AccueilDroitL'évaluation du préjudice en matière de propriété intellectuelle : des moyens inédits

L'évaluation du préjudice en matière de propriété intellectuelle : des moyens inédits

Par Kami Haeri, avocat au barreau de Paris, ancien membre du Conseil de l'Ordre, ancien Secrétaire de la Conférence
Kami Haeri, avocat associé chez August & Debouzy
Kami Haeri, avocat associé chez August & Debouzy

Droit Publié le ,

L’évaluation du préjudice en matière de propriété intellectuelle a toujours été un problème, les tribunaux ayant des difficultés à valoriser le préjudice subi par des titulaires de droit.

Non seulement la culture de l’évaluation du préjudice n’est pas toujours suffisamment répandue au sein des tribunaux, mais en outre l’évaluation du préjudice en France n’est possible que si celui-ci est direct et personnel.

Or, notamment en matière de contrefaçon, lorsqu’un titulaire de droit souhaite démontrer que la violation de ses droits l’a privé de revenus directs alors qu’il est établi qu’elle a rapporté des revenus au contrefacteur, il peut éprouver quelques difficultés.

Si la contrefaçon est une infraction pénale, elle peut être portée devant les juridictions civiles pour permettre aux victimes d’obtenir réparation du préjudice subi par l’allocation de dommages-intérêts.

Conformément à la directive européenne n° 2004/48/CE du 29 avril 2004, la loi du 29 octobre 2007 est venue fixer un nouveau régime d’évaluation du préjudice, aussi bien en matière de droit d’auteur, de marque que de brevet, afin de lutter plus efficacement contre les actes de contrefaçon.

Désormais, la loi offre aux victimes le choix de leur méthode d’évaluation du préjudice.

Le préjudice pourra être évalué sur la base d’un calcul des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, en se fondant par exemple sur les bénéfices réalisés par le contrefacteur. La victime aura aussi la possibilité d’évaluer son préjudice sur la base d’un forfait fondé sur une redevance de licence théorique.

Les conséquences économiques négatives

Au titre des conséquences économiques négatives, seront pris en compte le manque à gagner et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits.

Même si la considération du manque à gagner par les juges n’est pas une nouveauté, la réforme de 2007 l’a inscrite dans le Code de la propriété intellectuelle.

Le manque à gagner consiste à opérer un calcul à partir des ventes réalisées par le contrefacteur et la marge bénéficiaire de la victime. En effet, il s’agit ici de réparer le préjudice subi par la victime de la contrefaçon en calculant les revenus dont elle a été privée.

Ce calcul est généralement pondéré par les juges par un certain nombre d’éléments tel que la durée de la contrefaçon, les capacités d’exploitation de la victime, l’existence d’autres produits concurrents sur le marché.

Les décisions jurisprudentielles qui suivent montrent néanmoins que l’indemnisation du manque à gagner relève de l’appréciation souveraine des juges. Ainsi, les dommages-intérêts octroyés ne correspondent pas toujours à un chiffre précis issu d’un calcul mathématique qui semble pourtant indiqué par la loi.

Les décisions présentent toutefois l’avantage de faire apparaître les circonstances de faits qui ont retenu l’attention des magistrats dans le chiffrage des dommages-intérêts.

Par ailleurs, les bénéfices réalisés par le contrefacteur vont être pris en considération pour évaluer les conséquences économiques négatives. Ainsi, le tribunal correctionnel de Paris, dans un jugement en date du 3 septembre 2009, a fait le choix radical et particulièrement favorable à la victime, de considérer que les contrefacteurs devaient être condamnés à se voir confisquer l’ensemble des bénéfices qu’ils avaient pu percevoir à l’occasion de leur activité illicite.

L’évaluation forfaitaire

La loi du 29 octobre 2007 prévoit également que la juridiction peut « à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dûs si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ». Il ne s’agit pour le juge que d’une faculté.

Le forfait licence est donc un outil qui permet de solliciter que le contrefacteur verse de manière forfaitaire ce qu’il aurait versé s’il avait exploité les droits dans un cadre légal et contractuel.

Le calcul de l’indemnisation forfaitaire a été mis en œuvre pour la première fois dans une affaire dite Wizzgo.

En matière de logiciel, si un titulaire de droit constate que plusieurs de ses logiciels ont été déployés dans une entreprise sans versement d’une licence il pourra solliciter à titre forfaitaire de percevoir une indemnisation strictement égale au nombre de licences manquantes multiplié par le prix catalogue auquel il commercialise ses logiciels.

En outre, et signe qu’il est indispensable de clarifier enfin la méthodologie judiciaire de calcul de l’indemnisation, une espèce récente est venue apporter une précision utile. Dans un arrêt rendu le 10 décembre 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dû se pencher sur l’indemnisation du préjudice né de la contrefaçon d’un logiciel de la marque « Microsoft ».

Un internaute avait fait des centaines de copies d’une version de Microsoft Office 2007 qu’il avait ensuite vendues sur la plateforme de vente en ligne e-Bay. Afin de contourner les mesures de sécurité qui sont normalement destinées à éviter toute reproduction non autorisée du logiciel, le vendeur fournissait un code correspondant à une clé d’activation.

L’utilisateur qui faisait l’acquisition de telles copies pouvait donc avoir accès à Microsoft Office et reproduisait ainsi la marque « Microsoft » sur son écran d’accueil à chaque démarrage du logiciel, ce qui constituait un acte de contrefaçon.

La cour d’appel ayant rejeté le principe de l’indemnisation, la Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 1382 du Code civil, en soulignant qu’ « il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe ».

La Cour de cassation rappelle même que la contrefaçon est une violation objective qui implique nécessairement réparation : « attendu que, pour dire n’y avoir lieu d’indemniser la partie civile du chef de cette contrefaçon, l’arrêt retient que les logiciels contrefaits étant conformes à l’œuvre originale, la marque Microsoft n’a aucunement été altérée, de sorte que son image n’a subi aucune dépréciation ; Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des principes ci-dessus rappelés et des textes susvisés »

Ce faisant, la Cour de cassation subordonne la réparation du préjudice subi par la victime de contrefaçon au respect du principe indemnitaire. En d’autres termes, lorsque les juges constatent un préjudice, ils sont tenus de l’indemniser à sa juste valeur.

A cet égard, la nouvelle loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon, modifie l’article L 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui vise à clarifier la détermination des dommages et intérêts dûs par le contrefacteur. Le dernier alinéa de cet article, relatif à l’indemnisation forfaitaire de la victime de la contrefaçon, simplifie la formule actuellement en vigueur et prévoit que la somme forfaitaire « est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.».

Si cette dernière rédaction a bien pour objet l’amélioration de la réparation due à la victime de la contrefaçon, reste à savoir si elle mettra un terme aux interrogations éprouvées par les professionnels : cette somme forfaitaire pourra-t-elle être simplement égale au montant des redevances ou droits ? Cela semble constituer une indemnisation minimale, en tout cas.

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