À l’occasion de la publication du décret d’application de l’article 1er de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, ce 1er avril (et des arrêtés qui vont suivre), la Chancellerie a souhaité préciser les modalités d’application du nouveau régime d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires et administratives qu’il consacre.
Moyen de lutte contre la défiance envers la Justice
Mesure phare du projet de loi « Confiance » porté par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, la possibilité de filmer les procès permettrait aux Français, selon le législateur, de mieux connaître le fonctionnement de la Justice et de restaurer sa confiance dans le système judiciaire.
De fait, l’objectif officiel poursuivi est d’apporter une réponse à la défiance contre le fonctionnement de l’institution « dans un double souci de transparence et de pédagogie pour faire rentrer la Justice dans le salon des Français avec un rendez-vous télévisuel », explique la Chancellerie.
La loi prévoit ainsi un nouveau régime dérogatoire à l’interdiction de filmer les audiences en vue de leur diffusion fondée sur « un motif d’intérêt public d’ordre informatif, culturel, pédagogique ou scientifique ». Le critère pédagogique est très important et a été longuement discuté à l’assemblée nationale afin d’éviter le sensationnalisme.
« Le but n’est pas de verser dans la justice spectacle ni dans la fait-diversification mais de prendre le citoyen par la main et de lui montrer comment la justice fonctionne. On ne passera pas à d’un régime d’interdiction à un régime portes ouvertes », assure la Chancellerie.
« Objectif louable mais cadre flou », dénonçait l’été dernier le Conseil national des barreaux qui s’inquiétait du non-respect du droit à l’oubli, de la protection des personnes vulnérables, ou encore des garanties pour les droits de la Défense et l’impartialité du tribunal.
Diffusion strictement encadrée
Des critiques entendues par le législateur qui a défini dans ce décret un cadre précis protecteur des libertés contenant de nombreux garde-fous qui semblent rassurer l’institution représentative des avocats français, même si elle conserve quelques craintes.
« Les conditions sont strictes, raisonnables et proportionnées et en ce sens on espère que ça va être un texte équilibré. Il faut voir aussi à l’usage », a commenté Jérôme Gavaudan, président du CNB, sur RTL mercredi matin.
Selon le décret, les captations ne pourront être diffusées que de façon très encadrée, uniquement lorsque l’affaire sera jugée et avec l’accord et dans le respect des parties. La diffusion ne sera possible qu’après que l’instance ai donné lieu à une décision définitive, exception faite pour les audiences de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat où elle pourra se faire le jour même avec l’accord de tous.
Ainsi, toutes les personnes filmées devront remplir un formulaire de consentement à la diffusion de leur image. Pour les audiences non publiques (juge des enfants, juge d’application des peines…), il faudra recueillir, en plus des consentements à la diffusion, ceux à l’enregistrement. Le recueil des consentements est à la charge de l’équipe de tournage et le droit de rétractation est de 15 jours.
Le législateur a prévu une sanction spéciale avec la création d’un délit particulier puni d’un d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende en cas de non-respect de ces obligations.
En outre, les modalités d’enregistrement ne devront pas perturber les débats. Les sociétés de production devront donc privilégier la légèreté du dispositif de captation avec une discrétion particulière à partir de caméras fixes. Le président d’audience pourra aussi suspendre à tout moment l’enregistrement en cas de gêne.
En ce qui concerne la protection des personnes vulnérables, leur anonymat sera obligatoirement garanti pour les mineurs, les majeurs protégés et les forces de l’ordre, et garanti sauf accord contraire pour le reste des citoyens, via du floutage et du brouillage de voix. Et pour le droit à l’oubli, le législateur impose qu’aucun élément d’identification ne puisse être diffusé 5 ans après l’audience.
Importance du projet éditorial et du montage
Le décret met aussi l’accent sur la nécessité de présenter des projets éditoriaux à visée pédagogique dont l’angle, le montage et l’analyse sont développés en détail. Ces derniers passeront nécessairement par une demande d’autorisation obligatoirement adressée au ministère de la Justice dans un dossier complet transmis au garde des Sceaux qui donnera l’autorité décisionnelle aux premiers présidents de cour d’appel concernés par l’autorisation de captation.
Une convention va d’ailleurs être signée avec France Télévision qui « a émis le souhait de pouvoir participer à cette nouveauté et cette ambition de faire de la pédagogie autour de la justice avec une émission récurrente a priori sur France 3 qui montrera toute la diversité de la justice et pas seulement les audiences pénales », toutefois la Chancellerie précise qu’il n’y a pas d’exclusivité sur le service public car elle estime qu’il y a « de la place et une grande marge de progression sur la compréhension de la justice ». Évidemment, le coût de ces projets audiovisuels sera entièrement à la charge des sociétés de production.
En lien avec la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et les institutions représentatives des professionnels de justice, le ministère assure que ces derniers, avocats et magistrats en premier lieu, sont plutôt favorables à ce processus et ont envie de participer à cet objet pédagogique qui a l’ambition de montrer comment ils travaillent. Le but étant de « donner à voir la justice du quotidien ».