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La robotisation des contrats : la nécessité pour le juriste de se réinventer

Alors que les développements technologiques poursuivent leur cours au sein de l'écosystème des Legaltech, l'un des domaines les plus impactés par l'innovation est sans aucun doute celui de la rédaction d'actes. à ce titre, émergent depuis 2017 des start-up proposant aux professionnels du droit - notamment aux avocats - d'apprendre à robotiser leurs contrats. Des critiques apparaissent de façon récurrente face à ces nouveaux développements et il existe une réelle appréhension chez certains juristes qui ont peur de voir disparaitre une partie de leurs missions historiques.
La robotisation des contrats : la nécessité pour le juriste de se réinventer

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Mais la robotisation des contrats n'est qu'une étape logique et inéluctable dans l'évolution du cabinet d'avocats (et de la direction juridique) moderne auquel il est normal de s'attendre à une époque de transformation digitale. S'il est certain que cette innovation permettra un accroissement de l'efficacité des professionnels du droit, elle ne les remplacera pas pour autant.

Qu'est-ce que la robotisation des contrats ?

Elle est basée sur l'utilisation du machine learning, qui est une technologie d'intelligence artificielle permettant à des ordinateurs d'apprendre et d'agir comme un être humain, sans avoir été programmés à le faire, ce qui renvoie donc à un processus d'apprentissage autonome. Des legaltechs proposent aujourd'hui aux praticiens du droit d'automatiser leurs contrats, de les modéliser. Cette offre va permettre la construction d'un système capable de reproduire le comportement du rédacteur d'acte par le biais de données accumulées au fil du temps et pouvant varier selon les contrats, et de conditions permettant d'adapter la rédaction du contrat à un contexte particulier.

Prenons l'exemple pratique du contrat de bail. C'est à la modélisation de ce type de contrat que nous avons eu l'occasion de pouvoir nous essayer lors d'une présentation de deux heures dispensée par la start-up Gino LegalTech à l'occasion de leur présence lors la semaine du numérique organisée au sein de l'IXAD (l'école des Avocats nord-ouest). Cette start-up, créée par un avocat, Maître Ginestié, s'appuie sur les travaux de Ginerativ, dotée s'un savoir-faire de plus de 10 ans appliqué aux contrats et pionnière dans le domaine de la robotisation de contrats.

Le juriste va créer un robot en rédigeant, via une interface, un contrat de bail dans lequel il entrera des variables ou conditions sur certaines mentions spécifiques telles que les informations relatives au bailleur, au locataire, le prix du loyer, etc. De ce fait, lorsque le praticien du droit aura de nouveau à rédiger un contrat de bail, il ouvrira son robot qui l'interrogera sur toutes ces mentions propres à chaque cas et rédigera ensuite automatiquement le contrat.

Cette première expérience de ce type de robot m'a paru très intuitive et très simple d'utilisation. Cette plateforme créée par des juristes pour les professionnels du droit amenés à rédiger des actes ne nécessite pas d'être un geek ou un familier des algorithmes.

Un procédé bientôt incontournable

Cette robotisation des contrats est au final, en quelque sorte, un « copier-coller 2.0 », beaucoup plus performant que celui auquel devait s'adonner le professionnel jusqu'à présent. On peut alors difficilement comprendre une quelconque opposition à cette évolution logique et inévitable dans une société marquée par le modernisme et un marché – celui du droit – où les clients attendent efficacité et efficience de la part de leurs conseils.

En effet, les praticiens du droit ne repartent jamais de zéro pour l'élaboration de leurs contrats et se servent depuis toujours de leurs premiers modèles – puis des modèles enrichis - pour rédiger en utilisant des « copier-coller ». Ceux-ci, dans leur version historique, paraissent désormais dépassés et archaïques.

La robotisation des contrats va permettre au juriste d'éviter la tâche rébarbative de la répétition. Outre le gain de temps certain dans la rédaction, cette robotisation lui apportera également une sécurité supplémentaire dans la rédaction du contrat.

