Affiches Parisiennes : Pour ce Campus 2014, comment l’AFJE organise-t-elle la formation professionnelle des juristes d’entreprise ?
Hervé Delannoy : Le Campus AFJE a été la première incursion concrète de l’AFJE dans le domaine de la formation continue, et ce de façon durable, ce qui se confirme puisque nous allons vivre la quatrième édition. Cette dernière a été totalement revue et retravaillée. Nous avons notamment renforcé la présence des juristes d’entreprise dans le programme, associés à des personnalités du monde du droit des affaires : – professeurs, avocats, commissaires aux comptes, notaires…–. Nous constatons que les juristes d’entreprise peuvent être d’excellents pédagogues. Pour cette 4e édition du Campus AFJE , nous avons également renouvelé l’offre pour qu’elle soit plus variée et pour que ces thèmes intéressent le plus de personnes possibles. Nous avons inclus des sujets sur l’actualité juridique avec notamment l’atelier consacré à l’impact de la loi Hamon sur les contrats d’affaires, comme nous avons aussi voulu couvrir une large variété de sujets s’inscrivant dans la réalité de l’entreprise allant du pénal avec l’atelier "êtes-vous armé contre le risque pénal" à l’immobilier avec l’atelier sur l’optimisation du patrimoine immobilier de l’entreprise. Ce programme présente toujours les sujets incontournables, fondamentaux comme ceux du droit des sociétés, du droit des contrats ou du droit commercial que les juristes aiment à retrouver ; certains étant traités en anglais comme "Intellectual Property in the digital world" ou l’atelier sur la négociation "Hard facts behind soft skills in negotiation: From dating to wedding". Par ailleurs, il nous a semblé indispensable d’apporter à cette journée de formation des clés qui permettront aux juristes d’entreprise et aux directions juridiques de renforcer encore leur place au sein de l’entreprise. Ainsi, le Campus AFJE 2014 propose des ateliers de management sur le pilotage, reporting et communication interne, les nouveaux rôles du juriste, la cartographie des risques juridiques, le perfectionnement de la communication écrite… autant de thèmes qui visent à structurer la méthode de travail en entreprise.
Les sujets traités en anglais sont pris en charge par Doris Speer et Stéphanie Couture, deux Nord-Américaines, et Philippe Lamy rompu à la négociation internationale au sein de grands groupes. Des intervenants de grande qualité comme Stéphanie Fougou, directrice juridique de Vallourec et vice-présidente de l’AFJE, et Jérôme Trichet, associé fondateur de Legalinside, vont appréhender les nouveaux rôles du juriste d’entreprise. Les professeurs de droit d’une grande école de commerce - l’EDHEC, Christophe Collard et Christophe Roquilly viendront partager leur expérience sur des thèmes liés au pilotage, reporting et la communication interne au sein de la direction juridique.
AP : Vous organisez également une plénière ?
H D : Oui, elle est consacrée à la déontologie, puisque, comme vous le savez, l’AFJE a refondu cette année son code de déontologie qui sera présenté à notre AG du 18 novembre prochain. Cette plénière du Campus AFJE est placée sous la direction de Philippe Coen, vice-président de l’AFJE qui a animé le groupe de travail, en compagnie de Jean-Charles Savouré, Véronique Chapuis-Thuault, Stéphanie Couture et Jean-Yves Trochon. William Feugère, vice-président de l’ACE, et Patrick Guérin, un juriste un peu atypique qui travaille sur la conformité au sein d’un fonds d’investissement, interviennent également sur ce sujet essentiel pour nous.
AP : Quelle est l’importance de cette déontologie du juriste pour son entreprise ?
H D : La plupart des professions juridiques comme celles de nos homologues étrangers sont réglementées. Nous sommes la seule profession qui ne la soit pas en France, ce qui ne doit pas nous empêcher de développer notre déontologie notamment en vue de l’obtention de la confidentialité. Les professions d’avocat et de juriste d’entreprise vont de plus en plus interagir. Il nous faut donc bien connaître celles de nos partenaires externes et notamment celle des avocats et renforcer la nôtre. Pour une bonne pratique du droit, nous devons tous disposer aujourd’hui impérativement de ce type de règles.
AP : Concernant la confidentialité, en quoi est-ce un enjeu ?
