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La géolocalisation dans tous ses états

Le projet de loi relatif à la géolocalisation fait débat puisqu'il met en balance le respect de la vie privée des justiciables et la lutte contre la délinquance. Pour faire le point sur la géolocalisation en France, l'ADIJ a réuni Myriam Quéméner, avocat général près la Cour d'appel de Versailles et responsable de l'atelier cyber-délinquance de l'association, et Joël Ferry, chargé de mission chez Deveryware, ancien colonel de gendarmerie et correspondant de la CNIL.
La géolocalisation dans tous ses états

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Comment le droit doit-il s'adapter aux technologies sans pour autant se rigidifier ? Faut-il accepter de réduire le champ de sa vie privée pour conserver l’ordre public ? Comment concilier sécurisation des procédures et investigations indispensables à la manifestation de la vérité ? Que fait-on des données personnelles recueillies ? Le législateur agit-il assez prudemment ?

Autant de questions débattues par les intervenants et le public du colloque organisé par l’association pour le développement de l’information juridique (ADIJ) tenu à la Maison du barreau de Paris ce 4 mars et introduit par son président Pascal Petitcollot (Rédacteur en chef de Légifrance).

Point sémantique

La géolocalisation englobe toutes les techniques permettant de localiser en continu un téléphone portable ou un objet comme un véhicule, sur lequel une balise a préalablement été posée. Il s’agit de donner un fondement législatif à des pratiques qui, jusqu’à présent, reposaient sur des dispositions générales du Code de procédure pénale. De fait, la géolocalisation ne date pas d’hier, les enquêteurs y ont recours depuis longtemps.

L'article 230-32, qui sera inséré au Code de procédure pénale après l’adoption du projet de loi relatif à la géolocalisation, la définit comme « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel ». Cette formulation est mauvaise remarque Joël Ferry, ancien colonel de gendarmerie, commandant de la section recherche de Versailles, actuellement chargé de mission chez Deveryware (société française spécialisée dans la géolocalisation, partenaire des ministères de l’intérieur et de la justice), car un téléphone portable n'est pas « destiné à» la localisation mais à la communication.

En outre, il rappelle qu’il est important de distinguer la géolocalisation de la simple localisation a posteriori, dite « fadette », ou « bornage a posteriori » selon Myriam Quéméner. Ainsi, le projet de loi ne concerne pas les actes d’enquête qui se contentent de demander à un opérateur téléphonique de localiser un suspect à une telle date. Le législateur entend par géolocalisation, la localisation d’un suspect en temps réel, ce que Joël Ferry appelle la « chronolocalisation ».

Point juridique

Le texte définitif du projet de loi relatif à la géolocalisation vient d’être adopté le 24 février par l’Assemblée nationale et le Sénat après modification du texte en Commission mixte paritaire. Toutefois, la polémique continue puisque le Conseil constitutionnel a été saisi 3 jours plus tard d’un recours.

Présenté en Conseil des ministres fin décembre dernier par la garde des Sceaux Christiane Taubira, le texte vise à mettre le droit français en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans son arrêt Uzun c/ Allemagne du 2 septembre 2010, ainsi que la Cour de cassation dans ses arrêts du 22 octobre 2013.

Le texte prévoit que la géolocalisation ne sera désormais possible qu’en cas d’investigations concernant un crime ou un délit puni d’au moins 3 ans d’emprisonnement. Au cours de l’enquête, elle devra être autorisée par une décision écrite du procureur de la République, pour une durée initiale de 15 jours, qui pourra être prolongée, par le juge des libertés et de la détention, pour une durée d’un mois renouvelable. Au cours de l’instruction, elle devra être autorisée par une décision écrite du juge d’instruction, pour une durée de 4 mois renouvelable.

Dans toutes les hypothèses, seuls le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction pourront, sous réserve que l’infraction soit passible d’une peine d’au moins 5 ans d’emprisonnement, autoriser l’introduction dans un domicile pour la pose d’un dispositif de géolocalisation.

En cas d’urgence, notamment de risque d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, un officier de police judiciaire pourra décider d’une géolocalisation, sous réserve d’une autorisation a posteriori du procureur. Le Sénat a prévu que l’autorisation devait intervenir dans les 12 heures. Ce délai a été porté à 24 heures par l’Assemblée nationale, cette disposition faisant toujours débat.

En revanche, l’intervention d’un magistrat ne sera pas nécessaire pour permettre la géolocalisation d’une victime à partir de son téléphone portable. Logique, puisque cette mesure est prise dans le propre intérêt de cette dernière.

Point financier

La géolocalisation se développe et est enfin encadrée, ce qui représente une victoire pour notre Etat de droit mais pas pour nos finances publiques ! Car la géolocalisation est aussi un système économique dans lequel les opérateurs et sociétés privées sont gagnantes.

Système onéreux, une balise coûtant entre 1500 et 2000 euros et la géolocalisation de celle-ci 30 euros par jour. Imaginez que pour démasquer un réseau de criminalité organisée les enquêteurs place souvent plusieurs balises, dont le coût est supporté par leurs unités, pendant plusieurs jours; à quoi il faut ajouter le coût de l'analyse de toutes les données recueillies, ce qui représente une coquette somme. Les devis sont transmis au Parquet qui a parfois du mal à trouver les fonds. « Le meilleur protecteur des libertés publiques n'est pas le texte de loi mais l'état des finances du ministère de la Justice ! » ironise un expert à la cour d'appel de Versailles.

