Affiches Parisiennes : Lors de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux du 17 septembre, les avocats ont voté une motion demandant au législateur la suppression de l'amendement qui supprimait l’extension du secret professionnel en matière de conseil inclus dans le projet de loi pour la « Confiance dans l’institution judiciaire ». Le CNB a-t-il eu gain de cause ?
Olivier Attias : Non hélas. L’amendement du Sénat – qui a finalement été voté – n’a pas supprimé l’extension du secret professionnel en matière de conseil proposée par l’Assemblée Nationale mais est venu limiter sa portée en complétant l’article préliminaire du code de procédure pénale par la phrase suivante : « Le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, aux articles 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal, ainsi qu'au blanchiment de ces délits ».
« Il est encore possible que le CNB obtienne gain de cause si la commission mixte paritaire réussit à trouver un compromis »
Ainsi le Senat a supprimé le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil uniquement dans le cadre des enquêtes pour la répression des délits de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de ces délits.
S’agissant de ces délits, il est encore possible que le CNB obtienne gain de cause si la commission mixte paritaire convoquée le 30 septembre dernier réussit à trouver un compromis et concilier les intentions des deux chambres.
A.P. : Vous exercez en droit pénal des affaires et compliance ainsi qu’en contentieux boursier, donc pour une clientèle d’entreprise. Le secret professionnel a-t-il une place importante dans votre pratique quotidienne ?
O.A. : Le secret professionnel occupe une place centrale dans nos domaines d’intervention. A cet égard, les différentes autorités avec lesquelles nous travaillons, telles l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») ou l’Agence Française Anticorruption (« AFA ») par exemple, adoptent des positions divergentes à ce sujet, ce que nous peinons à expliquer à nos clients.
Par exemple, l’AMF a tendance, dans le cadre de ses enquêtes, à prendre plus volontiers en considération le secret professionnel de l’avocat que l’AFA. En effet, lors de ses visites domiciliaires, l’AMF a pour usage de saisir l’intégralité des données sur deux disques durs externes et d’en remettre un à l’avocat afin qu’il puisse faire un tri des éléments couverts par le secret professionnel dans un délai négocié avec l’AMF. Le simple fait que l’avocat soit destinataire ou expéditeur d’une communication suffit à protéger cette dernière, peu importe que ce soit en matière de conseil ou de défense. Ces éléments couverts par le secret professionnel seront supprimés de la copie utilisée par l’AMF et ne seront pas exploités dans le cadre de l’enquête.
« Les règles du secret professionnel doivent être fixées une fois pour toutes »
L’AFA quant à elle adopte une vision très différente du secret professionnel de l’avocat et estime qu’il ne lui est en aucun cas opposable. En effet, elle considère sur le fondement de l’article 4 de la loi Sapin II, assurant à ses agents un droit de se voir communiquer tout document professionnel ou toute information utile de la part de la société contrôlée, qu’aucune exception relevant du secret professionnel avocat-client ne peut lui être opposée.
Cependant, dans la mesure où des agents peuvent par exemple demander la communication de documents créés par des avocats à l'occasion d'une enquête interne portant sur des soupçons de corruption et que ces derniers sont également soumis à l’article 40 du code de procédure pénale qui leur impose de dénoncer au procureur de la République tout fait dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leur fonction qui relève d’un crime ou d’un délit, cette vision restrictive du secret professionnel est très critiquable.
Le droit de communication de l’AFA n’est pas assorti de pouvoir coercitif et peut donc, par hypothèse, faire l’objet d’un refus de la part de la société contrôlée. Mais elle s’exposerait alors au délit d’entrave qui est puni de 30 000 euros d’amende, ce qui en pratique affaiblit la protection du secret professionnel de l’avocat.
Il est donc important que les règles du secret professionnel soient fixées une fois pour toutes, ce qui est dans l’intérêt du justiciable mais également de l’institution judiciaire qui pourrait ainsi se passer de conflits inutiles avec les avocats.
A.P. : Etant donné que le droit européen protège le secret professionnel de l'avocat, consacré par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, tant au titre de l'activité de conseil que de défense, une action judiciaire est-elle envisageable pour imposer cette extension ?
O.A. : Effectivement, certaines actions en justice sur le fondement des articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l’homme dont une notamment contre la France devant la CEDH ont montré que les perquisitions et les saisies chez un avocat peuvent porter atteinte au secret professionnel et plus particulièrement encore lorsque la perquisition vise à contourner les difficultés rencontrées par les autorités dans la collecte des éléments à charge dans une affaire de fraude fiscale.
« Le secret professionnel de l’avocat n’est pas un privilège mais bien un principe essentiel de l’Etat de droit et de la démocratie »
On pourrait ainsi imaginer des recours sur le fondement de ces articles devant la CEDH pour des perquisitions conduites au cabinet de l’avocat dans le cadre d’enquêtes sur des délits d’atteinte à la probité. Cependant, il semble que cette démarche serait à envisager en dernier ressort, d’autres éléments de défense dans ces dossiers permettant généralement à l’avocat de défendre son client.
A.P. : Considérez-vous le secret professionnel de l’avocat comme un marqueur démocratique qu’il faut protéger à tout prix ?
O.A. : Absolument. Il est évident que le secret professionnel est un marqueur démocratique. Tout d’abord, le secret professionnel assure le droit à un procès équitable et le respect à la vie privée et familiale qui sont deux principes essentiels dans une société démocratique. Le secret professionnel participe aussi à la bonne administration de la justice dans la mesure où il est essentiel au respect des droits de la défense.
En cela, le secret professionnel de l’avocat n’est pas un privilège pour l’avocat mais bien un principe essentiel de l’Etat de droit et de la démocratie. Il doit ainsi couvrir toute l’activité de l’avocat, c’est-à-dire son activité de défense mais également de conseil.