AccueilDroitActualité du droitLe Big Data, outil de prévention aux procédures collectives

Le Big Data, outil de prévention aux procédures collectives

Un outil de collecte de données permettant la création d'un robot-type d'entreprise en difficultés, se basant sur le mécanisme de “Machine Learning”, est en cours de création par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP). Cet outil permettrait de détecter en amont les difficultés rencontrées par les entreprises dans le but de mieux les cibler et d'éviter l'ouverture de procédures collectives.
Le Big Data, outil de prévention aux procédures collectives

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L'année 2017(1) marque l'ouverture de 55 175 procédures collectives, dont 68 % de liquidations judiciaires. Entre 2013 et 2017, le nombre de procédures collectives a été réduit de 13,7 %. La réduction du nombre de procédures collectives souligne une reprise de la croissance économique de la France. Pour autant, le nombre de procédures collectives reste important et, une fois que l'entreprise rencontre des difficultés, dans 68% des cas, elle est liquidée.

Le régime en vigueur en matière de prise en charge des entreprises en difficulté

Un point sur le droit des entreprises en difficulté

Pour rappel, lorsqu'une entreprise rencontre des difficultés, elle peut faire l'objet d'une procédure collective dont le but est de de traiter ou d'anticiper les difficultés rencontrées, de sa propre initiative ou par assignation d'un créancier. Trois types de procédures sont à distinguer en fonction du degré de difficultés rencontrées par l'entreprise et notamment de l'état de cessation des paiements du débiteur.


La procédure de sauvegarde constitue le premier degré des procédures collectives. Une telle procédure peut être initiée uniquement volontairement par le représentant légal si l'entreprise connaît des difficultés juridiques, économiques ou financières insurmontables. Dans cette hypothèse, l'entreprise n'est pas en état de cessation des paiements, condition distinctive du redressement judiciaire. Il s'agit d'une procédure préventive.
La procédure de redressement judiciaire est ouverte si le débiteur est en cessation des paiements, c'est à dire qu'il ne peut plus faire face au passif exigible avec son actif disponible. Pour simplifier, l'entreprise n'est alors plus en mesure de payer ses dettes.
Enfin, la procédure de liquidation judiciaire est ouverte si le débiteur est en cessation des paiements et que le redressement est manifestement impossible.

L'évolution du droit des entreprises en difficulté

Les procédures collectives sont une « terre de conflits »(2). En effet, le débiteur n'étant alors plus capable d'honorer ses dettes, des conflits émergent avec l'ensemble de ses créanciers qu'il s'agisse des fournisseurs, des titulaires de garantie ou des banquiers. Désormais, le législateur prend en compte les enjeux économiques et le devenir du débiteur. Les procédures collectives sont donc plutôt devenues une “terre de compromis”, par la recherche d'accords amiables entre les créanciers et le débiteur pour permettre à ce dernier de relancer son activité. Les procédures collectives constituent un domaine complexe touchant une majorité d'entreprises dont la conclusion réside souvent dans l'ouverture d'une liquidation judiciaire de la société.

La création d'un outil préventif au service des procédures collectives par l'utilisation du Big Data

La justification de la mise en place d'un outil préventif des difficultés des entreprises

Dans le but d'éviter que l'entreprise ne soit soumise à un redressement ou à une liquidation judiciaire, la DGFIP réfléchit actuellement à un nouvel outil préventif capable de détecter les premières difficultés des entreprises.
Actuellement, la DGFIP a un rôle actif au cœur des procédures collectives par le biais de la commission des chefs de services financiers (CCSF). En effet, la CCSF regroupe l'ensemble des créanciers publics tels que les services fiscaux, l'URSSAF et certains régimes de sécurité sociale. Une fois saisie par le débiteur, la CCSF peut octroyer un échéancier de paiement ou des remises partielles de dettes dans le cadre de procédures collectives.
Par un communiqué de presse en date du 30 janvier 2019 (n°582), la DGFIP explique qu'elle expérimente un nouvel outil, depuis plus d'un an, dans le but de détecter les difficultés des entreprises par l'utilisation du Big Data.

Le fonctionnement de cet outil

Cet outil de détection des difficultés des entreprises fonctionnerait selon deux étapes :
• Un “portrait-robot” via “un algorithme de Machine Learning”, déterminant l'entreprise en difficulté type, est en cours de création. Ce portrait se base sur une collecte de données regroupant des informations juridiques, financières et économiques telles que les liasses fiscales, le ratio financier, les déclarations de TVA ou encore le chiffre d'affaire. Le portrait-type est reproduit en fonction de chaque secteur d'activité.
• Dans un second temps, une liste des entreprises potentiellement considérées comme “à risque” est dressée en comparaison avec le portrait-robot type.

