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Intelligence économique : une loi pour la protection du secret des affaires

Les représentants de l'ensemble des structures économiques, politiques et juridiques s'intéressent de près à l'Intelligence économique (IE), qui est devenue une véritable préoccupation dans la conjoncture actuelle. La proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, déposée à l'Assemblée nationale le 16 juillet dernier par le député Jean-Jacques Urvoas, en témoigne.
Intelligence économique : une loi pour la protection du secret des affaires

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« Il n’est point de secret que le temps ne révèle », écrivit Racine. Mais comme le dit si bien Jean-Jacques Urvoas, il n’en demeure pas moins que la protection des données propres aux entreprises est un réel enjeu dans un monde où la guerre économique est la règle.

Dans ce contexte, un des défis que les entreprises doivent affronter est celui de la protection de leur capital stratégique, des informations non brevetables mais indispensables à leur fonctionnement et à leur développement. La captation de telles informations, leur utilisation indue ou leur divulgation pouvant gravement compromettre leur viabilité.

Pour les députés, « il s’agit donc d’établir un cadre destiné à la fois à prévenir, dissuader et réprimer les atteintes qu’elles sont susceptibles de subir en ce domaine, dans le but de protéger nos positions concurrentielles, notre capacité d’innovation et, in fine, nos bassins d’emplois » (proposition de loi relative à la protection du secret des affaires dite « PPL Urvoas »).

« Le secret de la créativité est de savoir comment cacher vos sources » a dit Albert Einstein.

  • Point sémantique

L’Intelligence économique, dite « IE », est l'ensemble des activités coordonnées de collecte, traitement et diffusion de l'information utile aux acteurs économiques, en vue de son exploitation. En clair, c’est la science de l’utilisation de l’information à des fins stratégiques.

Si pour Claude Mathon, avocat général à la Cour de cassation et président de l'Association des conférenciers en sécurité économique (ACSE), « le secret des affaires n'existe pas ! Il n'en existe aucune définition juridique, c'est une notion purement littéraire », certains se sont heurtés à la tâche difficile qu’est la définition du secret des affaires.

« Le secret des affaires protège les informations relatives à la rentabilité de l’entreprise, à son chiffre d’affaires, à sa clientèle, à ses pratiques commerciales, à ses coûts, à sa part de marché ainsi qu’à d’autres données sensibles », selon le ministère de l’Economie et des Finances.

Pour les Américains, il s’agit de « toute information confidentielle quels que soient sa forme, sa nature et son support, qui présente une valeur économique propre, réelle ou potentielle et qui ne consiste pas en des connaissances générales susceptibles d’être facilement et directement constatées par le public » (Cohen Act, adopté en 1996).

Selon Pierre Berlioz, professeur agrégé des facultés de droit, « le secret des affaires est un pouvoir de fait sur une information ».

Corinne Champagner Katz, Joëlle Simon, Alain Juillet et Jacques Fourvel

  • Nécessité de légiférer

C’est cette information stratégique, que le projet de loi sur la protection du secret des affaires, commandé par le président de la Commission des lois Jean-Jacques Urvoas, veut protéger. Pour cela, il a fallu commencer par pallier l’absence de définition de la notion dans la loi.

Citée dans de nombreux textes (article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les articles L. 430-10 du Code de commerce, L. 612-24 du Code monétaire et financier, L. 5-6 du Code des postes et télécommunications) et régulièrement évoquée dans la jurisprudence de l’Union européenne ou de la Cour de cassation et du Conseil d’État, il paraît absurde que la notion du secret des affaires ne soit pas légalement définie.

Pour les députés « ces références multiples à une notion non-définie s’inscrivent dans une approche fractionnée, impropre à garantir une protection efficace du secret des affaires » (PPL Urvoas).

La nécessité s’est aussi faite sentir du point de vue du droit comparé; à l’instar des États-Unis, qui protègent leur secret des affaires depuis 1996 et font de la norme (dans son acception la plus large) un véritable instrument concurrentiel. De fait, ces derniers ont adopté le Cohen Act afin de répondre aux besoins de confidentialité de la vie économique, conformément aux préconisations de l’article 39 du traité Adpic (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) issu de la convention de Marrakech de 1994 qui a institué l’OMC. L’Union européenne va donc agir, mais certains sont réservés. La journaliste de Médiapart Martine Orange a publié un article le 2 avril dernier intitulé « Le projet de directive sur le secret des affaires organise l'omerta ». Certains pensent donc que le monde de l’entreprise est assimilable à la mafia.

Enfin, c’est avant tout le contexte économique qui pousse le législateur à agir. La déléguée interministérielle de l’IE, Claude Revel, explique que la compétition internationale a changé de nature. « Elle n’est plus seulement commerciale et financière, mais porte désormais sur des éléments immatériels : images, données, normes, systèmes juridiques, concepts de gouvernance, etc. Dans ce contexte, l’intelligence économique doit plus que jamais permettre à notre économie d’anticiper ces évolutions internationales complexes, pour être en capacité d’agir sur elles et de ne plus les subir. »

  • Mesures pratiques

La gendarmerie dispose de 3 600 « points de vente » en France, elle est donc proche des entreprises sur tout le territoire. Le général Bertrand Soubelet, à la direction de l'anticipation opérationnelle de la gendarmerie nationale, souligne que la gendarmerie a ainsi développé de nombreux partenariats, notamment avec la CCI France, afin d’aider les entrepreneurs à lutter pour la protection du secret des affaires.

De fait, « le partenariat public/privé est absolument indispensable pour s'en sortir », selon Alain Juillet, président de l'Académie de l'intelligence économique. « Nous sommes dans un environnement dans lequel on n'a pas le choix, il faut apprendre à se protéger. » Pour cela, il faut investir dans l'information économique et la recherche, apprendre à aller chercher l'information, puis à la protéger. « La meilleure garantie du secret est d'éviter par tout moyen que l'information ne soit divulguée à la mauvaise personne dans l'entreprise », informe Bertrand Warusfel, avocat au barreau de Paris et professeur agrégé des facultés de droit.

Pour la directrice juridique du Medef Joëlle Simon, les choses simples ont besoin d'être rappelées, c'est pourquoi le Medef a publié récemment une brochure relative aux rudiments de l'Intelligence économique à l'usage des PME.

Concrètement, les entreprises devraient toutes commencer par identifier les informations et supports méritant le secret en les distinguant (marquage physique ou numérique) par critères de sensibilité. Ensuite, vient la mise en œuvre de mesures restrictives d'accès et de diffusion. Pour cela, il faut installer un processus de stockage physique ou numérique sécurisé et une limitation du périmètre des personnes ayant accès aux informations.

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