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Frédéric Sicard, héraut de la démocratie ordinale des origines

Candidat au bâtonnat au côté de sa colistière Dominique Attias, Frédéric Sicard a un goût immodéré du travail et de l'action – il est fier d'avoir déposé une trentaine de rapports durant son mandat ordinal. Pour lui, les avocats ont aujourd'hui un point commun essentiel. Ils sont tous « des veilleurs de liberté en démocratie »...
Frédéric Sicard et Dominique Attias, candidats au bâtonnat de Paris 2015
Frédéric Sicard et Dominique Attias, candidats au bâtonnat de Paris 2015

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Affiches Parisiennes: Vous avez été battu lors de la précédente élection au bâtonnat, qu’est-ce qui vous amène à être une nouvelle fois candidat?

Frédéric Sicard: J’ai décidé d’être à nouveau candidat, en concertation avec Sabine Du Granrut qui ne souhaitait pas se représenter à mes côtés pour des raisons personnelles, mais tout à fait d’accord pour que Dominique Attias m’accompagne dans cette nouvelle aventure, parce que nous partageons la même vision : faire de l’Ordre une institution de services. Certains pourraient considérer que cet objectif n’est pas assez prestigieux, mais pour nous, la véritable colonne vertébrale de l’Ordre, ce sont les services qu’il rend à nos confrères. Dominique Attias et moi sommes tombés tous les deux dans la marmite un peu par hasard, puisque nous n’avions pas de réel historique ordinal avant d’être élus au Conseil de l’Ordre, puis au Conseil national des barreaux. Nous y avons beaucoup travaillé et vu les choses évoluer. Nous avons tous deux la conviction que les dossiers peuvent bouger, à condition que ce qui se passe soit terriblement concret. Il appartient aux élus de proposer des choses concrètes, donc des services.

A.-P.: Votre style est-il plus proche de celui de Christiane Féral-Schuhl ou de celui de Pierre-Olivier Sur?

F.S.: Chaque bâtonnier est un peu différent du précédent et du suivant. Ce sont d’ailleurs ces différences qui ont forgé l’Histoire du barreau de Paris. Ce que fait Pierre-Olivier Sur est très bien, mais dans un style différent du mien.

A.-P.:Le thème central de votre campagne s’articule autour des libertés. Pouvez-vous nous dire pourquoi? La profession d’avocat n’est-elle pas l’une des professions les plus libres?

F.S.: Les avocats ont des situations professionnelles très différentes. Certains travaillent sur une matière traditionnelle, d’autres explorent des voies tout à fait nouvelles. Certains n’ont pas des revenus très importants, d’autres gagnent mieux leur vie… Mais les avocats ont un point commun essentiel : ils sont des veilleurs de liberté en démocratie. Ce n’est pas un concept flou. Il suffit de savoir que le barreau américain a retrouvé sa force et son unité en veillant à ce que le droit soit vecteur de liberté. Ce n’est pas plus que ce que nous essayons de dire.

A.-P.:Quelle est la marque de l’avocat dans la société?

F.S.: Chacun à sa manière défend une liberté : liberté fiscale, liberté d’entreprendre, de travailler… Mais le fond commun, c’est de veiller aux libertés en démocratie. Ce qui est important pour rassembler la profession, c’est de se retrouver autour de ce fond commun et de permettre à chaque avocat de s’identifier à ces valeurs. Ce n’est pas si intellectuel que ça… En fait, nos concitoyens souhaitent que nous soyons à l’image de ce qu’ils attendent de nous. Dans un monde de plus en plus complexe, où les budgets sont de plus en plus étriqués, où les sacrifices sont de plus en plus importants… ce qu’ils veulent, c’est que nous soyons-là pour dire qu’il y a une limite au poids de l’État, au poids de l’intérêt collectif, et que cette limite, c’est la liberté. Les avocats trouveront de l’activité à condition d’être partout où est le droit. Mais ce qui justifie le plus qu’ils apportent, c’est qu’ils savent traduire le droit en termes de libertés.

A.-P.:Quelles seront votre action et vos priorités si vous êtes élus?