H D : Nous venons de publier un numéro spécial du Juriste d’entreprise Magazine sur la confidentialité. Compte tenu des avis disparates pouvant apparaître de façon souvent très incomplète défendant parfois principalement des intérêts corporatistes, avec des arguments peu solides, nous avons voulu réunir sur un seul document l’intégralité des avis de personnalités éminentes, du monde du droit, aussi bien françaises qu’étrangères, dont on ne peut douter ni de leurs connaissances ni de leur expérience. Nous préparons également, avec nos partenaires de l’ACE, un événement le 6 octobre, au CESE (Conseil économique, social et environnemental), qui va réunir des
représentants des entreprises et des avocats, mais aussi la directrice des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, un représentant du ministère des Affaires étrangères, dont la démarche de diplomatie économique est sensible à la compétitivité du droit. Le but est d’en débattre très ouvertement. Ceux qui s’opposent à la confidentialité ne sont pas forcément les plus impliqués dans le droit des affaires. Nous ne comprenons pas que les échanges en interne, relatifs aux avis juridiques oraux et écrits, entre les juristes et les responsables de l’entreprise ou les juristes et les conseils extérieurs, ne puissent pas bénéficier de la même confidentialité que celle des avocats. Ce qui est à sanctionner, c’est la décision finale, pas les réflexions préalables… Il ne faut pas que ces dernières puissent constituer des éléments à charge. Dans une décision juridique, il faut envisager de nombreuses hypothèses, il n’y a pas de solution réellement parfaite, ne serait-ce notamment qu’avec les changements fréquents de la législation. Il faut adapter, corriger… Ce qui est important, c’est que cette phase de réflexion ne constitue pas une source supplémentaire d’incertitude critique. La confidentialité est donc pour nous très importante, à la fois pour le droit, pour sa façon d’être exercé, mais aussi pour la compétitivité. Les juristes français sont largement désavantagés par rapport à leurs homologues étrangers. La décision est aujourd’hui entre les mains de la ministre de la Justice. Sans forcément passer par un statut de profession réglementée, nous pourrions disposer de cette confidentialité par un simple texte l’instaurant pour les juristes d’entreprise, à l’instar du régime en vigueur pour les conseils juridiques qui étaient assez souples et efficace. Nous pouvons aussi envisager l’obtention de celle-ci par la création du statut d’avocat en entreprise qui unirait en une seule profession juristes et avocats, avec cet avantage au-delà de l’octroi de la confidentialité aux juriste d’entreprise de créer une meilleure synergie entre les deux professions, peut-être aussi d’aérer et d’ouvrir de nouveaux champs à la profession d’avocat.
AP : Cette absence de statut clair handicape la mobilité du juriste d’entreprise français…
H D : Bien entendu. Au-delà de la confidentialité, ce statut que nous n’avons pas aujourd’hui nous gêne pour travailler à l’étranger. Pour pratiquer le droit français ou international aux États-Unis, par exemple, il faut pouvoir justifier de l’appartenance en France à une organisation reconnue par l’État. Nous offrons actuellement de très grandes facilités d’accès pour les juristes d’entreprise étrangers en France, sans bénéficier de la réciprocité. Néanmoins, les choses évoluent et le gouvernement semble aujourd’hui particulièrement sensible aux questions de compétitivité.
AP : Quel est l’avenir du campus AFJE ?
H D : Le Campus reste le pivot. Nous souhaitons néanmoins qu’il ne constitue pas notre unique offre de formation. Nous prévoyons d’organiser trois sessions parallèles de formation sur des thèmes très précis, notamment le droit des contrats, qui va évoluer, et les conventions réglementées constituent des thèmes récurrents qui pourraient donner lieu à une journée de formation régulière, avec des spécialistes. Nous étudions aussi des modules plus structurés dans le domaine de la communication. Nous aimerions également développer des formations avec nos amis anglais du Center for Commercial Law Studies du Queen Mary College of London avec des intervenants dont les méthodes de formation sont différentes des nôtres.
AP : Faut-il rendre la formation des juristes d’entreprise obligatoire ?
H D : Il est vrai que cette formation n’est pas obligatoire, mais dans les entreprises, elle est permanente. Le juriste évolue dans un milieu où les sources d’information sont légion. Il a autour de lui des gens qui exercent des métiers très différents, d’autres juristes, spécialisés dans d’autres domaines. Sa formation est ainsi polymorphe, du partage de connaissances avec ses collègues au Campus AJFE, en passant par l’actualité et les revues juridiques… Au sein de l’entreprise, le juriste ne se forme d’ailleurs pas qu’au droit. Il doit également connaître les domaines propres à l’activité de l’entreprise, les produits, les nouveaux projets, les nouvelles ouvertures… Sans oublier le développement personnel : apprendre à communiquer et à manager, par exemple. Chacun doit trouver ses repères et les offres de formation les mieux adaptées. Obligatoire ou pas, la formation continue est indispensable.
AP : A l’heure où la rémunération des professions réglementées fait débat, qu’en est-il de celle des juristes d’entreprise ?
H D : Nous allons réaliser une étude très précise à la fin de cette année pour avoir une idée claire de la rémunération des juristes d’entreprise. Comme pour la plupart des professions, réglementées ou non, on constate de fortes disparités sur le niveau de rémunération des juristes. Le spectre semble si large que les rémunérations moyennes et médianes n’ont guère de signification. En première approche, il semble néanmoins que, globalement, la fonction se valorise actuellement. Je pense également, d’une façon un peu empirique, que les juristes d’entreprise sont en général mieux rémunérés à l’étranger. Nos enquêtes sont anonymes. Les juristes nous donnent à cette occasion sans difficulté leur rémunération en fonction de leur expérience, le type et la taille de leur entreprise, le secteur d’activité. Nous pourrons ainsi en déduire des niveaux de rémunération en fonction de l’âge, du niveau d’expérience, de la matière et du secteur d’activité.