Cela fait maintenant trois années consécutives que l’ACE organise un colloque sur les baux commerciaux. Un rendez-vous pédagogique victime de son succès. Malgré un thème spécifique et complexe, les échanges ont été nourris et vivants devant un public nombreux.
Les membres de l’ACE aux manettes se sont attachés à faire participer des professionnels du droit issus d’horizons divers : universitaires, avocats, magistrat, mandataire judiciaire et juriste d’entreprise. Caroline de Puységur précise, « ça ne sert à rien de rester dans une pratique professionnelle endogamique qui consiste à ne voir que nos adversaires ou à affronter des magistrats qui ne nous adressent pas la parole et réciproquement. Nous avons choisi une autre approche, nous démystifions les gens que nous n’osons pas approcher et les invitons autour de cette table ».
En ce « jour riche » selon les organisateurs, où la communauté du droit était réunie à la maison du barreau, un sujet particulier a été discuté : le bail commercial face aux procédures collectives.
Dans le langage commun, lorsqu’un entrepreneur fait faillite on dit qu’« il a mis la clé sous la porte », ce qui n’est pas innocent remarque Caroline de Puységur. Que devient le bail commercial lorsque l’entreprise meurt ? En ces temps de crise économique et de croissance en berne, le sujet reste d’actualité.
Emmanuel Raskin confirme et explique que si les textes relatifs aux procédures collectives ne sont pas vraiment aboutis, c’est aussi le cas de la procédure civile. Il y a donc des vides juridiques. C’est pour cela que les commissions de droit immobilier et de procédure de l'ACE ont organisé ce colloque autour de trois grandes tables de rondes : l'impact de la procédure, la cession et la prospective. Un travail transversal a donc été réalisé pour offrir un éclairage complet, notamment grâce à la participation de Nicolas Boulez, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, « qui nous donne de très riches enseignements en droit, là où les textes ne nous les donnent pas » précise Emmanuel Raskin.
La première table ronde sur l’impact de la procédure collective sur le bail commercial a fait le tour des cas pratiques où les livres Ieret VI du code de commerce, sur le bail commercial (article L145-1 et suivants) et sur les difficultés de l’entreprise (articles L610-1 et suivants) s’appliquent. D’abord lorsque le locataire du bail commercial est en procédure collective, et ensuite, cas plus rare, lorsque c’est le bailleur qui est sous procédure collective.
De fait, la SCI (société civile immobilière) se développant, la mise en procédure collective du bailleur, notamment celui dont l'activité consiste à investir dans l'immobilier locatif, n'est plus une hypothèse d'école selon Fabien Kenderian, maître de conférences en droit privé et consultant. Malheureusement, il n'y a pas de régime prévu par le code de commerce pour le débiteur-bailleur. Deux difficultés se posent alors : quid du sort de la créance d'indemnité d'éviction du preneur et de celle du bail en cours à l'ouverture de la procédure du bailleur. Marc Sénéchal, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et président d’honneur du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, a ajouté que depuis la célèbre jurisprudence Cœur Défense toutes les sociétés bailleresses peuvent bénéficier des procédures collectives, quand bien même elles n’auraient pas de salariés en France. Le régime juridique français est donc plutôt protecteur pour les entreprises.
Emmanuelle Chavance, avocat chez Opéra avocats associés, a présenté, quant à elle, les différents modes d’extinction du bail : la résiliation de plein droit, le refus de renouvellement du bail et la résiliation par acquisition de la clause résolutoire. Tandis que Fabien Kenderian, professeur de droit privé, a poursuivi en présentant le rôle du juge commissaire dans la résiliation du bail, « particulièrement délicat à appréhender, en particulier lorsque le bailleur agit sous la clause résolutoire de plein droit pour défaut de paiement ». Pour ce professeur, le juge des référés est le juge naturel en matière de baux commerciaux et non le juge commissaire.
De nombreuses jurisprudences ont été évoquées, notamment celle rendue par la cour d'appel de Paris le 15 avril 2015, qui soulèvent souvent la question de savoir si l’on doit faire prévaloir la procédure collective sur le droit des baux commerciaux et inversement.
Lors des tables rondes suivantes les intervenants se sont penchés sur tous les aspects de la cession du droit au bail, puis ont fait de la prospective sur l’application des procédures collectives aux baux commerciaux.
Marc Sénéchal, a expliqué tous les tenants et aboutissants de la cession du droit au bail dans l'hypothèse d'une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité, dont le droit commun est décrit à l’article L642-19 du code de commerce. Il y a du nouveau : le recours pour la cession d'actif est devenu l'appel. La vente du droit au bail se fait en deux temps avec la prononciation de la vente par le juge commissaire, puis la passation des actes de cessions. Du coup, si l'acquéreur fait défaut, le liquidateur judiciaire est toujours propriétaire de l'actif et peut refaire la vente, sachant que le droit au bail peut être vendu seul ou dans le cadre d'un ensemble avec un fonds de commerce.
Thierry Montéran, avocat associé co-fondateur chez UGGC Avocats et président de la commission entreprises en difficulté de l’ACE, a traité quant à lui, avec Emmanuelle Chavance, de la déspécialisation en plan de cession. Ont été étudiées certaines dérogations, notamment celle prévue par l’ajout de l'article L642-7 au code de commerce par la loi Pinel. Le droit des procédures collectives est « un peu dirigiste » selon Thierry Montéran, et la déspécialisation est « bien compliquée en droit commercial » avec l’information du bailleur et les dispositions d'ordre public à respecter.
Un magistrat spécialisé en baux commerciaux s’est ensuite emparé du sort du dépôt de garantie lorsqu’il y a cession, compensation et reconstitution du bail. Isabelle Rohart-Massager a pu apporter son expérience professionnelle sur cette question « qui n'a donné que très peu de jurisprudences car l'enjeu financier est faible puisqu'il ne s'agit que d'un dépôt de garantie ». Tandis que Nicolas Boulez a traité d’un sujet emportant des conséquences financières importantes : les plans de cession de bail et la solidarité des débiteurs.
Des prospectives juridiques ont enfin été imaginées sur l’état des lieux et la remise en état des locaux commerciaux par Isabelle Rohart-Massager, et sur les clauses de garantie des cessionnaires par Fabien Kenderian et Christina Nicolaou-Attias, juriste chez Euro Disney.
Pour finir, le droit de préférence et les clauses d’agrément ont été traités par Ghislaine Sixdeniers, directrice droit immobilier, construction, environnement d’Euro Disney, « mon alter ego à l’AFJE » précise Caroline de Puységur, puisqu’elle préside la commission de droit immobilier.
Après une conclusion savamment réalisée par Emmanuel Raskin et Nicolas Boullez, les débats ont pu se poursuivre sur une note conviviale autour d’un cocktail.