F.S.: Avec Dominique Attias, nous pensons qu’il faut d’abord travailler sur l’économie. L’Ordre ne peut plus avoir un train de vie qui soit différent de celui d’autres institutions, voire de celui des Pouvoirs publics. Ce train de vie doit donc diminuer et nous devons en profiter pour diminuer les cotisations. Nous ne pouvons pas dire aux Pouvoirs publics que nous avons trop de charges si nous ne donnons pas nous-mêmes l’exemple. Les avocats doivent s’intéresser à leur budget. Nous allons faire des propositions pour que les avocats regardent la structure de ce budget et qu’ils le comprennent.
Je crois, par ailleurs, que l’Ordre rend énormément de services performants, mais que ces services sont trop dispersés. Il est important que nous réfléchissions à une solution d’accueil, de sorte que nous puissions accélérer ces services en maintenant la qualité.
De surcroît, je suis persuadé que notre profession est plus forte quand elle est unie. Pour cela, il faut que l’ensemble du barreau participe plus directement à l’action ordinale. Nous avons déjà dit que nous voulions que les séances du Conseil de l’Ordre soient filmées et placées sur un intranet ouvert à tous les avocats, pour que chacun sache ce qu’il s’y passe. Mais nous voulons plus encore avec des ordres du jour communiqués à l’avance pour que chaque avocat puisse s’y intéresser et puisse travailler avec les membres du Conseil de l’Ordre. C’est historiquement cette démocratie participative qui a créé l’Ordre. Certes, les débats n’étaient pas publics, mais ils étaient précédés par des débats publics, dans ce que l’on appelait « les colonnes ». Ces dernières ne sont plus susceptibles d’être réunies à nouveau puisque nous sommes à présent 26 600, mais cela n’empêche pas de créer des liaisons, par le biais de l’informatique, d’essayer de susciter des débats. Je suis en train de suggérer qu’on ne pourra pas avoir une profession très forte sans qu’il y ait une très forte participation de chaque membre du barreau à la définition de notre avenir. Je pense aux modes alternatifs de règlement des conflits. Je pense au champ de l’intelligence économique pour laquelle nous avons besoin d’une déontologie renforcée. Même chose pour la RSE. On ne fera rien sans l’accord de la majorité. On ne peut pas travailler sans associer la base aux idées de quelques-uns. Nous devons mettre en place cette politique de majorité. Ce sont les bases de la démocratie.
J’ajoute sur un sujet chaud comme celui de l’avocat en entreprise que je ne suis pas d’accord avec le projet actuel, mais que je suis d’accord avec le fait que nous devons proposer quelque chose. L’essentiel, dans un projet comme celui-là, qui est consubstantiel avec la définition de notre profession, c’est que tous les avocats donnent leur opinion et que la majorité triomphe. C’est le seul moyen de réellement faire avancer la profession.

A.-P.:Vous voudriez soumettre à référendum le statut d’avocat en entreprise?

F.S.: Non, parce que je ne veux pas être élu sur des promesses que je ne pourrais pas tenir. Il faut être lucide. La question de l’avocat en entreprise sera traitée en 2015, donc elle ne peut en aucune manière être placée sous mon autorité. Mais il y aura d’autres questions qui seront posées au barreau parce que le train de réformes induit par l’Union européenne arrive. Chacune de ces réformes, dès lors qu’elle engage la profession, mérite ce débat général et ce vote majoritaire. Il n’y a que comme cela que nous pourrons faire accepter les évolutions. J’ai moi-même des opinions extrêmement précises sur le sujet. Mais je n’imagine pas un seul instant les imposer à mes confrères si ceux-ci ne sont pas d’accord. Je serais même très fier d’être mis en minorité dans un dossier où j’estime avoir raison. Ce n’est pas le bâtonnier qui est tout-puissant, mais la majorité des avocats. C’est de cette manière que l’on a construit la profession.
L’Ordre est né d’une démocratie participative. Le bâtonnier n’était pas un chef. Il ne commandait pas, il ne réprimait pas. C’était quelqu’un sur lequel on s’appuyait pour lancer des idées. Le bâtonnier n’a jamais été celui qui décide. Il transmettait les vœux des avocats en leur suggérant les sujets sur lesquels ils devaient réfléchir. Je n’ai évidemment pas l’intention de revenir au Moyen-Âge. Je dis simplement que nous ne parviendrons pas à faire progresser cette profession sans que la majorité décide.

A.-P.:Cet esprit de démocratie participative ouvrirait-il sur l’instauration d’un grand barreau national?

