En Europe, l'éthique est mise au centre des réflexions sur le développement d'outils intégrant l'intelligence artificielle (IA), notamment grâce au règlement européen sur la protection des données (RGPD), ce qui nous démarque face aux acteurs chinois ou américains qui représentent notre première concurrence. Une régulation forte et vigilante sur l’utilisation des données considérée par certains, même issus de grands secteurs, comme un atout majeur.
L’encadrement comme atout business
Les interventions d’Isabelle Laforgue, head of digital transformation and innovation du groupe pharmaceutique AstraZeneca, et Sumi Saint-Auguste, head of prospective lab de l'éditeur juridique Lefebvre Sarrut, participant à la table ronde sur l'impact des data sciences sur le business de demain, en témoignent.
Isabelle Laforgue a bien souligné la nécessité de rassurer le public sur l'objectif et les moyens utilisés pour exploiter les données médicales. Elle a aussi rappelé que dans le secteur médical le but est toujours d'améliorer le soin des patients et pas uniquement de faire du profit.
La juriste Sumi Saint-Auguste a, quant à elle, expliqué que la data science peut être une mine d'or pour l'amélioration de la Justice et de l'accès au droit. Selon elle, l'IA peut même aider les magistrats à rendre des décisions plus justes. Un participant l’a d'ailleurs interrogée sur le risque de remplacement des juges par des robots et les dérives et biais qui vont avec. Pour l'intervenante, c'est là que l'éthique et l'encadrement juridique de l'utilisation des données a priori de la création des algorithmes sont indispensables.
Une vision holistique doit ainsi être adoptée, selon Thomas Wolf, chief scientist officier de la strat-up française montante Hugging face, qui a insisté sur l'importance de mettre en place des projets multidisciplinaires de grande envergure intégrant une exploitation des données éthique et socialement acceptable.
Dans un autre débat, la jeune Chloé Clair, CEO de la start-up NamR, « à la tête d'une entreprise d'IA où il n'y a que des cerveaux humains », a confirmé que l'éthique et la déontologie européenne en la matière sont indispensables et représentent « un atout business à ne pas sous-estimer ».
Bruno Sportisse, le directeur général de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), a aussi expliqué que l’on est dans la course aux modèles d'IA hybrides et complexes et souligné « l’importance du traitement de bout en bout » pour une exploitation des données éthiques.
« L'innovation va avec la régulation »
Également abordé par les ministres de la Transition numérique et de la Recherche, le thème de la régulation de ce secteur international, où la concurrencer règne, était à l’honneur.
Le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques Cédric O a d’ailleurs souligné l'importance de la « dialectique entre le développement des technologies d'IA et l'éthique autour de ces innovations », c’est-à-dire la nécessité d'être acteur du progrès et surtout l'impact de ce progrès à enjeu international. Il a ainsi annoncé la création d’une plateforme européenne afin de pouvoir dédier des fonds conséquents pour reconquérir l'indépendance et booster les liens entre recherche publique et entreprises privées.
« Il faut réinstaurer une confiance envers l'IA et pour ça il faut qu'on soit capable de montrer que c'est une activité très régulée en cassant les imaginaires négatifs », a expliqué Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
« L'innovation a besoin pour se propager de régulation pour pouvoir créer un standard de marché », a résumé Cédric O, pour qui « l'innovation va avec la régulation ».
La chercheuse américaine Justine Cassell, membre du Paris artificial intelligence recherche institute (PRAIRIE) a également souligné l'importance d'aligner les technologies avec nos valeurs et de créer des outils « qui ne remplacent pas l'humain mais collaborent et incitent à la collaboration et à l'emploi du corps ».
Le Gouvernement s’est donc fixé l’ambition de créer des leaders français ou européens sur ce marché car ce sont eux qui en fixent les standards et peuvent imposer leurs valeurs.
« Il est absolument indispensable de tenir le rythme », a déclaré le ministre après avoir abordé le sujet de la crise, de la relance et de la concurrence américaine et chinoise.
« Laissez place à l’expérimentation »
Et pour rester en pole position de cette course à l’innovation, il convient de ne pas non plus trop freiner les coureurs.
« Il faut trouver un juste milieu entre opportunité d'innovation et régulation », a expliqué Cédric O en conférence de presse, révélant certaines tensions. Pour lui, la régulation est trop souvent un avantage donné aux acteurs préexistants comme avec le RGPD. La ministre Frédérique Vidal a donc ajouté que « c'est pour ça que c'est très important d'y associer les acteurs de la recherche ».
Pour la ministre Frédérique Vidal , « il faut faire confiance à la recherche fondamentale et ensuite choisir le bien à la place du mieux ».
Sur la même longueur d'onde, Cédric O a déclaré qu'il faut « laisser place à l'expérimentation, quelle que soit la règlementation » pour éviter la fuite des cerveaux et que des firmes américaines développent des outils développés par des chercheurs français. Un point de vue soulevant de nombreuses interrogations au sein de l’auditoire.
A une question sur l’utilisation de la reconnaissance faciale, notamment pour assurer la sécurité durant les JO 2022, Cédric O a toutefois répondu que « les conditions ne sont pas encore réunies car il faut d'abord avoir un débat de manière apaisée », ce qui paraît délicat dans la situation actuelle où une grande défiance face aux dispositifs de contrôles comme le pass sanitaire se fait sentir.
Pour Frédérique Vidal, l’important est surtout de « refaire société autour de la science ».
Enfin, les deux ministres ont rappelé que nous avons massivement besoin d'innovation pour relever les défis qui nous attendent, en particulier environnementaux et sociétaux.