Elle permet de visualiser un monde en 3D à 360° à l'aide d'un casque. Ses utilisations sont aujourd'hui multiples, notamment :
- Jeux-vidéos ;
- Immobilier ;
- Divertissements culturels ;
- Cinéma ;
- Education ;
- Santé...
Cette technologie est arrivée en France quasiment en même temps que la réalité augmentée (il y a environ cinq ans), procédé permettant d'ajouter des éléments virtuels (éléments 3D, images, etc.) dans un décor réel à l'aide d'une interface visuelle (souvent un smartphone ou un casque)(1). Et c'est un marché en pleine croissance(2).
Les enjeux juridiques de la réalité virtuelle et la législation en vigueur
En France, aucun texte législatif ou réglementaire n'existe pour encadrer la réalité virtuelle, alors même qu'elle pose un certain nombre d'enjeux qui méritent que l'on s'y intéresse.
Par exemple, il n'existe aucune norme fixant l'âge minimum à partir duquel il est possible d'utiliser un casque de réalité virtuelle. Or, cette technologie serait à risque pour les enfants dont la cornée n'est pas encore formée, mais aussi au niveau comportemental. Des chercheurs de l'Université de Stanford, dans un rapport publié en avril 2018, ont mis en évidence les inquiétudes que génère, chez les parents, le flou scientifique qui accompagne la réalité virtuelle(3). Le temps écoulé depuis la sortie des casques est trop court pour que les effets à long terme puissent être connus avec certitude. Si nous savions déjà que les vidéos violentes sont inappropriées pour les plus jeunes, l'immersion proposée par ces nouveaux dispositifs est sans précédent et pourrait provoquer des traumatismes chez les enfants les plus vulnérables.
Le constructeur Sony a pris les devants en indiquant que l'âge minimal requis pour utiliser son casque est de 12 ans. Si l'on peut se réjouir de voir des entreprises être ainsi responsables et ne pas se réfugier derrière l'absence de dispositions légales, on peut se demander si une telle disposition n'entre pas dans une logique de management des risques juridiques de la part de l'entreprise, dans l'hypothèse où des effets indésirables et inhérents à la technologie viendraient à se présenter. Cette mesure est d'ailleurs accompagnée, à la manière d'un médicament, d'une liste d'effets secondaires pouvant survenir (maux de tête, nausée, désorientation, vision floue, etc.). Il reste à savoir si une telle liste serait suffisante pour protéger l'entreprise en cas d'action en responsabilité. On peut en douter…
D'autres enjeux peuvent être cités, et qui relèvent du droit de la propriété intellectuelle. En effet, les contrats de cession de droits d'auteur n'incluent pas nécessairement l'utilisation de technologies immersives. Il s'agira alors de préciser dans ces contrats l'objet reposant sur ces droits d'auteurs et la possible utilisation d'un dispositif immersif comme nouveau mode d'exploitation des œuvres créées. La question de la rémunération proportionnelle des auteurs pour ce nouveau mode d'exploitation pourrait se poser.
D'autres questions, se posent avec la réalité augmentée, dès lors qu'elle permet de modifier l'espace publicitaire virtuel par un autre. S'agirait-il de concurrence déloyale ? Qu'en est-il également lorsqu'une application permet de modifier un logo pour en faire une animation humoristique ? British Petroleum avait ainsi pu voir sa réputation altérée par la sortie d'une application qui permettait de transformer le logo BP en fuite de pétrole. Dans le cas où un concurrent mettrait en ligne ce genre d'application, il s'agirait sans nul doute de dénigrement.
Au niveau européen, aucune réglementation de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée n'est envisagée pour le moment, même si l'Europe s'est fixée l'objectif de mettre en place un marché unique numérique.
Les impacts de la réalité virtuelle dans le domaine juridique
L'application du droit à la réalité virtuelle
La réalité virtuelle bénéficie aujourd'hui d'un nombre exponentiel d'applications. Visiter un musée, jouer dans un univers parallèle, voyager, découvrir un appartement, etc. Comment encadrer l'immense potentiel de cette technologie ? Comme nous l'avons mentionné précédemment, aucun texte en droit français n'encadre de manière spécifique la réalité virtuelle. Il est donc à la fois intellectuellement intéressant et économiquement pertinent d'envisager les branches du droit qui trouvent à s'appliquer. La réalité virtuelle est une technologie informatique qui simule la présence physique d'un utilisateur dans un environnement artificiellement généré par des logiciels. Au sens juridique, il s'agit donc généralement d'une œuvre de l'esprit régie par le Code de la propriété intellectuelle.
Droit des créateurs
Une œuvre de réalité virtuelle étant une œuvre de l'esprit, l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle trouve logiquement à s'appliquer. Cet article dispose que :
"La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée".
Généralement, une application de réalité virtuelle réunit plusieurs composantes différentes. Il devient alors moins pertinent de la protéger en tant que telle. Etant une œuvre complexe, il est possible de protéger chacun de ses composants comme le note Maître Marie Soulez(4).
Droit des utilisateurs
L'article 4 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) dispose que « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » est une donnée à caractère personnel. L'article précise qu'une « personne physique identifiable [est] une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à […] des données de localisation, […] ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». La réalité virtuelle utilise l'expérience sensorielle et visuelle de l'utilisateur, enregistre sa manière de se déplacer, de converser, etc. Autant d'interactions personnelles qui doivent de ce fait être protégées pour éviter l'exploitation, voire la revente de ces données à des sociétés tierces.
