En France, l’expression anglo-saxonne « say on pay » désigne le dispositif introduit par le code AFEP-Medef, par lequel les entreprises organisent un vote consultatif de leurs assemblées générales sur les rémunérations de leurs dirigeants. Les enjeux à prendre en compte sont évidemment de nature économique mais également juridique et stratégique. Un chantier qui nécessite une agilité certaine.
Un mécanisme à applications variables
Tanguy Allain, maître de conférence en droit privé à l’université de Cergy-Pontoise, a présenté une étude réalisée par l’IFA (Institut Français des Administrateurs), à laquelle il a contribué alors qu’il travaillait pour la CCI Paris Ile-de-France (Chambre de commerce et de l’industrie Paris Ile-de-France), sur le mécanisme du say on pay et son application à travers le monde.
L’IFA a réalisé un Benchmark international d’une trentaine de pages intitulé « say on pay : comparaisons internationales et bonnes pratiques » afin d’étudier au plus près ce dispositif. La période de tensions économiques et financières a placé la rémunération des dirigeants au cœur des débats des acteurs de la gouvernance (dirigeants eux-mêmes, administrateurs, actionnaires, salariés, responsables institutionnels et politiques). Le niveau et la progression de ces rémunérations, leur corrélation avec la performance de l’entreprise, le rôle et la responsabilisation des organes concourant à leur détermination - ou contrôle - retiennent de plus en plus l’attention. Grâce aux réseaux respectifs de la CCI Paris Ile-de-France, de l’Ecoda (the European Confederation of Directors Associations), du Club IFA des présidents de comités des rémunérations, et de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), ce rapport apporte une vision synthétique et comparée des modalités opérationnelles de mise en application du say on pay dans des pays de cultures diverses et de maturités différentes sur ce sujet.
Pour Tanguy Allain, ce rapport dessine une définition générale du say on pay, et ses différentes déclinaisons en fonction des critères suivants :
- le type de sociétés ciblées : cotées en bourse ou non
- la nature du vote : volontaire (par ex. Croatie et Slovénie) ou obligatoire, et dans ce cas, consultatif (par ex. Etats-Unis, et France) ou contraignant (par ex. Danemark)
- la fréquence et le calendrier du vote : annuel (par ex. Royaume-Uni, pour le vote sur la rémunération effectivement versée au cours de l’exercice) ou pluriannuel (par ex. Pays-Bas quand la rémunération est modifiée, ou au Royaume-Uni, tous les trois ans sur la politique de rémunération), ex ante ou ex post
- les éléments déclencheurs du vote : les dirigeants concernés, la composition de leur rémunération, la politique de rémunération
- les conséquences du vote de rejet : certains pays prévoient des sanctions particulières telles que des sanctions administratives et/ou amendes (Luxembourg) ou la mise en jeu des mandats d’administrateurs (Australie)
De l’autorégulation à l’interventionnisme de l’Etat ?
Une quinzaine de pays de l’Union européenne ont déjà adopté, ou sont sur le point d’adopter, le principe. Récemment, a rappelé Pierre-Louis Cléro, avocat associé, Latham & Watkins, la Commission européenne a inscrit le say on pay dans son « Action plan : European company law and corporate governance ». La réglementation européenne pourrait rendre obligatoire la consultation des actionnaires sur la politique de rémunération et la rémunération versée ou due aux dirigeants.
En France, le dispositif, sous forme d’un vote ex post consultatif et annuel de l’Assemblée générale sur les rémunérations versées ou dues au titre du dernier exercice clos aux dirigeants mandataires sociaux, a constitué l’une des principales innovations du nouveau Code Afep-Medef, publié le 16 juin 2013. Il s’agit donc d’une règle de soft law, établie par les dirigeants eux-mêmes, et pas d’une injonction du législateur comme c’est le cas aux Etats-Unis depuis la loi Dodd-Frank de 2010.