L'objectif annoncé par la DGFIP

L'objectif de cet outil est de créer une alerte des entreprises étant susceptibles de rencontrer des difficultés et d'être soumises à l'ouverture d'une procédure collective. Il s'agit d'un outil préventif afin de trouver une solution en amont permettant l'initiation d'une discussion entre les entreprises et les institutions afin de les accompagner dans la résolution de leurs difficultés. Les chances de survie pour une entreprise sont bien plus élevées si ces difficultés sont découvertes au plus tôt.
Il est de notoriété publique que plus l'accompagnement d'une entreprise est précoce, plus les chances de résolution des difficultés rencontrées par ladite entreprise sont importantes. Ainsi, cet outil prédictif permettra d'agir en amont dans le but de détecter les premiers signes de faiblesse d'une entreprise afin de lui proposer des actions préventives ou curatives, dont la finalité diffère de celle des procédures collectives.
Focus - Qu'est-ce que le « Machine Learning » ? Ce sont des solutions auto-apprenantes grâce aux datas. Le Big Data est l'essence même du Machine Learning car les ordinateurs ont besoin de données pour les analyser et s'entraîner afin de proposer un algorithme satisfaisant.
L'intelligence artificielle serait donc désormais au service d'un nouveau domaine : les entreprises en difficulté. Un algorithme basé sur la collecte de données qualitatives - et notamment fiscales, économiques et financières des entreprises, grâce au Machine Learning - pourrait déterminer le risque de difficultés pour l'entreprise et ainsi prévenir l'ouverture d'une potentielle procédure collective.

Les questions soulevées par l'utilisation de cet outil prédictif

Plusieurs questions se posent du fait de l'utilisation de cet outil de prédiction des difficultés des entreprises.

La question du respect des données des entreprises

Se pose la question de savoir si la DGFIP ne serait pas contrainte de respecter une obligation de confidentialité quant à cet outil. En effet, la CNIL a validé le dispositif mis en place par la DGFIP à condition que les données demeurent confidentielles au sein des administrations.
Ne serait-il pas nécessaire d'obtenir le consentement exprès des entreprises ? Cette question n'a pas encore été résolue à ce jour. Il paraitrait légitime que toute entreprise puisse contester l'utilisation de ses données dans le cas où elles ne seraient pas informées de leur collecte. La DGFIP utilise les données fiscales et financières des entreprises qui lui sont communiquées (liasses fiscales, déclarations de TVA, déclarations sociales nominatives (DSN), données des douanes, des greffes). C'est la raison pour laquelle elle informe clairement dans son communiqué que les données ne seront utilisées “à aucune autre fin que celle de soutien interministériel des entreprises”. Elle assure une transparence concernant l'utilisation des données des entreprises. Au regard de la confidentialité, elle explique, dans son communiqué, que les résultats sont bien soumis à une confidentialité stricte. Dans le cas où les données seraient utilisées dans un autre but que celui du soutien interministériel, les entreprises bénéficieront d'un droit de recours.

La question de l'utilisation des résultats de cet outil de prédiction des difficultés des entreprises

Cet outil prédictif émettra des résultats qui serviront uniquement aux acteurs publics tels les préfets, les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFIs) ainsi qu'aux tribunaux. Cela permettra aux acteurs publics de soutien aux entreprises en difficulté (tels la DIRECCTE) de se mettre en relation avec lesdites entreprises afin de trouver une solution de résolution des difficultés en amont de toute procédure collective.
Ces résultats devraient être étudiés afin de permettre une optimisation des missions de chacun des intervenants dans le processus d'anticipation des difficultés des entreprises en vue d'orienter,

dès l'apparition des premières difficultés, les entreprises en difficultés et leurs créanciers vers des solutions préventives et empêcher, dès lors, l'ouverture d'une procédure collective, les difficultés ayant été traitées en amont.
Cependant, il ne faut pas que cet outil prédictif devienne un moyen de pression pour les acteurs publics en soutien aux entreprises en difficultés au détriment desdites entreprises. Le but de cet outil ne doit pas être de dresser une liste des entreprises présentant des résultants inquiétants et de les « blacklister » mais plutôt d'accompagner les entreprises afin de rechercher des accords financiers en amont avant l'ouverture de toute procédure collective.
Quelques questions demeurent en suspens :
- Cet outil ne va-t-il pas effrayer les entreprises ? Ainsi le but recherché d'entrer en discussion avec l'entreprise ne sera-t-il pas affecté ?
- Cet outil sera-t-il réellement efficace en détectant les « bonnes » entreprises connaissant des difficultés financières ?
- Cet outil sera-t-il efficace pour chaque secteur d'activité ? Ne devrait-il pas être personnalisé en fonction des signaux inquiétants qui peuvent varier selon le secteur dans lequel se trouve l'entreprise concernée ?
Ce modèle prédictif au service des entreprises en difficultés est testé depuis un an et va être déployé sur l'ensemble du territoire national tout au long de l'année 2019.

Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »

Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.
L'EDHEC Business School dispose de deux atouts pour contribuer aux réflexions sur ces sujets. D'une part, son centre de recherche LegalEdhec, dont les travaux – reconnus – à l'intersection entre le droit et la stratégie, et portant sur le management des risques juridiques et la performance juridique, l'amènent aujourd'hui à lancer son nouveau projet A3L (Advanced Law, Lawyers and Lawyering). D'autre part, ses étudiants, et en particulier ceux de sa Filière Business Law and Management (en partenariat avec la Faculté de droit de l'Université Catholique de Lille) et de son LLM Law & Tax Management, dont la formation et les objectifs professionnels les placent au cœur de ces enjeux du digital

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