Ainsi, et en application de l'article 5 du RGPD, les sociétés d'exploitation de ces programmes informatiques devront s'assurer que les données à caractère personnel soient collectées pour une finalité (but, objectif) déterminée, explicite et légitime.
Les atteintes aux biens et aux personnes
La réalité virtuelle propose souvent à l'utilisateur de se déplacer de manière virtuelle dans des lieux publics ou privés. La question se pose alors de la protection du droit à l'image des personnes qui sont filmées.
En France, aucun texte spécifique ne protège explicitement le droit à l'image. La jurisprudence a donc fait application de l'article 9 du Code civil qui protège le droit à la vie privée. Le consentement des personnes qui sont mises en scène devra donc être recueilli. En l'absence de consentement, l'atteinte au droit à l'image peut faire l'objet de sanctions civiles comme pénales. L'article 226-1 du Code pénal dispose que le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, notamment « en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé », est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
L'application de la réalité virtuelle dans le domaine juridique
Comme en témoigne la création du Réseau privé virtuel des avocats (e-Barreau), les professions du droit et de la justice cherchent de plus en plus à dématérialiser leurs actions et interventions pour en réduire les coûts et en améliorer l'efficacité. La communication électronique entre les juridictions et les avocats (COMCI) mise en place dans le cadre du RPVA en est un exemple. Cette technologie permet aux avocats de consulter leurs dossiers, le registre des audiences ou d'envoyer des courriers électroniques au greffe. Et le nombre d'avocats et de juridictions civiles qui l'utilisent ne cesse d'augmenter.
Dans ce cadre, la réalité virtuelle pourrait permettre d'aller plus loin et de faire face au constat récurrent du décalage entre la longueur des procédures judiciaires et la réalité des affaires. Le rapport de Maître Kami Haeri sur l'avenir de la profession d'avocat a ainsi mis en avant la nécessité
« d'un plus grand accès virtuel aux juridictions » pour réduire le coût d'accès à la justice(5). Envisager des salles d'audiences virtuelles pourrait permettre un meilleur accès aux tribunaux.
Un pays a déjà massivement généralisé le recours à la réalité virtuelle dans ses procédures judiciaires : la Chine. Outre la création de quelque 15 000 interconnectés et équipés d'une technologie informatique permettant un traitement entièrement informatisé des procédures, la Chine a récemment révolutionné le monde du droit en ayant recours à la réalité virtuelle pour la première fois - le 1er mars 2018 -
lors d'une audience pénale pour reconstituer une scène de crime. La reconstitution de scènes de crimes à l'intérieur des tribunaux se développe également au Royaume-Uni, sous l'influence de recherches universitaires. Des chercheurs de l'université de Staffordshire ont récemment développé un système utilisant la réalité virtuelle afin de transporter les jurés sur la scène d'un crime. Comme le fait remarquer Caroline Sturdy Colls, l'un des membres de l'équipe de recherche, "Traditional means of documenting, sketching and photographing crime scenes can be laborious and they do not provide data outputs suitable for presentation in Court to non-experts"(6).
La reconstitution de scènes de crimes en réalité virtuelle pose néanmoins le problème de son « réalisme ». Tout citoyen s'étant rendu dans une salle d'audience sait qu'un procès laisse une place importante à l'imagination des jurés, avec le risque que cela peut d'ailleurs présenter. Et l'issue du procès dépend souvent de détails. Ignorer ou mettre en valeur un détail en réalité virtuelle pourrait ainsi influencer les jurés dans leur décision finale et avoir de lourdes conséquences humaines.
C'est avec un droit bien réel, et non virtuel, que la réalité virtuelle pourra prospérer avec le degré de sécurité juridique nécessaire à ses différents acteurs.
Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »
Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.
L'EDHEC Business School dispose de deux atouts pour contribuer aux réflexions sur ces sujets. D'une part, son centre de recherche LegalEdhec, dont les travaux – reconnus – à l'intersection entre le droit et la stratégie, et portant sur le management des risques juridiques et la performance juridique, l'amènent aujourd'hui à lancer son nouveau projet A3L (Advanced Law, Lawyers and Lawyering). D'autre part, ses étudiants, et en particulier ceux de sa Filière Business Law and Management (en partenariat avec la Faculté de droit de l'Université Catholique de Lille) et de son LLM Law & Tax Management, dont la formation et les objectifs professionnels les placent au cœur de ces enjeux du digital.
(1) Même s'il date de plus de deux ans, nous recommandons la lecture du rapport « Etat des lieux du marché de la réalité virtuelle » publié en juillet 2016 par le CSA : www.csa.fr/content/download/221354/592328/file/CSA_Réalité%20virtuelle.pdf
(2) https://www.usine-digitale.fr/editorial/realite-virtuelle-croissance-a-deux-chiffres-en-europe-au-premier-semestre-2018.N735999
(3) https://news.stanford.edu/2018/04/04/emerging-research-shows-potential-power-vr-kids/
(4) M. Soulez, « Le droit applicable à la réalité virtuelle », https://www.alain-bensoussan.com/avocats/droit-applicable-a-la-realite-virtuelle/2017/05/16/