Affiches Parisiennes : En qualité de président du tribunal de grande instance de Paris, vous avez la lourde tâche du déménagement de ce dernier. Où en est-on aujourd'hui ?
Jean-Michel Hayat : Nous sommes dans une phase opérationnelle, le bâtiment est entièrement construit et équipé, le ministère de la Justice en a pris possession en août dernier. Nous allons commencer les opérations de ‘‘marche à blanc''. Nous allons nous approprier les locaux, vérifier et clarifier les circuits pour l'ensemble des personnels et les modalités pratiques de circulation des magistrats et des fonctionnaires.
Nous allons nous assurer du bon fonctionnement des locaux recevant les personnes détenues et nous rapprocher une nouvelle fois du barreau de Paris pour vérifier ensemble que toutes les préoccupations exprimées ont été prises en compte. Il faut penser à toutes les questions pratiques pour que tout soit prêt, pensé et vérifié à la date de l'emménagement fixée au 16 avril 2018.
A.-P. : Pour tous les fonctionnaires du ministère de la Justice, le processus du déménagement est bien clair ?
J.-M. H. : Je pense que oui. La présidence a veillé à organiser des réunions, service par service, pour bien expliquer le calendrier du déménagement et l'organisation du travail pendant tout ce 2e trimestre 2018. Chacun comprend qu'il est difficile de déployer une activité juridictionnelle habituelle pendant un tel déménagement. Cela suppose une phase de ralentissement sensible de l'activité juridictionnelle pendant cinq semaines. Au 21 mai, l'activité du TGI aura intégralement repris, notamment l'ensemble des audiences civiles et pénales, ce qui représentera, du fait du regroupement de tous les sites, 90 audiences par jour.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le Palais-Cité, où nous sommes actuellement, ne représente pas toute l'activité du TGI. Le pôle financier se trouve boulevard des Italiens, le service d'application des peines est situé dans le 13e arrondissement, le tribunal aux affaires de Sécurité sociale dans le 19e arrondissement, le tribunal de police également. De nombreux services dépendant du TGI sont éclatés sur plusieurs sites. En outre, il y a un tribunal d'instance par arrondissement. Or, en juin 2018, les 20 tribunaux d'arrondissement seront supprimés alors que le tribunal d'Instance de Paris débutera son activité, le 14 mai 2018. C'est donc une toute nouvelle organisation judiciaire qui va émerger. Elle apparaîtra très vite, aux justiciables, beaucoup plus rationnelle et infiniment plus lisible. Il n'y aura qu'une seule entrée pour la justice judiciaire : le tribunal de Paris. Les Parisiens seront assurément satisfaits de disposer d'un accès à la justice sur un site unique et y verront une organisation plus rationnelle, plus cohérente et assurément plus efficace.
La salle des Pas Perdus. (© Laurent ZYLBERMAN)
A.-P. : Quels sont les nouveaux dispositifs mis en place au sein du nouveau tribunal ?
J.-M. H. : Notre priorité concerne l'accueil des justiciables au tribunal de Paris. Des milliers de personnes se rendront au tribunal, chaque jour, avec des demandes très différentes. Il faut ainsi que, par la perception même de l'accueil, les justiciables aient vraiment la conviction qu'ils sont immédiatement pris en charge, qu'on les écoute, les oriente et les informe précisément, dans les limites prévues par la loi, bien évidemment.
Il y aura donc un accueil pour les thématiques civiles d'un côté, un accueil pour les thématiques pénales de l'autre et lorsque des sujets nécessiteront des entretiens approfondis, nous organiserons des prises de rendez-vous individuels dans des locaux plus confidentiels. Enfin, pour répondre aux besoins d'informations en matière de succession, de logement, de surendettement, seront organisées des permanences gratuites et confidentielles, regroupées au sein du Point d'accès au droit, qui sera implanté au 1er étage du tribunal. Un délégué du Défenseur des droits assurera également cinq permanences par semaine pour clarifier les relations entre les usagers et l'administration, il y aura un écrivain public, qui aura pour mission d'aider les justiciables à rédiger d'éventuelles demandes administratives. Nous avons également l'immense satisfaction de pouvoir bénéficier d'une permanence organisée deux demi-journées par semaine par la Chambre des notaires de Paris. Je suis convaincu que ces permanences rencontreront un grand succès et seront rapidement prises d'assaut. Ce triple dispositif, accueil unique du justiciable, rendez-vous individualisé, et point d'accès au droit, constitue une belle avancée qui, je l'espère, donnera aux milliers de justiciables qui franchiront les portes du tribunal, la perception que le service public de la justice s'est véritablement adapté, offrant ainsi une image de modernité et d'efficacité.