F.S.: Oui. Je fais partie de ceux qui croient si fort à l’unité que j’ai accepté de prendre une charge supplémentaire en assurant à la fois une représentation au niveau ordinal et au niveau national. J’ai également accepté de tenir le secrétariat national, avec le souci de coordonner l’activité parisienne avec l’activité nationale. On ne pense pas forcément les mêmes choses dans la capitale et en province, mais nous pouvons au moins discuter des mêmes dossiers. Avoir siégé au Conseil national, à un poste de coordination des travaux, m’a amené à comprendre qu’on ne construit rien sans le dialogue et sans l’unité. C’est notre métier de convaincre. Précisément, il s’agit de se convaincre les uns les autres. Il y a entre nous des points de convergence.
J’ai siégé au cours d’une mandature qui a produit énormément de textes et énormément de normes, parce qu’il y a eu beaucoup de dialogues, parfois vifs, parfois durs. Grâce à cela, nous avons construit intégralement la déontologie des nouveaux métiers. Je crois sincèrement que ce ne sont pas de vaines paroles de dire « unité » sous les auspices du dialogue.
Dans cet esprit, j’estime que le bâtonnier de Paris doit siéger lui-même au Conseil national. Le vice-bâtonnier fait actuellement un travail formidable, mais il n’a pas un poids politique suffisant pour pallier l’absence du bâtonnier.
La construction de l’unité nationale va passer par une répartition distributive des services. L’Ordre local va devoir faire des choses, l’Ordre national en fera d’autres. À dix ans, il va également falloir songer à la construction européenne. Il y a un million d’avocats dans l’Union. Quand on compte un tel nombre d’avocats, on a un droit d’accès direct à la Commission européenne, mais à la condition d’avoir une représentation élue. Il nous faut des interlocuteurs politiques représentant notre profession à Bruxelles, donc un Ordre européen !

A.-P.:On parle beaucoup de la mondialisation de votre profession d’avocat, comment voyez-vous l’avocat du XXIesiècle?

F.S.: Je pense que les quelques rapports que nous avons vus sont encore trop timides. On ne va pas assez loin dans l’imagination. Il ne s’agit pas simplement d’installer quelques ordinateurs et quelques salles de visioconférences… Il nous faut réussir une justice humaine. Contrairement à toutes les prédictions, je suis intimement persuadé qu’il y aura toujours des plaidoiries, parce que le justiciable a besoin d’être entendu. L’art oratoire va certainement évoluer. Il n’y aura plus les grandes déclamations qu’on a connues au XIXe siècle, mais il y aura toujours pour le juge la nécessité d’entendre le justiciable. L’informatique ne tuera pas la plaidoirie.
Nous devons avoir une vision exacte de ce que sera la justice du XXIe siècle. Le XIXe siècle a vu s’émanciper le droit de la propriété. Le XXe siècle a vu l’évolution du droit de la famille. Le pari que je prends, c’est que le XXIe siècle sera celui de la justice entrepreneuriale et sociale, au centre de la Cité. Quel est le besoin des hommes au XXIe siècle ? C’est de travailler, soit en créant son entreprise et en ayant la liberté d’entreprendre, soit en trouvant du travail dans une entreprise en ayant la liberté de travailler. Statistiquement, il y a toujours davantage de dossiers qui viennent renforcer la demande, tant en matière sociale qu’en matière commerciale. Quand on va plus loin, on voit apparaître une autre justice, c’est celle des tribunaux des affaires de la Sécurité sociale, créée en 1985, celle des handicaps – je pense au tribunal de l’incapacité –, des commissions départementales d’action sociale – c’est la distribution des RSI et RSA. Les réformes que nous sommes en train d’envisager sont uniquement tissées autour de la justice traditionnelle des XIXe et XXe siècles. On n’a absolument pas projeté que la justice était en train de prendre une dimension sociale. C’est là qu’il faut aller puiser la réflexion, sans omettre de revoir les budgets et leur destination. Le rôle de l’avocat en la matière, c’est d’avoir de l’imagination.
Le besoin d’audit juridique, ce qu’on appelle la compliance, sera lui aussi de plus en plus important. Contrairement à ce qu’on croit, il ne nécessite pas une déontologie allégée, mais renforcée.

A.-P.:Comment souhaiteriez-vous répondre aux préoccupations des jeunes avocats?

