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Le conciliateur au cœur de la justice de proximité

A l'occasion du 40e anniversaire de la conciliation de justice, le tribunal de grande instance de Créteil organisait une journée consacrée à cette institution. Cet événement s'adressait notamment aux juges, greffiers, conciliateurs, notaires, avocats et MTT du Val-de-Marne.
Le conciliateur au cœur de la justice de proximité
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Etaient présents pour l'ouverture de cette Journée conciliation : Stéphane Noël, président du Tribunal de grande instance (TGI) de Créteil, Pascale Taelman, bâtonnier de l'Ordre des avocats du Val-de-Marne, Alain Yung Hing, président de l'Association régionale des conciliateurs de justice, Brigitte Gambier, présidente du Tribunal de commerce de Créteil, et Fabrice Vert, magistrat premier vice-président du TGI de Créteil, spécialiste de la médiation.

La présentation de la procédure de conciliation était confiée à Natalie Fricero, professeure de droit à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis. Cette dernière a divisé son propos en deux parties, 40 ans étant à la fois « l'âge du bilan », mais également « l'âge des perspectives ». Cette intervention pertinente était suivie d'une table ronde réunissant Christophe Bouvot, juge d'instance, Chantal Barbier, coordinatrice des conciliateurs dans le Val-de-Marne et conciliatrice sur le ressort de Villejuif, Michèle Lehmann, MTT déléguée au tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, et Maria Costa, directrice des services de greffe judiciaires au tribunal d'instance de Villejuif.

Les participants étaient ensuite invités à s'inscrire aux ateliers qui se tenaient l'après-midi. Le premier, animé par Stéphane Nafir-Gouillon, magistrat et coordonnateur de formation en charge des MTT à l'ENM, était consacré au droit de la consommation et à la modélisation des constats d'accords. Le deuxième permettait aux participants d'aborder les difficultés posées par les troubles de voisinage au côté d'un médiateur formé à la communication non-violente.

Les intervenants ont eu l'opportunité d'échanger avec les participants, de nombreux conciliateurs de justice étant présents, et ainsi de recueillir des témoignages. Cette « journée conciliation » était l'occasion de mieux comprendre l'activité des conciliateurs de justice, à travers différents angles d'approche.

Qu'est-ce que la conciliation de justice ?

La conciliation peut être communément définie comme un mode amiable de règlement des différends (MARD) de la vie quotidienne. Elle peut intervenir en dehors de tout procès, devant un juge ou être déléguée à un conciliateur de justice. C'est une procédure simple, rapide et entièrement gratuite dans la mesure où les conciliateurs sont bénévoles.

La conciliation de justice est notamment encadrée par les articles 127 et 831 et suivants du code de procédure civile. L'article 127 prévoit que « Les parties peuvent se concilier, d'elles-mêmes ou à l'initiative du juge, tout au long de l'instance » et l'article 831, alinéa 1er donne au juge la possibilité de déléguer à un conciliateur de justice la « tentative préalable de conciliation ». Le décret du 20 janvier 2012, transposant une directive européenne de 2008, a créé dans le code de procédure civile un livre entier consacré à la résolution amiable des différents en dehors du procès.

La saisine du conciliateur de justice peut être décidée par les parties lorsque ces dernières s'accordent pour y avoir recours. Elle peut aussi faire suite à une demande du juge. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré une saisine obligatoire du conciliateur pour les litiges portant sur une somme inférieure à 4 000 euros.

L'opportunité de se réapproprier le litige

Comme le souligne le président du tribunal de grande instance de Créteil, Stéphane Noël, la conciliation de justice contribue au rapprochement du citoyen et de la justice. Ce mode amiable de règlement des différends s'inscrit dans une politique de renforcement de l'accès au droit. Il existe en France un peu plus de 2 000 conciliateurs de justice, dont 17 dans le Val-de-Marne. Ils sont compétents pour le règlement de ce que le président du TGI de Créteil appelle « les litiges de la vie courante, de la proximité », comme les problèmes de voisinage, les conflits entre propriétaires et locataires, les différends relatifs à un contrat de travail ou encore les litiges de la consommation. En 2015, ces conciliateurs ont été saisis au total de 142 000 affaires. Leur activité a ainsi débouché sur 56 % de solutions trouvées en procédure amiable. Pour Stéphane Noël, « c'est la preuve que les conciliateurs apportent une réponse satisfaisante ». Ce dernier évoque également une « révolution culturelle ». Brigitte Gambier, présidente du Tribunal de Commerce de Créteil, confirme cette idée lorsqu'elle parle d'un « frein culturel », en décrivant une France caractérisée par ce que l'on qualifie de « culture du conflit ». Une déconstruction de cette culture du conflit passe notamment par des formations, par exemple des interventions pédagogiques dans les écoles.

