Affiches Parisiennes : Vous êtes le dirigeant du cabinet d'avocats d'affaires Desfilis, avec Philippe Rosenpick. Pouvez-vous nous présenter votre cabinet ?
José Desfilis : Le cabinet a été créé en 1920 par l'ancien responsable juridique du groupe Renault, à l'époque où les notaires ont perdu le monopole des actes de société. C'est aussi l'époque à laquelle se créent les cabinets Francis Lefebvre et Gide. Peu de cabinets exerçaient alors ce genre d'activité. L'activité du cabinet va se développer, avec une clientèle magnifique mais faute d'avoir anticipé les changements de génération, le cabinet va lentement décliner. Je suis arrivé en 1985 et nous avons rebâti le cabinet, avec une nouvelle équipe animée par une volonté de s'inscrire dans la durée. On a un certain nombre de pré-requis. Le premier d'entre eux, c'est la qualité de la prestation, nous sommes dans la recherche permanente de ce qu'on peut appeler l'excellence. Le deuxième, c'est la qualité de la relation humaine, c'est-à-dire être tous les jours content de retrouver les gens avec qui l'on travaille. Quand on se voit, on se sourit parce qu'on reconnaît chez l'autre ses qualités et en même temps, on est fier de l'avoir comme associé. Troisième élément : la vision de l'avenir, avoir ensemble un projet commun et œuvrer tous ensemble pour ce projet. On ne réussit qu'avec les autres.
A.-P. : Comment qualifieriez-vous vos échanges avec les directeurs juridiques des entreprises et comment arrivez-vous à travailler en synergie ?
Philippe Rosenpick : Je considère que le directeur juridique est comme moi. Dans mon esprit, il est “avocat” même s'il n'est pas inscrit au barreau. Donc, je considère que nous travaillons sur un même pied d'égalité. Au-delà des échanges techniques, j'essaye toutefois de prendre en compte ses propres contraintes, en matière d'organisation, de policy, de rendu. Je dois lui apporter le confort extérieur dont il a besoin et pour lequel il a fait appel à un prestataire extérieur. Notre rôle est d'éviter souvent qu'il soit en première ligne de manière à ce qu'il puisse disposer de la distance nécessaire pour prendre les bonnes décisions, en fonction des objectifs qu'on lui assigne. Toute la partie de réflexion en amont est très importante dans la réussite d'un dossier. Le droit est un maillon dans l'aboutissement d'un projet, pas une fin en soi. Il y a des contraintes juridiques, financières, commerciales, politiques… qui nécessitent une vision globale. On peut être très bon en droit et tout faire échouer.
Je considère que le directeur juridique est comme moi.
Dans mon esprit, il est “avocat” même
s'il n'est pas inscrit au barreau.
A.-P. : Pensez-vous qu'il serait judicieux de créer le statut d'avocat en entreprise ?
P. R. : Il y a déjà longtemps que j'ai pris parti en indiquant que j'étais totalement favorable au statut d'avocat en entreprise. Je ne change pas d'avis. Toutefois, concernant le sujet de la confidentialité, il faut s'assurer que celle-ci sera respectée, sans pression sur le directeur juridique. On a déjà vu qu'il y avait des administrateurs indépendants… ou presque. Aux États-Unis sauf erreur, la confidentialité des actes du legal counsel ainsi que son indépendance sont garanties. Il faut aller dans le même sens en France. Ce sujet est extrêmement important pour les entreprises françaises et la compétitivité du droit français.
A.-P. : Qu'est-ce que devrait faire l'avocat pour lui apporter plus de protection ?
P. R. : Le directeur juridique peut être amené à mettre en œuvre une décision estimée nécessaire ou utile par le dirigeant ou le comex alors que juridiquement, on n'est pas en mesure de pouvoir “border” les choses. Notre travail consiste à identifier les risques, les conséquences, à ne pas avoir de “trou dans la raquette” de manière à prendre les décisions en conscience. On peut prendre des risques et c'est bien normal mais on doit tout faire pour s'assurer que les risques sont appréciés, évalués et mesurés avant toute décision. Une opération nécessite bien souvent des compromis. Mais ces compromis doivent être réfléchis. Le rôle de l'avocat c'est d'être un partenaire du directeur juridique, de l'entreprise et de faire sien leurs intérêts. Ce n'est pas juste faire un état des lieux juridique, dire ce qu'il faudrait faire dans l'absolu de manière déconnectée de la réalité et laisser ensuite le directeur juridique se débrouiller avec ce qu'il faut faire.
J. D. : Le directeur juridique, ou le directeur financier quand c'est le directeur administratif et financier qui traite le sujet, il ne faut pas le mettre en porte à faux vis-à-vis de sa hiérarchie. Jamais. C'est une règle d'or. On ne le met jamais en porte à faux parce qu'il est notre partenaire dans l'entreprise. Pour nous, c'est un confrère donc, par confraternité, on va traiter le sujet ensemble et, en retour, avoir sa confiance parce qu'il voit comment vous vous comportez vis-à-vis de lui, que vous ne cherchez pas à vous mettre en avant ou à briller vis-à-vis de son patron. On veut être le plus efficient possible et rendre le meilleur service possible à l'entreprise, grâce à une équipe soudée avec notre correspondant dans l'entreprise.
A.-P. : Quelles sont aujourd'hui les principales compétences techniques que vous avez développées dans votre cabinet, qui a été d'ailleurs été primé plusieurs fois ?