F.S.: Il faut tout d’abord que nos jeunes soient prêts à intégrer l’annuaire européen en construction. Leur nom sera diffusé. Ils vont également devoir choisir des spécialités et les associer à des formations ad hoc pour prendre la dimension européenne et appréhender un marché qui ne sera plus local.
Je suis, par ailleurs, totalement opposé au numerus clausus qui est une fausse promesse. Mais je suis aussi pour une croissance raisonnée de la profession. On nous donne souvent l’exemple allemand. Or, les chiffres sont très durs. C’est, certes, le deuxième barreau en termes de chiffre d’affaires, mais il reconnaît qu’il a 25 % de membres en grande difficulté économique. Il faut donc rationnaliser le développement de la profession dès l’entrée – c’est l’idée d’un examen national dont la qualité peut être renforcée –, légaliser les entrées, y compris les accès dérogatoires, et avoir des chiffres susceptibles d’être expliqués aux Pouvoirs publics et aux universités pour qu’elles arrêtent de former davantage de spécialistes que nous ne pouvons en recruter.

A.-P.:Vous étiez administrateur de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), que pouvez-vous nous dire de la réforme du régime de retraite complémentaire?

F.S.: J’ai démissionné de la CNBF pour être tout à fait libre de mes propos. La CNBF est une caisse de répartition. Vous ne pouvez pas lui demander autre chose. Une réforme pour rendre meilleure la répartition et l’assiette de la répartition était inéluctable. C’est ce qui a été expliqué au Conseil de l’Ordre. La vraie question – qui sera posée réellement dans 10 ou 15 ans –, parfaitement posée par l’UJA, est de savoir si nous voulons intégrer la capitalisation. Ce sont les Pouvoirs publics qui ont la réponse, pas la CNBF. Quand on regarde les textes, le ministère concerné, celui du Travail et des Affaires sociales qui a la tutelle des caisses de retraite, a l’obligation de négocier, mais pas avec l’Ordre. Les seules autorités qui peuvent discuter avec les Pouvoirs publics en la matière sont les syndicats, l’UNAPL et la CNPL, avec éventuellement le Comité de liaison interordres qui a la possibilité de siéger au sein de la CCNPL dont on a arrêté les travaux, alors qu’elle travaillait justement sur ce sujet…

A.-P.:Quelle est, par ailleurs, votre position sur le texte du projet de loi Macron tel qu’il a été déposé au Conseil d’État?

F.S.: Pour moi, le projet de loi tel qu’il existe actuellement est inacceptable. Il pose des problèmes techniques, fondamentaux pour l’économie française, que le ministère n’a même pas imaginé – la retraite, les conflits d’intérêts en cas de rupture du contrat, les questions de non-concurrence qui n’existent pas dans notre profession… Est-ce que, pour autant, ce rejet doit être catégorique ? Je ne le crois pas. J’ai sur le sujet une vision pragmatique. Il faut absolument obtenir une concertation pour pouvoir impérativement régler ces problèmes techniques.
La création d’un nouveau titre d’avocat, par exemple, ne va pas créer d’emplois. Elle va juste permettre à nos jeunes passés du barreau à l’entreprise, d’avoir une continuité de carrière. Les pistes existent. Mais pourquoi imaginer un avocat en entreprise qui ait le même régime que les avocats indépendants ? Nous avons eu, dans l’Histoire de l’Ordre, les avocats sans cause, inscrits sur un autre tableau. Je veux dire par là qu’on peut gérer différemment la question.
Je redis qu’on ne fera jamais accepter un tel accord sans l’agrément de la majorité des votes aux assemblées générales. Rien ne passera jamais en force.

A.-P.:Comment jugez-vous le contenu du rapport Ferrand?

F.S.:Ce que je reproche à ce rapport remis à Emmanuel Macron, c’est qu’il ignore totalement la dimension européenne. Ce qui fait la singularité française, c’est que nous défendons une notion de démocratie continentale qui suppose la liberté et l’indépendance des avocats. Dans notre démocratie, les avocats sont des empêcheurs de tourner en rond qui ont la liberté de parole et dont la discipline est assurée par leur propre profession. Ce n’est pas le cas partout en Europe. Dans notre démocratie, ce n’est pas la confidentialité qui protège les avocats, c’est le secret. Ce n’est pas la même chose. Le secret est absolu, la confidentialité reste relative.
La dimension européenne est ainsi passée totalement inaperçue. Personne ne s’en est occupé. On projette une loi qui est censée protéger le développement économique de notre pays, sans aucune vision au-delà des frontières. C’est hallucinant !
Si cette exception française qui vise à construire un ‘‘demi-secret’’, est destinée à créer une entaille dans ce que doit être le secret des avocats, c’est une très mauvaise chose. Si on cherche une définition du secret qui doit couvrir tous les avocats, alors il faut aller jusqu’au bout du débat et demander aux autres pays ce qu’ils sont en train de construire.

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