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n 2020, selon le bilan annuel publié par le ministère de l’Intérieur, issu des statistiques des Services départementaux d’incendie et de secours – SDIS –, les sapeurs-pompiers ont effectué quelque 4,2 millions d’interventions, dont 282 000 incendies. Les feux d’habitation ont représenté 64 000 interventions et les feux d’ERP, 6 000 interventions. Pour les locaux industriels/entrepôts, ce nombre atteint les 4 000, plus de 1 000 pour les locaux d’artisans, et près de 2 400 pour les locaux agricoles. « Par comparaison, on a dénombré quelque 48 000 interventions pour des feux de véhicules et 39 000 pour des feux de végétation », selon Me Françoise Hecquet, avocate associée au Cabinet PHPG. « Pour les assureurs, l’incendie est un enjeu majeur. D’après les chiffres de la Fédération française de l’assurance, plus de 1,4 milliard d’euros a été réglé à titre d’indemnités », poursuit l’avocate. Dans le même temps, 1,3 milliard d’euros l’a été au titre des dégâts des eaux. Un chiffre plus ou moins équivalent, mais qui est à rapporter au nombre de déclarations, qui atteint 1,38 million.
« L’incendie, c’est aussi le risque principal de l’entreprise, des petites, mais aussi des grandes. Nous pourrions considérer qu’elles sont mieux armées, mais les enjeux financiers sont en réalité tout aussi lourds. Indépendamment du dommage, les préjudices immatériels sont souvent conséquents et leur évaluation nous occupe longuement en expertise », explique Françoise Hecquet.
De nouveaux risques émergent également, liés à l’apparition ou au développement des nouvelles technologies, ou encore aux nouveaux modes de vie et d’organisation. Quelque 400 décès, davantage liés aux fumées qu’aux flammes, sont par ailleurs imputables chaque année à ce fléau.
La distinction cause/origine
« Ces sinistres ne sont pas les préférés des assureurs. Ils peuvent en effet avoir des conséquences corporelles et financières pour l’entreprise. Nous avons d’ailleurs un dispositif spécifique chez AXA, baptisé “Crise majeure”, pour apporter un soutien en matière de communication, notamment », ajoute Richard Lelait, responsable technique règlements construction, responsabilité civile, transports terrestres, plaisance et caution technique chez l’assureur AXA France. Mais, en matière juridique, qu’en est-il de la distinction origine/cause de l’incendie ? « L’origine de l’incendie, pour moi, est une condition à l’obligation de la dette, alors que la cause de l’incendie, est davantage une condition qui concernera la contribution de la dette », précise l’assureur. « Cette distinction est à garder en tête, car les garanties d’assurance qui vont être mobilisées vont s’en inspirer ».
Il existe deux types de garanties en cours de chantier. La première, dont les entreprises disposent dans leur police (v. article 1788 du Code civil), prévoit que la charge des risques pèse sur l’ouvrier avant réception, quelle que soit la cause des dommages. « C’est un peu une dérogation à cette distinction obligation/contribution. Quelle que soit la cause des dommages, l’entreprise va devoir reprendre son ouvrage, et non celui des autres. Donc, les assureurs ont prévu cette couverture, en la limitant aux dommages accidentels. L’assureur interviendra quelle que soit l’origine de l’incendie, pour autant qu’il affecte la prestation », détaille Richard Lelait, qui précise que la notion de contribution va intéresser l’assureur dans la mesure où il va pouvoir faire des recours envers un tiers au chantier.
Il existe également une police TRC
– tous risques chantier –, très protectrice, à la fois du maître d’ouvrage et d'entreprises. « Elle n’est pas assez souscrite. Elle couvre pourtant beaucoup de dommages sur le chantier, matériels bien évidemment, quelle que soit la cause. Mais les assureurs TRC ne sont pas très enclins à couvrir les existants, qui font déjà l’objet de garanties de dommages », précise Richard Lelait, soulignant que la cause va aussi être intéressante : il sera notamment possible lancer des recours contre les assureurs ou encore les constructeurs.
« On a aussi la question, en cours de chantier, de l’intervention de l’assureur pour les existants au titre de
1789 : il s’agit de la présomption de faute qui pèse sur l’entrepreneur, dès lors que l’immeuble lui a été confié. Quid de la responsabilité sur ces existants, dans ce cas ? L’entreprise n’a pas systématiquement la garde sur le reste de l’ouvrage ». En résumé, pour le spécialiste, il ne faut pas confondre présomption d’imputabilité et présomption de responsabilité.
