À quelques jours de son entrée en vigueur, les opposants à la généralisation des cours criminelles se mobilisent pour « sauver les assises ». La réforme judiciaire à venir fera disparaître le jury populaire pour tous les jugements en première instance de crimes punis jusqu'à vingt ans de réclusion, des viols essentiellement, soit environ la moitié des affaires pour lesquelles des citoyens sont appelés actuellement à siéger.
Objectif de la réforme : « être pragmatiques »
Le ministère de la Justice l’assure pourtant, les cours d’assises ne seront pas supprimées, les crimes les plus graves et les appels échappant toujours à la compétence des cours criminelles départementales (CCD). « Il ne s'agit pas de remettre en cause les fondements de notre justice criminelle, il s'agit d'être pragmatiques », a annoncé le ministère.
Lancées en 2019 à titre expérimental dans quelques départements, ces cours ont permis de gagner du temps en termes de journées d’audience et de délais d'audiencement, sans impacter ni l'oralité ni la qualité des débats. Les 387 affaires jugées par les cours criminelles (à 88% des viols, 5% des coups mortels, 2% des vols à main armée...) ont nécessité 863 jours d'audience, quand il en aurait fallu 982 aux cours d'assises, selon le comité d'évaluation et de suivi des CCD.
Une généralisation qui nécessite des moyens matériels et humains
L'Union syndicale des magistrats (USM) ne reconnait qu’un gain « minime » et « mis à néant par un taux d'appel plus important » (21% pour les cours criminelles contre 15% pour les assises, selon les premières évaluations), ainsi que des peines prononcées et un taux d'acquittement similaires. L’USM est favorable au principe des cours criminelles mais s'oppose à leur généralisation « sans moyens dédiés ».
Le comité d'évaluation a également souligné l’urgence d’un « recrutement substantiel de magistrats et de greffiers ». Avec cinq magistrats, contre trois aux assises, ces cours « viennent ponctionner une ressource rare », souligne Ludovic Friat, président du syndicat majoritaire. Dans les juridictions, l'insuffisance des effectifs et des salles d'audience inquiètent vivement. « C'est surtout difficile dans les petites cours d'appel », remarque Frédéric Fèvre, président de la Conférence nationale des procureurs généraux.
Se voulant rassurante, la Chancellerie rappelle que, compte tenu des délais d'audiencement, les cours criminelles ne fonctionneront pas à plein régime avant le second semestre 2023, voire 2024, ce qui permettra aux professionnels de s’adapter progressivement à la réforme.
« C'est une bonne réforme et on souhaite qu'elle réussisse. L'équilibre va se faire naturellement », a ajouté Frédéric Fèvre, dont l’avis n’est pas unanimement partagé au sein de la magistrature.
« Le problème fondamental, c'est la coupure avec les citoyens », regrette une présidente de cour criminelle dans un département pilote. Pour elle, les assises permettent de « restaurer la confiance » en la justice et de « déconstruire complètement les idées reçues sur le viol », par exemple. La magistrate déplore une généralisation qui va « à contre-courant de la société actuelle ». « On a envie de penser que, sur un sujet aussi grave que les crimes sexuels, on prenne le temps de comprendre ce qui s'est passé. Ça ne sera pas permis dans des audiences au rabais parce qu'inéluctablement, bien qu'on s'en défende, les cours criminelles deviendront de grosses correctionnelles », dénonce, quant à elle, Karine Bourdié, coprésidente de l'Association des avocats pénalistes.