A.-P. : Qu'en est-il des services d'accueil digitaux ?
J.-M. H. : Il y aura effectivement des bornes digitales de consultation. Des applications informatiques nouvelles sont en cours d'élaboration par le ministère de la Justice. Ce dispositif permettra de savoir, en entrant vos données personnelles, si vous êtes éligibles à l'aide juridictionnelle. Chaque usager aura un numéro personnel qui lui permettra de suivre la procédure le concernant.
La salle d'audience civile. (© Laurent ZYLBERMAN)
A.-P. : Selon vous, ce nouveau palais de justice est-il un symbole de modernité et de renouveau ?
J.-M. H. : J'en suis convaincu ! Le bâtiment conçu par l'architecte Renzo Piano suscite l'admiration des premiers visiteurs. Pas d'escalier monumental, rien d'écrasant ou d'oppressant. On entre de plain-pied à partir du parvis. La salle des Pas Perdus, est vaste et baignée de lumière. Tout contribue à mon sens, à l'apaisement.
A.-P. : Aujourd'hui, vous faites face à un déménagement colossal, mais est-ce qu'on ne va pas finalement se rendre compte, une fois que tout le monde aura été réuni, que le bâtiment est trop petit ?
J.-M. H. : À l'heure où je vous parle, tous les services ont pu être installés dans des conditions pleinement satisfaisantes pour chacun. Nous changeons de dimension puisque nous n'aurons plus 26 salles d'audience mais 90. Nous aurons une gestion tout à fait rationalisée du courrier, nous avons pensé également à faciliter les synergies entre services. Nous aurons des salles de réunion quasiment à tous les étages, alors que leur rareté au palais actuel est une vraie difficulté. Parallèlement, la dématérialisation s'accélère et le papier recule chaque mois un peu plus.
A.-P. : Est-ce que ce palais de justice ultramoderne permettra également une justice rendue plus vite ?
J.-M. H. : La justice est rendue dans des délais globalement satisfaisants à Paris. Afin d'illustrer mon propos j'indiquerai que le délai moyen de convocation devant un juge aux affaires familiales est de deux mois et demi en moyenne, ce que bien des juridictions nous envient, j'en suis bien conscient. En matière correctionnelle, lorsque l'instruction est terminée, nous sommes dorénavant en capacité d'audiencer les procès dans le délai moyen de 6 mois, sauf situation particulière liée notamment au nombre de victimes.
Je crois que nous allons effectuer un bond considérable dans la relation entre la justice et les justiciables à Paris. Si les milliers de justiciables attendus quotidiennement ont le sentiment en sortant du tribunal que la justice s'est adaptée aux enjeux du XXIe siècle et s'est emparée des outils modernes de gestion, alors le pari sera relevé avec succès. Je forme le vœu que la piste ainsi empruntée bénéficie, par capillarité, à toutes les juridictions de France.
Pour l'heure, les seules difficultés, tiennent aux transports en commun. Le prolongement de la ligne 14 du métro ne sera achevé que fin 2019. Il nous reste donc à gagner cette bataille et escompter aussi une rapide augmentation de l'offre de transports en commun pour que la venue au tribunal se fasse dans des conditions satisfaisantes pour les milliers de justiciables convoqués chaque jour.
La salle d'audience pénale. (© Laurent ZYLBERMAN)
A.-P. : C'est aussi une façon de rendre une justice plus proche et plus humaine ?
J.-M. H. : Le défi qui est le nôtre est de réussir à changer l'image négative d'une justice lente, chère et compliquée. Pour ce faire, il nous faudra répondre vite et bien aux besoins de tous les publics avec le concours et le soutien de tous les professionnels du droit.