P. R. : Pour développer des compétences, il faut un socle humain qui repose sur la confiance avec les clients, quels que soient les domaines d'activité. Pour José, c'est une grande proximité avec les familles et entrepreneurs sans pour autant qu'il y ait une opération à la clef. Pour moi, dans la partie transactionnelle, il est également nécessaire d'avoir une grande proximité avec mes clients pour pouvoir échanger avec eux librement, dire et contredire, ce qui est source d'efficacité. Ne jamais être complaisant et dire au client ce qu'il a envie d'entendre. La liberté a pour corollaire la responsabilité et il faut pouvoir dire la vérité, donner réellement son avis. Le travail commence en amont par la réflexion, la définition de la stratégie de négociation. Il faut pouvoir se parler vrai pour bien comprendre les objectifs et les impératifs économiques. La compétence technique n'est pas négociable mais elle n'est pas suffisante pour extraire le meilleur. On doit aussi travailler en équipe. Les avocats exercent souvent collectivement une profession individuelle où l'ego et la personnalisation prennent le dessus sur le reste. Peu savent passer le relais, valoriser leur collègue au détriment du “moi je” qui n'apporte rien. Il faut réussir à inverser ce penchant naturel pour permettre à chacun de contribuer au succès. Sans collectif, pas de succès durable. Un cabinet stable n'est pas juste une addition d'associés.
A.-P. : Le cabinet compte désormais une trentaine d'avocats. Quelle est votre stratégie d'avenir ? Vous venez d'intégrer deux fiscalistes renommés. Comment voulez-vous développer vos activités, en cette période de crise sanitaire et d'incertitudes ?
J. D. : Il y a eu au cabinet et il y aura toujours un fonds de clientèle constitué d'entreprises familiales, qui ont besoin d'un accompagnement sur mesure, plus encore que les autres. Il n'y a pas un bon conseil. Le bon conseil, c'est le conseil personnalisé, celui qui est parfaitement adapté aux besoins de son client. Il sera plus prudent ou plus audacieux en fonction de la personne qui est en face de vous. D'où l'importance d'avoir une très bonne connaissance de l'entreprise, de sa culture, des gens qui la composent. Notre axe de développement, c'est de continuer d'apporter un service de qualité, dédié, “sur mesure”. Nos clients subissent évidemment la crise actuelle mais font preuve d'une grande résilience, ce qui est une chance pour tous.
P. R. : Je suis assez frappé de voir, depuis la crise de la Covid, qu'il y a des secteurs résilients où les multiples et les valeurs flambent, créant une frénésie d'investissement comme si rien ne pouvait empêcher les arbres de croître. Pour autant, rien n'est moins certain et la qualité du travail juridique en pâtit puisqu'il faut à tout prix consolider, investir l'argent dont on dispose. Un multiple élevé, un contrat de quelques pages sans garantie (quel blasphème !), un process concurrentiel de “marchands de tapis” et hop, un joli communiqué de presse pour dire qu'on est fier d'avoir fait telle opération. L'avenir nous dira si c'était pertinent ou non. A l'autre bout de la chaine il y a des entreprises qui ont été extrêmement malmenées, qui tiennent le coup grâce aux PGE et qui, si elles ne sont pas “main stream” aujourd'hui gardent des fondamentaux solides. Cela nécessite un peu plus de vision, d'huile de coude et de courage mais cal peint permettre d'investir moins cher pour revendre plus cher. Il faut faire de solides analyses de marché et ne pas s'emballer derrière la market practice ambiante. L'expérience de bulle internet dans le passé devrait nous inciter à la prudence.
A.-P. : En tant qu'avocat, sur quoi il vous semble important d'insister ?
P. R. : Je suis extrêmement attaché au fait de donner aux avocats d'affaires un peu plus de relief et d'épaisseur que la seule profitabilité. Je continue à faire ce métier pour les rencontres avec les gens, pas juste pour empiler les contrats. Il y a des rencontres formidables, d'autres décevantes auxquelles on ne s'attendait pas, blessantes parfois de petitesse. Comme chez les avocats. C'est tout simplement la vie. Je n'ai jamais oublié que lorsque j'ai commencé à travailler, il y avait souvent dans les grands cabinets une dimension sociétale qui faisait l'honneur du cabinet. Tout ne doit pas être motivé que par la rentabilité et le cabinet doit pouvoir aider, servir des clients qui forcément n'ont pas les moyens de payer des honoraires astronomiques. Être avocat, c'est avoir une responsabilité sociétale qui doit dépasser nos affaires. Et on doit pouvoir prendre la parole sur un certain nombre de sujets, qu'ils soient juridiques ou non, qui font la société. L'avocat a un rôle en démocratie.
J. D. : Le monde d'après sera un mix du monde d'avant et de ce que l'on vit maintenant. La conclusion, c'est que ce que l'on fait maintenant, c'est continuer à s'inscrire dans le temps avec des gens de qualité pour servir nos clients réellement. Ce ne sont pas que des mots, il y a une réalité derrière. C'est un état d'esprit que nous souhaitons conserver. Nos objectifs lors du recrutement au sein du cabinet ne sont pas centrés sur l'importance du chiffre d'affaires réalisé et ayant vocation à être apporté au cabinet. Nous privilégions le rapport humain, le savoir-faire, les compétences et la volonté. On ne recrute pas des gens qui sont uniquement intéressés par la rentabilité du cabinet, son emplacement, sa notoriété. Bien au contraire, nous avons récemment recruté une personne dont les préoccupations essentielles étaient la qualité de service rendu au client et son rapport à l'autre. Pour bien faire ce métier, qui est un beau métier, il faut avant tout aimer les gens.