Un juriste augmenté

Apparait ici un mécanisme vertueux de capitalisation à partir de l'expertise du juriste puisqu'il pourra modifier son robot au fil du temps, selon les contraintes juridiques et sa courbe d'expérience. Plus le temps avancera, plus les robots seront complets, adaptés et en mesure de répondre à de multiples situations. Ces robots deviendront des biens immatériels d'une valeur non négligeable pour l'entreprise comme pour le cabinet.

Le juriste rédacteur d'actes ne disparaît pas ; le robot sera toujours le fruit de sa rédaction et de son travail. Il ne s'agit pas ici de se dispenser du savoir-faire du juriste en lui vendant un contrat « tout préparé », mais de lui permettre de créer son contrat idoine. Cette innovation génère aussi l'apport d'une sécurité supplémentaire dans le travail du juriste dans la mesure où l'on assiste à une augmentation de la taille mais surtout de la complexité des contrats.

Le recours à la robotisation permet aux professionnels du droit d'éviter la tâche parfois fastidieuse de retrouver toutes les mentions indispensables dans la rédaction de tel ou tel contrat. Ces éléments seront intégrés au robot et seront un palliatif supplémentaire à une possible inattention du juriste.

Le juriste, essentiel à la rédaction de contrats

Mais il ne faut pas oublier que le juriste et l'avocat resteront essentiels à la rédaction d'un contrat. La robotisation permet un gain de temps qui pourra être consacré à une écoute encore plus attentive du client pour mieux cibler ses attentes. C'est donc une partie de la chaîne de valeur du juriste d'entreprise ou de l'avocat qui est transformée, les tâches à faible valeur ajoutée étant supprimée (ou remplacée) pour dégager plus de temps là où la valeur doit être créée.

Cependant, le praticien du droit devra rester vigilant et ne pas se reposer entièrement sur le robot. On ne peut imaginer un procédé qui aboutirait à une automatisation totale des contrats dans tous les domaines du droit. Que cela soit en droit des affaires ou en droit civil, chaque cas est particulier, et les situations quasi-illimitées. Qui plus est, juristes et avocats ne sont pas uniquement des rédacteurs d'actes mais ils ont également – surtout ? - un rôle de conseil. Ils doivent pouvoir apporter leur réflexion ainsi que leur expertise. C'est ainsi qu'en fonction du client, ils vont pouvoir suggérer l'ajout de clauses leur paraissant nécessaires au vu de la situation.

Ce rôle de conseil est d'autant plus fort que l'avocat doit s'assurer de la pleine efficacité de l'acte qu'il rédige. On ne pourrait donc imaginer une mise à disposition au client d'un robot même si celui-ci pourrait paraître complet ; l'œil attentif de l'avocat reste indispensable.

La robotisation des contrats est une innovation incontournable qui va permettre aux professionnels du droit de disposer de plus de temps pour se concentrer sur d'autres missions et pourquoi pas pour pouvoir laisser libre court à leur créativité, pour eux aussi innover dans l'écosystème très dynamique de la Legaltech.

Pour Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Gageons que pour les praticiens du droit, c'est le robot qui libérera ! Le machine learning a fait des progrès saisissants, mais il y a encore un peu de chemin à faire avant d'arriver à une automatisation totale des contrats(1).

Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »

Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.

L'EDHEC Business School dispose de deux atouts pour contribuer aux réflexions sur ces sujets. D'une part, son centre de recherche LegalEdhec, dont les travaux – reconnus – à l'intersection entre le droit et la stratégie, et portant sur le management des risques juridiques et la performance juridique, l'amènent aujourd'hui à lancer son nouveau projet A3L (Advanced Law, Lawyers and Lawyering). D'autre part, ses étudiants, et en particulier ceux de sa Filière Business Law and Management (en partenariat avec la Faculté de droit de l'Université Catholique de Lille) et de son LLM Law & Tax Management, dont la formation et les objectifs professionnels les placent au cœur de ces enjeux du digital.

(1) Nous conseillons la lecture de cet article : K. D. Betts et K. R. Jaep, “The dawn of fully automated contract drafting : machine learning breathes new life into a decades-old promise”, Duke Law & Technology Review, 216, mars 2017.
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