Aujourd’hui, il existe un partenariat financier entre les fournisseurs d'accès et l'Etat. Réclamer une adresse IP coûte 15 euros au ministère de la Justice qui ne paye que le coût des surplus. Un universitaire fait remarquer qu’aux Etats-Unis cette prestation est gratuite. Pourquoi ne pas instaurer le même système ?

Un instrument d’enquête utile

« La géolocalisation est un instrument particulièrement utile pour les enquêteurs » répète Joël Ferry. Sa démonstration retraçant la journée d’un couple parisien à travers des diaporamas illustrant toutes les techniques de géolocalisation est édifiante. Ainsi, nos téléphones portables (par le biais des relais et applications météo, google map…), cartes Navigo, ordinateurs (adresse IP), radars, portiques d'autoroute (A86), parkings, cartes bancaires et distributeurs automatiques de billets sont autant de mouchards qui nous suivent à la trace.

Utilisée à bon escient, la géolocalisation est très efficace pour résoudre des enquêtes complexes, notamment pour démanteler les réseaux de criminalité organisée.

Il existe 3 modes de géolocalisation :

  • L’opérateur en mode GSM : le portable du suspect active des cellules à chaque déplacement de celui-ci, ce qui permet de retrouver son parcours.
  • L’opérateur par balise en mode GPSR : une balise est placée dans le véhicule ou le téléphone du suspect et le trace.
  • La géolocalisation par operating system OS : pas en France car trop cher, seul Google et Apple l’utilisent. Ils récupèrent les informations sur les cellules et bornes Wi-fi et font des points moyens avec coordonnées x/y. Permet même de donner l'altitude. Le système fonctionne en aspirant ce qui se trouve en permanence dans l'activité du téléphone.

Une source dangoisse sociétale

« Il existe une angoisse sociétale et collective autour de ces moyens d'actions qui surveillent tout un chacun » selon Myriam Quéméner. Le risque majeur est que les données de géolocalisation soIent stockées partout à l'international dans des clouds sans cadre juridique. Les sociétés comme Google et Apple peuvent faire ce qu’elles veulent des informations relatives à nos déplacements privés, ce qui représente une menace pour nos libertés publiques en plus d’être une valeur marchande non négligeable pour elles.

Par ailleurs, l’utilisation par les enquêteurs de ces nouveaux moyens de preuve numérique multiplie les risques d’abus et d’atteintes aux libertés publiques. C’est pourquoi le barreau de Paris est très hostile à la géolocalisation. Certains avocats de la défense présents dans l’assemblée ont confirmé cette position. Dans leur argumentaire figure l’éternel problème de l’indépendance du ministère public. De fait, Myriam Quéméner rappelle que l’article 1er du projet prévoit que la géolocalisation est soumise à la seule autorisation du Parquet, ajoutant ainsi de nouvelles formes d'enquête hors de tout contrôle des juges du siège. Or, le procureur de la République n’est pas, selon la jurisprudence constante de la CEDH une autorité judiciaire indépendante. Le ministère public connaît une « crise majeure de confiance » selon Jean-Louis Nadal, président de la Commission de modernisation de l’action publique.

Pour Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de Paris, « Les opérations de géolocalisation sont une ingérence dans la vie privée d’une gravité telle qu’elles nécessitent le contrôle du juge du siège. Ce texte est contraire aux droits constitutionnel et européen, créant ainsi un droit d’exception. Il suffirait d’appliquer les textes existants en rétablissant le rôle du Juge des Libertés et de la Détention qui, seul, car parfaitement indépendant, doit pouvoir autoriser en amont et contrôler en aval la procédure de géolocalisation, tel que cela est déjà prévu par l’article 76 du Code de procédure pénal relatif aux perquisitions ».

En outre, la limite entre cadre administratif et judiciaire est ténue. La nouvelle loi de programmation militaire, dont l'article 20 a fait couler beaucoup d'encre, va très loin puisqu'elle réglemente les écoutes téléphoniques administratives et étend la recherche d'informations intéressant la lutte contre le terrorisme, les criminalité et délinquance organisées et la sûreté de l'Etat ou la préservation du potentiel économique de la France. Ce champ d’application est « beaucoup trop vaste et imprécis » dénonce Myriam Quéméner. Il existe un décalage entre le titre de la loi et ses dispositions. Elle regrette que ce texte ait été adopté en décembre sans saisine du Conseil constitutionnel. C’est étonnant comme la société porte un regard différent sur la géolocalisation selon le contexte ! Cela ne pose aucun problème dans le domaine militaire mais crée beaucoup de tensions dans le civil.

Au fond, le plus inquiétant est que la géolocalisation a été utilisée toutes ces années sans aucun cadre juridique. Pourtant, dès 2011, le professeur de droit pénal Mme Haritini Matsopoulou soulignait que « la géolocalisation est une forme de surveillance qui devrait être autorisée pour les infractions graves en étendant le champ d'application de l'article 706-80 CPP », donc que la France devait impérativement la réglementer. En réalité, la véritable source d’angoisse est l’absence d'anticipation du législateur sur l'arrivée du numérique dans le droit.

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