Affiches Parisiennes : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre structure aujourd'hui ?
Sophie Engster : J’ai créé Chamberlan avec mon associé, Franck Le Franc, en 2015. Cette société est spécialisée dans la confection de souliers sur-mesure, en Dordogne. Nous avons développé une application smartphone qui permet de prendre les mesures des pieds et ainsi réaliser des chaussures sur-mesure. L’idée étant de réinventer le savoir-faire artisanal autour des souliers, tout en y alliant l’innovation.
A.- P. : Quel a été votre parcours ? Vous avez changé d'orientation dans le domaine des affaires ?
S. E. : J’ai intégré l’Ecole supérieure de commerce à Bordeaux et j'ai ensuite passé 10 ans dans le domaine du luxe, chez LVMH, pour les parfums Givenchy et Christian Dior. J'ai occupé successivement les postes de chef de produit développement parfum avant d’intégrer le service marketing opérationnel international. J'ai ensuite lancé le premier site e-commerce de la branche cosmétique du groupe LVMH. J’ai été nommée responsable CRM chez Dior. Dans la même période, j’ai rencontré mon futur associé, à la crèche de mon petit garçon. Je sortais tout juste d’un meeting durant lequel je portais de très jolies chaussures qui me faisaient énormément souffrir. Il s’est étonné que l’on puisse encore faire des chaussures aussi inconfortables et nous nous sommes questionnés sur ce qu’il nous semblait judicieux de réaliser pour palier ce problème.
Tout a démarré de cette discussion à la crèche. Je l’ai revu en septembre et nous nous sommes donnés quelques mois pour étudier la possibilité de concevoir et réaliser des chaussures sur-mesure et personnalisables en France. Dans un premier temps, nous souhaitions fabriquer nos souliers dans un atelier qui soit capable de faire du sur-mesure mais nous avons été confrontés à de nombreux de refus. Les ateliers de fabrication souhaitent réaliser des chaussures en série et ne sont pas équipés pour réaliser des souliers sur-mesure. Nous avons donc décidé de créer notre propre atelier et nous sommes mis à la recherche de la meilleure région où s'implanter. Nous avons sillonné la France et avons décidé de nous implanter en Dordogne où nous avons bénéficié d’un accueil exceptionnel et pu recruter des artisans compétents, issus de la filière cuir et le luxe de la région.
A.- P. : Vous considérez la chaussure comme une œuvre d'art ?
S. E. : Cela peut en effet s’apparenter à une œuvre d’art. La fabrication d’une paire de chaussures nécessite près de 250 opérations. Chez nous, chaque paire est unique puisqu’elle est personnalisée. Nos clients peuvent ainsi choisir la forme et la hauteur du talon, les couleurs et les matières. Pour certains, les souliers sont même réalisés aux mesures de leurs pieds. C’est une vraie fierté pour nos artisans de pouvoir réaliser des paires uniques et différentes, qui peuvent être destinées à une future mariée, une femme d’affaires ou bien pour une célébrité. Il y a une histoire derrière chaque chaussure.
A.- P. : Vous êtes aussi une femme entrepreneure très engagée dans les instances du Medef. Vous êtes d’ailleurs au Comex 40. Pourquoi avoir choisi de vous investir dans le milieu du patronat ?
S. E. : Nous avons été très bien accompagnés en Dordogne, que ce soit par le maire, le sous-préfet, la Chambre des métiers ou les services de la Région. Il y a une vraie cohésion sur ce territoire, qui nous a amené à rencontrer de nombreux chefs d'entreprise. C’est naturellement que nous avons souhaité nous investir et d'aider d'autres entrepreneurs par le biais d'actions que nous pouvons mener au travers de groupes de jeunes chefs d’entreprise, ou encore interagir avec des étudiants. C’est très important de s'investir pleinement pour développer l'attractivité du territoire.
Après avoir créé notre atelier, nous avons adhéré au Medef et très vite on m’a proposé d’intégrer le Comex 40, à Paris. Je suis fière d’y représenter la Dordogne. Le Comex 40 est un regroupement d'entrepreneurs de moins de 40 ans qui sont issus de tous les territoires, de toutes les industries, et avec qui il est intéressant d'échanger. Nous tâchons d'insuffler des idées nouvelles pour contribuer à réinventer l'entreprise de demain.
A.- P. : Combien de femmes compte le Medef ?
S. E. : Au Comex 40, nous avons souhaité afficher une véritable parité et sommes 23 femmes et 22 hommes.
Quel est votre rôle au sein du Comex 40 ?
S. E. : Nous travaillons sur des thématiques qui peuvent être liées aux flux migratoires, à la diplomatie, à de grands enjeux sur lesquels chacun de nous souhaite se positionner. Nous avons la chance de pouvoir interviewer de grands économistes spécialisés sur ce type de sujets. Ce qui nous permet ensuite de travailler ensemble, en petits groupes, afin de mener une réflexion sur ce qu'on préconiserait sur ces thèmes. C'est vrai que cela demande d’y consacrer du temps, mais c’est passionnant.
A.- P. : Vos produits sont-ils entièrement made in France et les vendez-vous seulement en France ?