Voici donc toutes les interventions de l’assureur en cours de chantier. Mais les difficultés arrivent après la réception. Les débats sont nombreux sur le champ d’application de la responsabilité décennale. Les notions de cause et d’origine sont également importantes en la matière.
La responsabilisation
des constructeurs
Finalement, quels sont les outils pour responsabiliser les constructeurs et éviter les incendies sur le chantier ?
Il existe, pour Richard Lelait, une méthode douce et une méthode dure. Concernant la première : certains chantiers nécessitent des permis de feu. Certaines polices prévoient donc des sanctions en cas de non-utilisation du permis ou non-respect (concernant les plafonds de garantie ou les franchises).
Pour la méthode dure, en cas d’absence de garantie, « on se demande parfois sur le chantier si le sinistre n’était pas évitable, c’est-à-dire que l’on s’interroge sur la présence ou non d’un aléa », explique Richard Lelait.
« Au terme de la jurisprudence, on se dit qu’un sinistre lié à un tronçonnage de câbles électriques près de cuves de fioul n’est pas vraiment inéluctable et ne pouvait pas être ignoré du constructeur. Bien sûr, on ne va pas arrêter de couvrir les clients. S’il reste une fine partie d’aléa, l’assureur peut garantir. Mais cette jurisprudence va infuser les autres domaines de la responsabilité et de l’assurance ».
Des juges consulaires
à l’écoute
« Nous ne sommes pas du tout encombrés par les sinistres liés à des incendies », poursuit Hervé Lefebvre, président de la 18e Chambre du Tribunal de commerce de Paris, délégué général aux mesures d’instructions et à la taxation, invité à témoigner à cette conférence avec Thierry Hubert Dupon, président de la 4e Chambre, spécialisée en transport et assurances du Tribunal de commerce de Paris, pour donner des conseils très pratiques.
« Au Tribunal de commerce de Paris, nous gérons essentiellement les contentieux commerciaux ou par nature qui impliquent un défendeur commerçant. C’est le cas de l’assureur, mais pas des mutuelles. C’est une petite difficulté, qui nous amène à décider dès la première audience à demander au plaideur de s’exprimer sur la compétence du tribunal », souligne le juge consulaire.
« Ce contentieux étant complexe, nous avons besoin de désigner un expert judiciaire qui éclairera la juridiction, comme l’indiquent les textes, dès le référé, ou au fond. L’intérêt pour nous, juges du contrôle, est de conseiller les juges ordonnateurs sur l’expert le plus adéquat », confie-t-il.
Et son confrère d’ajouter : « nous traitons très peu d’affaires dans le domaine des incendies, mais nous avons été inondés par des affaires de perte d’exploitation ». Le juge consulaire poursuit : « Nous sommes saisis soit en référé, soit au fond, pour une mission d’expertise. L’expertise a pour objet de nous éclairer pour déterminer la cause du sinistre et fixer le coût des dommages, savoir qui va être le responsable. Il faut rappeler que l’expert est chargé de donner son avis et non pas de dire qui est responsable. Nous ne sommes pas tenus de suivre les conclusions de l’expert ».
Thierry Hubert Dupon ajoute : « Il nous est parfois demandé d’étendre les missions de l’expert, à sa demande ou à celle des parties, lorsque des événements nouveaux sont intervenus. En général nous y faisons droit. Nous sommes aussi souvent saisis par les parties ou l’expert afin de rendre opposable la mission à une nouvelle partie susceptible d’intervenir dans l’affaire ».
L’expérience paye
« Si vous désignez un expert qui n’est pas celui que nous proposons, cela va vous pénaliser in fine, puisque les parties ont toute chance de contester ses conclusions. Lorsque les parties s’accordent sur un nom, c’est souvent parce qu’elles ont vu travailler l’expert auquel elles accordent leur confiance. Que le dossier soit bon ou mauvais, on n’a jamais intérêt à avoir un expert partial », souligne ensuite Françoise Hecquet. Mais Hervé Lefebvre souligne : « contrairement à ce qui pouvait arriver par le passé, nous ne nous opposons plus à la nomination d’un expert qui a l’assentiment des deux parties. Nous adaptons notre pratique ».
Aussi, pour le juge consulaire un autre aspect est fondamental : celui de la définition de la mission. En effet, l’instance est l’affaire des parties et le juge ne tranche que ce qui lui est soumis. « La mission du juge du contrôle est d’assurer la bonne exécution des missions d’expertise, dans un délai raisonnable et d’aboutir à un rapport clair et à un coût approprié », rappelle également Hervé Lefebvre.
Finalement, ces échanges réguliers permettent de faire évoluer la pratique des juges, au bénéfice de tous les acteurs réunis lors de cette table ronde.