L'idée revient fréquemment durant les interventions : il faut faire évoluer les mentalités. Les justiciables aspirent souvent à un jugement de droit. Pourtant, la conciliation de justice est un mode alternatif efficace. Pour Pascale Taelman, bâtonnière de l'Ordre des avocats du Val-de-Marne, « Il vaut mieux un mauvais accord qu'un bon procès ». Cette dernière insiste sur la fonction du conciliateur : il permet au justiciable de se réapproprier le litige.

Du côté des acteurs du droit, le conciliateur de justice doit également se faire accepter. Le juge peut lui déléguer sa mission de conciliation. Cependant, certains magistrats peuvent se montrer réticents à recourir à des conciliateurs de justice. Brigitte Gambier évoque par exemple un « démarrage chaotique » pour les conciliateurs de justice au sein du Tribunal de commerce de Créteil. Aujourd'hui pourtant, elle assiste à de nets progrès (78 dossiers en 2017). La clé du succès est d'être directif face à cette forte résistance, afin de faire basculer les litiges en conciliation de justice.

Natalie Fricero, Stéphane Noel et Pascale Taelman et Brigitte Gambier.

Le statut de bénévole : frein ou moteur ?

Natalie Fricero insiste sur ce point lors de sa présentation : cette institution s'inscrit dans un service public. Le conciliateur de justice est un collaborateur, il est pleinement intégré dans le service public. La justice étant gratuite pour le justiciable, le statut de bénévole du conciliateur est cohérent.

Cette gratuité explique notamment, selon la professeure de droit, que les tribunaux décident de déléguer leurs fonctions aux conciliateurs de justice plutôt qu'aux médiateurs privés. Néanmoins, « le bénévolat peut être un frein », mentionne Pascale Taelman. Le conciliateur de justice doit avoir « le sens du service public ». Comme le résume Nathalie Fricero, si un conciliateur de justice est dérangé par le fait de travailler gratuitement, alors il vaut mieux qu'il s'oriente vers la médiation privée. Les tâches des médiateurs privés et des conciliateurs de justice sont sensiblement similaires. D'ailleurs, la distinction n'existe pas toujours à l'étranger. La directive de 2008 revient sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale et introduit la définition suivante : la médiation est « un processus structuré, quelle que soit la manière dont le médiateur est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes volontairement de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l'aide d'un médiateur ». Il convient de relever que le législateur européen mentionne un processus, et non une procédure. Il n'existe pas d'encadrement rigoureux de la conciliation et de la médiation en France, mais cela tend à évoluer. Les conciliateurs de justice, auxiliaires de justice, n'ont pas non plus les mêmes compétences et responsabilités que les médiateurs. Les médiateurs ne prêtent pas serment, même s'ils sont évidemment soumis à des règles de déontologie, tandis que les conciliateurs prêtent serment et sont tenus à l'obligation de réserve et au secret à l'égard des tiers. Enfin, les conciliateurs de justice sont habilités par la loi à rédiger un constat d'accord, qui n'est d'ailleurs pas nécessairement équilibré. Ils sont ainsi intégrés à la production de l'œuvre de justice. Le conciliateur présente chaque année un rapport d'activité au Premier président de la Cour d'appel, au procureur général, au magistrat coordonnateur des tribunaux d'instance ainsi qu'au juge d'instance.

La principale difficulté : l'exécution des accords

Lorsque le processus de conciliation aboutit, il donne donc lieu à la rédaction par le conciliateur d'un constat d'accord total ou partiel. Néanmoins, le conciliateur de justice n'a pas l'autorité du juge, il doit donc s'assurer que l'accord conclu est réalisable, exécutable pour les parties. L'une des parties peut en effet, extraite du climat d'apaisement induit par la conciliation, regretter cet accord, en particulier lorsqu'il prévoit un paiement ou une saisie.

Selon Natalie Fricero, il est donc primordial d'établir un écrit, d'une part, et de faire homologuer l'accord par un juge, d'autre part, afin de leur conférer leur force obligatoire. On peut rappeler ici que les accords sont des contrats de droit privé, donc soumis aux dispositions de l'article 1103 du code civil.

Les intervenants insistent sur la nécessité pour le conciliateur de se montrer vigilant. Pour éviter un contentieux post-résolution amiable, il doit se projeter et se poser systématiquement la question de l'exécution des accords : « Cet accord est-il exécutable ? », « et s'il ne se passe rien ensuite ? ».

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