Face aux difficultés persistantes des quartiers prioritaires, trois sénatrices, spécialistes de la politique de la ville, Viviane Artigalas (SER), Dominique EstrosiSassone (LR) et Valérie Létard (UC) plaident pour un changement de regard sur la politique de la ville. Elles ont ainsi présenté un rapport d’information lors d’une séance de la commission des affaires économiques, où elles demandent à l’Etat de garantir les moyens d’un changement de politique sur le long terme.
Dans leur travail, les trois sénatrices démontrent que l’inégalitéterritoriale demeure un enjeu de cohésion nationale. « Loin de bénéficier d’un traitement préférentiel, les services publics de droit commun y sont insuffisants. Il y a moins de personnels médicaux, moins de crèches, moins de bibliothèques, moins de présence de Pôle emploi, mois de justice, moins de police… », déplore ainsi Viviane Artigalas.
Objectif de réussite des habitants
À l’issue de leur trentaine d’auditions et de leurs déplacements dans les quartiers, ce rapport du Sénat montre cependant que ce regard pessimiste mérite d’être nuancé. Les quartiers mentionnés jouent un rôle de sas, et la politique de la ville, de tremplin pour les habitants dont la mobilité résidentielle et économique est réelle. Or, ces réussites ne sont pour l’instant ni un véritable objectif ni ne sont mesurées. « À regarder la photo et non le film, les difficultés des quartiers et non l’histoire des habitants, une partie de la réalité échappe à l’analyse », explique Dominique Estrosi Sassone.
Le rapport propose donc d’ajouter à l’objectif d’égalité territoriale de la politique de la ville celui de réussite des habitants, et de renforcer fortement les capacités d’évaluation. « L’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) est en état de mort cérébrale, sans direction et avec un effectif divisé par cinq depuis 2014 », explique Valérie Létard, sénatrice du Nord. Il doit également pouvoir analyser les discriminations en fonction du lieu de résidence et de l’origine réelle ou supposée.
Des moyens sur la durée
Après un quinquennat marqué par le « Stop & Go » (« politique économique conjoncturelle par alternance de mesures de freinage et de relance »), du classement sans suite du rapport Borloo à l’oubli des quartiers dans le plan de relance et après une crise sanitaire dramatique, les sénatrices demandent ainsi au Gouvernement un cap clair et des moyens dans la durée. « Élisabeth Borne doit convoquer très rapidement un comité interministériel des villes pour assurer le pilotage interministériel de cette politique », pose Sophie Primas. Les sénatrices appellent également le nouveau ministre Olivier Klein à lancer la révision de la loi Lamy, qui est le fondement juridique de la politique de la ville, et une loi de programmation pour la ville, afin d’en garantir les moyens dans la durée. Elles demandent le retour d’une contractualisation avec les autres ministères, abandonnée depuis 2016, pour garantir un traitement égal des quartiers par rapport au reste du territoire.
Un rapport proposition de loi ?
Les sénatrices proposent enfin une politique de la ville plus partenariale, opérationnelle et territorialisée. La géographie prioritaire et les contrats de villes prolongés depuis dix ans doivent être actualisés, repensés et adaptés, estiment-elles. Les territoires doivent prendre en compte les poches de pauvreté aujourd’hui sans solution et mettre en œuvre un vrai projet de territoire. L’expérimentation de la décentralisation des crédits aux collectivités qui le souhaitent doit être envisagée.
Parmi douze recommandations, le rapport demande également de mettre fin aux appels à projets systématiques qui fragilisent les associations, d’impliquer plus les entreprises et de développer et d’accompagner l’entrepreneuriat comme modèle de réussite accessible, notamment pour les femmes. « Nous déposerons notre propre proposition de loi si le Gouvernement ne le fait pas », annoncent les sénatrices.