« On vit dans un monde où, il n'y a pas moins de 19 ans, il était légal de faire de la corruption internationale et c'était déductible fiscalement », fait remarquer Aurélien Hamelle faisant référence à l'entrée en vigueur de la convention internationale sur la lutte contre la corruption signée par l'OCDE en décembre 1997. Le directeur juridique de Total est néanmoins convaincu que ce temps est révolu et que la nouvelle génération qui arrive aux postes à responsabilité a intégré la nécessité d'être en conformité avec les lois.
Une priorité essentielle pour l'économie
Transparence et compliance sont indispensables au bon fonctionnement des marchés et de l'économie mondiale selon Bernard Cazeneuve.
« On ne peut que regretter le fait que la question de la lutte et de la prévention de la corruption est totalement absente des orientations du nouvel exécutif européen exprimées récemment », regrette ce dernier, préoccupé par cette « absence de prise en compte d'une priorité pourtant essentielle ».
De fait, les flux annuels commerciaux ou financiers illicites mondiaux sont estimés à environ 2,2 millions de milliards de dollars.
« Des sommes considérables : un volume monétaire qui représente une huitième puissance mondiale », souligne Isabelle Durant, secrétaire générale adjointe de la Conférences des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
L'ancien Premier ministre rappelle que l'Union européenne se développe dans un marché intérieur « qui ne peut souffrir de différents traitements de la corruption par l'ensemble des États membres », ni pour le bon fonctionnement de son économie ni pour la réputation de ses entreprises à l'international.
Il propose ainsi des solutions pour créer un véritable « paquet compliance européen », notamment pour « corriger les relations très asymétriques entre l'Europe et les États-Unis ». La première consiste à voter une directive « qui intègre dans le droit de l'Union l'ensemble des préconisations de l'OCDE » sur la lutte anticorruption. Il conviendrait ensuite de réviser la directive européenne relative à la corruption privée pour améliorer la poursuite de la corruption transnationale, et d'intégrer les principes de la loi Sapin 2 dans les entreprises européennes. Il faudrait enfin que l'autorité du Parquet européen en matière de lutte contre la corruption mon en puissance et qu'on développe la coopération au sein d'Eurojust.
« Nous avons réussi à le faire en matière de protection des données, nous sommes parfaitement compétents en matière de droit de la concurrence, il n'y a donc pas de raison qu'on n'y arrive pas en matière de compliance », estime l'homme politique.
La présence inédite de Laura Codruta Kövesi, procureur en chef du Parquet européen (nouvelle autorité judiciaire qui commencera son activité l'an prochain), confirme ce mouvement.
Un besoin de coopération
« Le challenge principal sera d'agir en coopération », déclare-t-elle en anglais, faisant là sa première intervention publique. Procureure depuis 24 ans, très impliquée dans la lutte contre la corruption en Roumanie, la magistrate est optimiste mais pas dupe.
« Malheureusement, malgré les progrès au niveau des poursuites judiciaires, je ne crois pas que le niveau de corruption en Roumanie a baissé », déplore-t-elle. Les différentes autorités judiciaires de poursuites doivent trouver un moyen d'agir en équipe, mais ça peut être « un bon avantage » pour celle qui insiste sur l'importance d'avoir une structure d'enquête indépendante avec des moyens conséquents, de l'éducation et une législation claire.
« En matière d'anticorruption, je crois qu'il y a un problème de moyens, notamment de coordination et de communication de l'information », confirme Charles Duchaine, directeur de l'Agence française anticorruption (AFA).
« Au-delà des chiffres et des dispositions législatives, l'essentiel est de passer à l'acte car la lutte contre la corruption ne se limite pas à la compliance qui n'est qu'un outil », estime Marc-André Feffer, président de l'ONG Transparency France, en soulignant l'importance de donner les moyens aux autorités de poursuites.
« La difficulté est la segmentation des organisations internationales, il faudrait travailler en coopération avec des principes généraux édités », déclare quant à elle Isabelle Durant de la CNUCED.
« Il appartient à tous les États de traiter de concert la corruption transnationale », considère le directeur de l'AFA soulignant les progrès à faire en matière de coordination extraterritoriale. « La justice ne se rend pas en coulisse dans un rapport de force déséquilibré entre un État fort et une entreprise », dénonce-t-il.
« L'anticorruption peut être un sport national mais il ne faut pas non plus que ça devienne une façon de jouer sur la concurrence », lance Charles Duchaine à l'adresse du DOJ américain. Un point de vue partagé par le directeur juridique de Total, « parfois victime de l'extraterritorialité », qui souligne la puissance du droit comme reflet de la puissance économique et financière.