S. E. : Nous faisons du 100 % made in France. Nous fabriquons absolument tout dans notre atelier en Dordogne, et nous y avons même notre propre bureau d'études. Nous maitrisons toutes les étapes, de la coupe au montage.
Au lancement, à notre grande surprise nous avons eu énormément de futures mariées. Je pense qu’elles sont à une période de leur vie où elles sont très sensibles au confort et à l'élégance, ainsi qu’au Made in France. Elles font un achat engagé quand elles viennent chez nous. Nous avons aussi beaucoup de femmes chefs d'entreprise qui marchent toute la journée sur des talons de10 cm et qui cherchent des souliers confortables et élégants.
Quant à notre stratégie de développement, elle s’est axée rapidement sur la Chine, puisque les clientes chinoises sont très friandes de souliers sur-mesure. En 2019, j’ai effectué trois voyages là-bas et nous avons ouvert notre premier distributeur à Shenzhen, en décembre 2019. Nous avons également signé un partenariat stratégique avec 12 points de vente spécialisés dans la fabrication de vêtements sur mesure du côté de Shanghai. Une ouverture qui, compte tenu de la conjoncture, est repoussée à 2022. L'expansion internationale a été, de ce fait, complètement stoppée. Depuis la légère reprise, nous avons pu ouvrir successivement à Houston, aux Etats-Unis, en Belgique, à Amsterdam et sommes en discussion avec d’autres marchés.
A.- P. : Êtes-vous une entreprise que vous qualifieriez d’éco-responsable ?
S. E. : Dans la mesure où nous fabriquons uniquement des paires à la demande et que nous n’avons aucun stock, oui, nous contribuons vraiment à une mode responsable. L'industrie de la mode en général est souvent qualifiée de très polluante, notamment parce que les stocks en fin de saison ne sont pas toujours bien gérés, avec des marques qui, jusqu'à présent, préféraient détruire les produits. A l’atelier, nous avons de petits stocks de composants et nos clientes patientent environ cinq semaines pour avoir la paire de leur rêve. Dernièrement, nous avons fait un pas de plus vers une autonomie énergétique complète, puisque nous avons déménager vers des ateliers beaucoup plus grands et surtout entièrement équipés de panneaux photovoltaïques. Nous essayons aujourd'hui, de réduire notre emprunte carbone au maximum et nous avons eu la chance, avec Franck, d'avoir été sélectionnés pour intégrer la Convention des entreprises pour le climat, qui a débuté au mois de septembre.
Ce sont 150 entreprises de tous les territoires et de toutes les tailles qui ont été sélectionnées et qui travaillent à rendre leur entreprise plus responsable.
A.- P. : Comment avez-vous traversé la période du Covid et comment vous êtes-vous organisé avec vos salariés ?
S. E. : C'était très dur parce que nous avons dû faire face à plusieurs difficultés : le report de l’ouverture de plusieurs points de vente en Chine, l’annulation d’une très belle commande en janvier, la gestion de l’ouverture de notre boutique parisienne dans une période de crise sanitaire. Nous sommes dans un quartier très touristique, près de la place Vendôme, qui est déserté depuis le début de la crise sanitaire. Donc, effectivement, le 16 mars 2020, quand tout s'est arrêté, nous avons vécu une période très compliquée. Nous étions incapables de produire le peu de commandes que nous recevions, puisque nos fournisseurs de composants de talons et semelles ne nous livraient plus. Nous avons eu un moment de doute avec Franck, mais nous avons très vite cherché à voir ce que nous pouvions faire pour sauver la société et contribuer à notre échelle, à l'effort collectif. Nous avons donc très vite pris la décision de rouvrir l’atelier pour réaliser des masques.
Nous avons proposé aux salariés de revenir travailler et le premier jour, nous avons fabriqué 400 masques. Le lendemain nous avons acheté 10 machines à coudre en liquidation judiciaire et avons recruté 40 personnes en une semaine. Nous étions à l’atelier de 5 heures à 22 heures tous les jours avec Franck, et produisions près de 5 000 masques par jour. Cela a été une aventure humaine extraordinaire. Il y avait une énergie incroyable dans l’atelier, les gens étaient très fiers de contribuer à l'effort collectif plutôt que de rester chez eux. Pour certains, c'était même vital d'avoir un travail dans cette période compliquée. Nous avons pu fournir des masques aux entreprises de Dordogne qui étaient fermées et attendaient d’en recevoir pour pouvoir reprendre leur activité. Nous avons aussi équipé des collectivités pour leur réouverture le 11 mai 2020.
A.- P. : Comment voyez-vous la reprise ? Avez-vous bénéficié des aides du programme de relance ?
S. E. : Nous n’étions pas éligibles aux aides de l’Etat, mais la Région Nouvelle Aquitaine nous a accompagné dans cette période compliquée. Ces derniers mois ont été compliqués avec trois confinements successifs, mais depuis le mois de septembre, nous sentons chez Chamberlan une vraie reprise avec notamment l’ouverture de plusieurs distributeurs en France et à l’étranger.
*Chamberlan : https://chamberlan.com/