrivée des robots comptables et des néobanques en ligne chamboule la profession et induisent une baisse des tarifs. Pour Philippe Barré « les néobanques proposent des services utiles que nous devrions proposer aussi comme des tableaux de bords et du pilotage comptable et stratégique ».
« Les attentes des clients changent car ils n'ont plus envie de payer des trucs qui ne leur servent à rien », a-t-il lancé à ses confrères, sans concessions.
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Impact de la facture électronique
« L'automatisation nous la demandons depuis des années donc réjouissons-nous ! », a-t-il poursuivi sur une notre plus positive.
En effet, la généralisation de la facture électronique, qui sera obligatoire pour toutes les entreprises dès 2023, supprime des tâches très significatives des experts-comptables qui vont devoir développer de nouvelles missions car entre 20 et 25 % de leur activité va disparaître.
L'objectif de cette réforme est de réduire le gap de TVA. L'État italien l'a fait et récupère 2 milliards d'euros par an depuis « donc l'Etat français a hâte de la mettre en place » selon Virginie Roitman.
Comme la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source (PAS) et de la déclaration sociale nominative (DSN), ce chantier se passera certainement très bien car les professionnels le redoutent mais s'y préparent.
Opportunité de montée en compétences
Ce bouleversement légal peut ainsi être une aubaine selon les trois intervenants qui y voient une belle opportunité de montée en compétences et en intérêt du métier. Par ailleurs, il semble que les professionnels soient enclins à cette évolution puisqu'un bref sondage dans la salle a souligné leur appétence pour « l'adaptation aux circonstances ».
« On est dans une situation inespérée qu'on attend depuis 30 ans : faire de l'accompagnement à la conformité fiscale. On va enfin faire notre métier d'expert », s'est réjoui Philippe Barré.
Ce dernier a donc conseillé de « mettre le paquet sur les missions d'accompagnement qui sont industrialisables et récurrentes », notamment l'accompagnement au pilotage de l'entreprise ainsi qu'à la gestion de trésorerie ou encore à l'assistance RH (formation, intéressement, bilans annuels personnalisés…).
« S'il y a bien un moment où il faut entrer dans la profession c'est maintenant ! », a répondu Virginie Roitman à la question d'un étudiant sur les perspectives d'emploi. « C'est une formidable opportunité car le secteur continue de se développer et devient beaucoup plus riche au quotidien », a ajouté Jean-François Marvaux qui milite pour mieux marketer l'attractivité de la profession.
En conclusion, la vice-présidente de l'ordre a présenté le nouveau parcours de formation créé par l'institution pour accompagner les cabinets à la transformation « avec le nouveau rendez-vous gratuit des mardis de la transfo » qui utilise les outils Cap New Biz et Cap Performance. Très enthousiaste, Virginie Roitman a fini par inviter ses confrères à prendre le virage sans hésiter à avoir recours à l'accompagnement de mentors experts-comptables auditeurs de qualité et de coachs certifiés présélectionnés par l'ordre.
Les 5 phases à suivre
Jean-François Marvaux, consultant spécialisé en conduite du changement et directeur pédagogique HEC Paris, a proposé à l'auditoire des solutions à mettre en œuvre pour arriver à moderniser leurs structures.
Après avoir partagé l'anecdote selon laquelle il a lui-même recours à deux cabinets d'expertise comptable qui travaillent de façon tout à fait différente « avec des dimensions complètement opposées vis-à-vis de la relation client », dont un qui fonctionne exclusivement à distance, il a invité les experts-comptables à revoir leur posture professionnelle.
En les comparant à son dentiste plutôt qu'à un masseur sous la forme d'une plaisanterie, il a souligné la perception générale que ces experts du chiffre ont de leur rôle, c'est-à-dire « une nécessité déplaisante » pour leurs clients. Il leur a ainsi conseillé de « revoir la manière dont ils se considèrent et de donner davantage envie aux clients de venir les voir ».
Le consultant a ensuite présenté une démarche de conduite du changement en cinq étapes avec l'utilisation d'outils spécifiques :
- phase 1 : le diagnostic
- phase 2 : la cible
- phase 3 : la mise en œuvre
- phase 4 : le plan d'accompagnement humain
- phase 5 : le plan de communication
Selon lui, ce changement doit être global et toucher cinq périmètres : la structure du cabinet, ses processus, le collectif, ses collaborateurs, et enfin ses finances.
Enfin, pour que le projet réussisse il doit y avoir « au moins 60 % des équipes qui comprennent, adhèrent ou réalisent » cette transformation.