Animé par le journaliste Jérôme Colombain, ce rendez-vous incontournable de l'innovation a réuni durant plus de sept heures de nombreux acteurs économiques autour du thème « Transitions numérique et écologique, faut-il choisir ? ». Ils ont ainsi pu échanger en direct sur les différents enjeux autour de la transformation digitale et notamment celui de la réduction de son impact écologique, et sur de nombreux sujets d'actualité comme la 5G, l'intelligence artificielle ou les objets connectés.
Un discours d'ouverture prônant un numérique responsable
L'édition 2020 a été lancée par l'intervention de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), co-organisateur de cet évènement, qui soutient et encourage la digitalisation des entreprises, qui n'est pas encore totale, et promeut une numérisation responsable. Une numérisation qui est d'autant plus cruciale aux TPE et PME pour traverser la crise sanitaire et économique actuelle et participer à la « nécessaire transition numérique du pays ». Pour le président du MEDEF, la technologie peut donc permettre de résoudre des problèmes de société, dont ceux liés à l'écologie et la 5G n'est pas incompatible avec le concept de sobriété numérique. Il estime que le progrès scientifique et technologique est porteur de solutions et peut contribuer à l'épanouissement des individus. Si la croissance de la numérisation de l'économie a indéniablement des effets sur la planète, l'ensemble de ses effets sur l'environnement et les évitements de CO2 doivent être pris en compte. Qu'il s'agisse du télétravail ou des réunions à distance, des moyens technologiques existent pour agir ensemble pour une croissance économique responsable.
Une position entièrement partagée par Véronique Di Benedetto, vice-présidente de Syntec Numérique et co-organisatrice de la Ref Numérique aux côtés du MEDEF. L'écologie est un thème sur lequel l'organisation professionnelle des entreprises de services du numérique est très engagée depuis quelques années. Elle accompagne ainsi la trajectoire écologique de ses adhérents et les aide à réduire leur impact environnemental grâce au numérique qui contribue, par ses innovations, à un comportement et à des usages plus respectueux de la planète. Comme l'a rappelé la vice-présidente, l'empreinte environnementale du numérique est difficilement mesurée. En chiffres, le digital c'est 34 milliards d'équipements connectés dans le monde, 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, une croissance de 9 % de consommation énergétique annuelle. Il s'agit donc d'un enjeu majeur, pris en compte par Syntec numérique qui a d'ailleurs lancé, entourée de ses partenaires, la plateforme Planète Tech'Care, qui a pour ambition d'accompagner les entreprises souhaitant intégrer le numérique à leur stratégie environnementale et de soutenir les acteurs de la formation à développer des compétences en matière de numérique responsable.
Le digital, levier de la transition écologique ?
La première table ronde de cette journée d'échanges portait sur le thème « regarder YouTube dans un ascenseur et trier ses déchets : injonctions contradictoires ? », au cours de laquelle sont intervenus Serge Orru, environnementaliste et préfigurateur de l'Académie du Climat, Amélie Oudéa-Castéra, directrice exécutive du e-commerce, data et transition digitale du Groupe Carrefour, Eric Piolle, maire de Grenoble et Alain Weill, président directeur général d'Altice France.
Avec l'augmentation du traitement des données, du développement de la 5G ou encore de l'utilisation grandissante des objets connectés, la question de la pollution numérique et de la consommation énergétique de l'industrie informatique revient au cœur du débat public. Si les citoyens peuvent se montrer engagés en matière de préservation de l'environnement, notamment en matière de tri des déchets, leurs bons gestes ne deviennent-il pas incompatibles avec leur usage quotidien et croissant du numérique, à l'instar des applications mobiles comme Youtube comme de tout outil numérique, indéniablement polluant ?
Les intervenants se rejoignent majoritairement sur l'idée que la révolution technologique peut être très favorable à la transition écologique et à ses enjeux. A titre d'exemple, le numérique dans le secteur du transport, avec les voitures ou les vélos partagés, peut réduire le nombre de déplacements et donc l'empreinte carbone qu'ils génèrent. Sans nier son impact direct sur la planète, le bilan écologique du numérique peut être positif, du fait d'une contribution plus faible à la pollution routière. Pour Alain Weill, le numérique est toujours au service d'une inspiration donc il faut débattre démocratiquement de ce qu'est cette inspiration et l'orienter vers un aspect écologique. « Le numérique est indispensable s'il est écologiquement responsable », a estimé quant à lui Serge Orru.
