Affiches Parisiennes : Quel est le rôle des grands éditeurs juridiques tels que LexisNexis pour améliorer l’accès et la qualité du droit en France ?
Sébastien Bardou : LexisNexis associe le contenu doctrinal à la technologie. En tant qu’éditeur, nous ne rédigeons pas les décisions de justice, mais nous accompagnons tous les professionnels du droit dans leur métier, notamment avec l’analyse de commentaires des décisions de justice rendues.
Notre contenu est exclusivement destiné aux professionnels du droit ayant un certain niveau d’expertise, mais qui ont besoin d’outils complémentaires pour travailler efficacement, avec une meilleure sécurité juridique et en pleine connaissance du droit.
A.-P. : Quel rôle peut jouer l’intelligence artificielle dans un processus juridique ?
S. B. : Nous utilisons l’intelligence artificielle depuis longtemps. En interne, d’abord, pour faciliter la création de nos produits. Nous gérons un volume de jurisprudence et de décisions de justice assez important. L'intelligence artificielle nous permet donc de préparer les contenus, de les rendre accessibles, avec des mots clés, etc. Elle sert également des méthodes telles que le machine learning, une approche d’apprentissage d’algorithme supervisée, pour faire de l’extraction d’information.
A.-P : Et en externe ?
S. B. :Les utilisateurs bénéficient d’un certain nombre de solutions. L'intelligence artificielle est notamment utilisée dans la rédaction et l’analyse automatisées de contrats et d’actes juridiques. Assez rapidement, les utilisateurs de nos solutions ont eu besoin d’accéder à l’information, à - la connaissance et c’est intéressant d’utiliser cette intelligence artificielle pour les faire bénéficier des contenus les plus pertinents. Notre entreprise produit beaucoup de contenus éditoriaux avec de nombreux modèles de contrats ou de clauses, ce qui est une vraie force.
A.-P : Avez-vous toujours exercé dans le milieu juridique ? Quand êtes-vous arrivé chez LexisNexis ?
S. B. :J'ai rejoint LexisNexis en août 2014. J’avais travaillé dans le conseil en stratégie et le management des médias et des télécoms. J'ai fait beaucoup de droit lors de mes études et intégrer LexisNexis m’intéressait, à travers la position assez exceptionnelle de l’entreprise sur les marchés. J'ai commencé comme directeur marketing France, en évoluant jusqu’à occuper le poste de directeur de la stratégie pour la France et l’ensemble de la zone Europe et Moyen-Orient.
A.-P : Suite aux Etats Généraux de la Justice lancés par le président de la République, le numérique est l’une des solutions envisagées pour une justice plus performante. Quel est le rôle de la technologie dans l’amélioration de l’accès au droit selon vous ?
S. B. :Fondamentalement, le rôle de la technologie est d’aider les professionnels du droit à travailler plus efficacement : gain de productivité, de temps, gestion des contentieux... Nous savons qu’il y a un vrai problème d’engorgement et de délai de traitement. Le numérique peut y remédier. Néanmoins, il est important de comprendre que la technologie ne fait pas tout. L’intelligence artificielle réalise en moins d’une seconde les tâches que le cerveau humain met beaucoup plus de temps à gérer. Ce bénéfice est incontestable. Cependant, il ne faut pas demander à cette intelligence de faire ce qu’elle est incapable de réaliser. L’humain doit constamment la contrôler, car chaque affaire a ses spécificités, ses caractéristiques propres. Le nombre de facteurs à prendre en compte est extrêmement élevé et c’est l’intelligence humaine qui gère tout cela. L'intelligence artificielle est un outil d’aide à la décision et non pas un outil qui prend des décisions.
A.-P : Quel rôle peut jouer l’intelligence artificielle dans un processus de décision juridique ? Comment éviter les dérives d’une justice totalement dématérialisée et l’avènement des robots-magistrats ?
S. B. :Il y a une question d’opportunité et une question de viabilité. Souhaitons-nous voir l’intelligence artificielle prendre des décisions ? Je ne crois pas. Rien ne permet de le dire dans le futur, même lointain. En France, technologiquement, nous n’avons pas cette capacité-là. Nous sommes très loin de ce qui existe aux États-Unis où l’ensemble de la production est dématérialisé. Nous ne sommes pas dans le même système juridique. Il y a un autre aspect. Juridiquement, une machine ne pourra jamais remplacer un être humain parce qu'elle est par nature, irresponsable. Dans ces conditions, comment engager la responsabilité de la machine si elle commet une erreur juridique ? Pour nous, le sujet est d’automatiser ce que l’être humain réalise en amont, pour gagner en productivité. Nous n'avons pas fait disparaître nos éditeurs et auteurs pour les remplacer par l’intelligence artificielle. Nous les avons renforcés pour leur permettre de travailler plus efficacement.
A.-P : Depuis quand LexisNexis s’intéresse aux legaltechs ? Quand et comment avez-vous pris le virage numérique ?
S. B. :Il y a deux façons d’entendre le terme “legaltech”. La première, c’est la technologie qui s’applique au droit, par conséquent, nous sommes une legaltech. Avec la deuxième façon, il s’agit plutôt des start-up qui sont apparues il y a quelques années. Comme LexisNexis est un acteur technologique depuis très longtemps, que nous consacrons 20 millions par an à l’innovation en France, l’entreprise est déjà un acteur de l’écosystème. Nous travaillons sur des projets avec ces start-up. Par exemple, LexisNexis a racheté il y a une quinzaine d’années une entreprise, pour créer ce qui est maintenant Lexis Solutions. Le groupe LexisNexis fait l’acquisition de ces start-up pour renforcer son portefeuille et ses capacités technologiques.
A.-P : Selon vous, les legaltechs représentent-elles un progrès pour les judiciables ou bien, au contraire, les moyens d’une justice au rabais ?
S. B. : Elles peuvent jouer un rôle très vertueux dans l’écosystème. Tous ces acteurs-là ont un rôle positif à jouer. Je ne pense pas que cela implique une justice au rabais. C’est, au contraire, un usage intelligent de la justice que l’on remarque depuis l’avènement des legaltech. En matière de justice prédictive, par exemple, le sujet n’est pas tant de savoir si un procès va être gagné ou perdu, mais plutôt à quel montant peut s’élever la condamnation. Dire qu’un avocat gagne X % de ses affaires n’a pas de sens. Le côté très binaire de la statistique ne fonctionne pas et cela illustre le fait que les décisions juridiques ne sont pas des outils à destination du grand public.