Un impact relatif sur les rémunérations
Véronique Bruneau-Bayard, directrice de Labrador Conseil, rappelle que les comités de rémunération doivent impérativement être indépendants et composés d’un petit nombre impair de membres (3 à 5). Elle indique que 60 % des grandes sociétés aux Etats-Unis établissent un parallèle entre résultats en bourse et rémunération des dirigeants, ce qui témoigne d’un véritable désir de relier la paie à la performance.
Première mondiale qui a marqué les esprits : les actionnaires de Citigroup et d’Aviva ont voté contre le salaire de leurs dirigeants. La société Barclays, soucieuse d’éviter une telle déconvenue, s’est autocensurée (et s’excuse même après un vote de 68 % d’actionnaires validant les rémunérations), n’empêchant pas la démission de certains hauts dirigeants.
En revanche, le rapport de l’IFA rappelle que « le say on say influence peu le niveau et l’évolution des rémunérations, à l’exception de cas extrêmes ». On aurait pu penser que cela favoriserait une baisse des rémunérations mais il n’en est rien.
D’après les travaux de l’IFA et les différentes interventions au débat, les effets les plus notables du say on say concernent :
- l’amélioration du dialogue en amont entre les entreprises, les investisseurs et les proxys advisors (agences de conseil en vote et en gouvernance créées à la demande des investisseurs institutionnels)
- la clarification des priorités stratégiques à intégrer dans les critères de rémunération des dirigeants (harmonisation sectorielle et internationale)
- le caractère pédagogique de la présentation de la rémunération, ceci au bénéfice d’une meilleure transparence envers les parties prenantes
- une analyse plus fine des niveaux de rejet des résolutions pour la mise en place d’actions correctrices éventuelles
Philippe Prouvost, directeur juridique corporate et secrétaire du conseil du groupe Pernod Ricard, confirme cela en partageant son retour d’expérience, sa société étant une des premières françaises à appliquer le say on pay.
De la transparence à la cohérence
Si les grandes entreprises sont désormais matures en matière de transparence sur les rémunérations, elles doivent toutefois être vigilantes sur la cohérence entre l’affichage de leur politique de rémunération et les rémunérations effectivement allouées, pointe Florence Priouret, directrice de division à la direction des émetteurs de l’AMF.De fait, si la plupart des sociétés affichent une politique de rémunération favorisant une part fixe supérieure à la part variable des salaires qu’elles versent à ses dirigeants, il n’est pas rare que les éléments de rémunération variables dévolus aux dirigeants (« parachutes dorés », retraites chapeaux, indemnités de non-concurrence, stock-options, actions dites de performance…) dépassent la part fixe. Le say on pay attire l’attention sur la transparence des rémunérations et sur leur cohérence avec la stratégie de l’entreprise, les performances de l’entreprise et celle du dirigeant souligne Caroline de la Marnierre, présidente, fondatrice de Capitalcom.
A ce moment de la rencontre, c’est la délicate question de la stricte confidentialité des propos échangés lors des conseils qui avive le débat. Les administrateurs salariés ont certes abandonné tous leurs mandats syndicaux comme l’exige la soft-law, mais des liens informels subsistent avec les organisations syndicales. Pour certains participants pourtant, cette obligation est un artifice regrettable. « Cette indépendance n’est qu’officielle, formelle. La légitimité d’un administrateur salarié sera d’autant plus grande qu’il représentera un des syndicats présents dans l’entreprise. Cela contribuerait aussi à impliquer officiellement les organisations syndicales sur le sujet, à faire en sorte qu’elles développent plus encore leurs compétences. La discussion avec les autres parties prenantes n’en serait que plus intéressante ».
L’important est de parvenir à une dynamique de confiance et de logique quant à la rémunération des dirigeants car nos entreprises doivent aussi pouvoir attirer des hommes et des femmes de talent pour faire face à la concurrence notamment internationale.