Réduire l'impact environnemental du e-commerce
Un des secteurs pour lequel le numérique a engendré une forte croissance économique est le commerce. Les Français sont de plus en plus adeptes du e-commerce et la crise sanitaire, qui a entrainé la fermeture de nombreux commerces, a accéléré cette tendance ainsi que, parallèlement, le recours des commerçants de proximité au numérique. Nombreux n'ayant pas encore de visibilité sur internet, ils ont rapidement pris conscience des enjeux du digital pour leur activité et, surtout, pour sa continuité en période de fermeture. Pour autant, le e-commerce reste un secteur très polluant, avec une empreinte carbone forte sur l'environnement, et donc un impact négatif, que l'enjeu actuel est de diminuer. De grands groupes ont compris la nécessité de se tourner vers un « e-commerce éco-responsable », à l'instar de Carrefour.
Comme l'explique Amélie Oudéa-Castéra, directrice exécutive du e-commerce, data et transition digitale au sein du Groupe, ce dernier est très engagé dans une transformation numérique « green », plus écologique. En effet, comme elle le rappelle, le e-commerce est polluant du fait des bâtiments qu'il nécessite, ce qui représente 45 % de consommation d'énergie en France. Ce sont aussi des colis, 1 milliard des colis dans le monde étant dû au e-commerce, et donc beaucoup d'emballages. Le commerce en ligne engendre également davantage de transport routier. Pour la directrice exécutive, il est tout à fait possible de réduire cette consommation. Citant des mesures concrètes, Carrefour a pris des engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. S'agissant du bâti, il s'agit de végétaliser les toitures, de récupérer les eaux de pluie, d'utiliser le CO2 comme un fluide réfrigérant. S'agissant du transport, le groupe favorise l'utilisation du biométhane, qui produit à partir des déchets de l'industrie agroalimentaire et ménagers. Enfin, s'agissant du numérique, il est également possible de se tourner vers le « green coding », c'est-à-dire de développer le code de manière plus qualitative, d'éco-concevoir les logiciels, afin de réduire la facture énergétique.
Servir un modèle économique plus « smart »
L'apport environnemental du numérique ne peut toutefois pas seulement se réduire à une diminution des déplacements et donc à une réduction de la pollution engendrée par les transports. La ville de demain ne peut pas être uniquement pensée dans l'économie des déplacements. Le rapport humain et le rapport au territoire sont fondamentaux dans une société du bien vivre ensemble. Le numérique doit agir pour le bien-être de la population, pour la solidarité avec le local ainsi que pour la réduction des inégalités. L'exemple le plus parlant est celui de la fibre qui, distribuée à tous, permet de lutter contre la fracture numérique et sociale. Il est possible, grâce à la technologie, d'inventer de nouvelles solidarités et ainsi de contribuer à une organisation économique plus « smart ».
Vers une civilisation du numérique écologique ?
Pour répondre aux enjeux environnementaux actuels et futurs, le numérique doit se penser de manière écologique, tendre vers une éco-conception du numérique. Comme l'exprime Serge Orru, il faut « mettre l'ingéniosité et la concertation au service du développement d'un numérique responsable, inventer une civilisation numérique qui offre une planète vivante aux générations futures ». A titre d'exemple, l'environnementaliste propose d'orienter l'industrie des data centers dans l'économie du moindre impact écologique proche et lointain. Il est impératif d'avoir des data centers moins polluants, moins consommateurs d'eau et d'électricité. Le fonctionnement des data centers traditionnels nécessite un refroidissement permanent des serveurs, qui représente 60 à 70 % de leur consommation électrique. « Nous devons éviter ce gaspillage énergétique. Vite, passons à l'écoconception du numérique ! », a-t-il affirmé. Il est vrai que la situation écologique impose cette urgence.