« Pièce maîtresse » des publications de l’institution, le rapport public annuel de la Cour des comptes est l’occasion, pour cette institution, d’interpeller le grand public comme les décideurs. Si cette année était consacrée à la décentralisation, chaque RPA est précédé d’un chapitre introductif relatif aux Finances publiques. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, en a profité pour livrer ses « grands messages » sur la situation actuelle.
L’ancien ministre de l’Économie l’a souligné d’emblée, si cette situation était déjà dégradée avant même la pandémie, elle appelle désormais « des mesures urgentes ». Il faut dire qu’après 2021, l’année du rebond de l’activité économique, l’année 2022 a été celle du ralentissement et de l’inflation, « ne permettant pas d’améliorer sensiblement le déficit public hors effet, attendu, de l’extinction des dépenses d’urgence et de relance ». Du côté des recettes publiques, la Cour fait aussi un constat contrasté. « Elles ont conservé leur dynamisme en 2022, mais un ralentissement est également à prévoir pour 2023 », a indiqué Pierre Moscovici.
La dépense publique, un point préoccupant
Mais pour le Premier président de la Cour des comptes, le point le plus « préoccupant » reste celui de la dépense publique, qui continue de croître à un rythme soutenu. Après avoir atteint 1 461 milliards d’euros en 2021, les dépenses publiques progresseraient en valeur de 4,3 % en 2022, puis de 3,2 % en 2023. « Alors que 2022 devait marquer la sortie du « quoi qu’il en coûte » liée à la crise sanitaire, force est de constater que cet effort nécessaire a encore été ajourné. Car à ces mesures sont venues s’ajouter celles destinées à atténuer la hausse des prix de l’énergie, pour un total de 25 milliards d’euros en 2022 et de 36 milliards d’euros en 2023 », a poursuivi le Premier président.
L’inflation a aussi alourdi les dépenses publiques, notamment du fait de l’indexation de certaines prestations. « Notre message est donc très clair sur ce point : l’ampleur des dépenses engagées en réponse aux crises sanitaire et énergétique brouille l’appréciation de l’évolution de la dépense publique totale. En réalité et c’est un fait marquant, même si l’on neutralise ces dépenses exceptionnelles, la dépense publique progresserait en volume de 3,5 % en 2022 et 0,7 % en 2023 », a-t-il également souligné, ajoutant que ces réflexions le menaient à son dernier point relatif à la trajectoire de la dette.
La dette publique devrait atteindre 111,2 points de PIB en 2023, soit près de 15 points au-dessus de son niveau d’avant-crise. Pour Pierre Moscovici, « nous ne pouvons plus continuer dans cette voie, car près de trois ans après le début de la crise, la France fait maintenant partie des pays de la zone euro dont la situation des finances publiques est la plus dégradée ». Le niveau de dépense publique rapportée au PIB est le plus élevé de la zone euro en 2022 (huit points au-dessus de la moyenne) et il devrait le rester en 2023.
Maitrise de l’endettement, enjeu de souveraineté
Aussi, le Premier président de la Cour des comptes a estimé qu’un désendettement maîtrisé est indispensable, un pays « endetté à l’excès » ne disposant pas de marges de manœuvre suffisantes « pour investir à long terme dans son avenir ». Il s’agit, pour l’ex-ministre, d’un enjeu de souveraineté, d’une condition nécessaire pour faire face aux prochaines crises, mais aussi pour financer les priorités d’actions du pays comme la transition environnementale.
Cet état des lieux préoccupe d’autant plus l’institution qu’un recul de la croissance est attendu pour 2023. Ainsi, elle appelle à redresser sans tarder la trajectoire des finances publiques. « En définitive, nous appelons à faire converger la réforme du cadre de gouvernance macroéconomique européenne avec la maîtrise des dépenses et la refonte des grandes politiques publiques, pour retrouver une situation budgétaire assainie. Car c’est la condition sine qua non du maintien de ses marges de manœuvres et de sa crédibilité », a plaidé le Premier président de la Cour des comptes. Avec un déficit public qui « ne passerait sous les 3% qu’en 2027 » et « ramènerait seulement en 2027 » la dette à son niveau de 2022, il juge les ambitions du Gouvernement pour 2023-2027 « peu ambitieuses ». La qualité de la dépense, jugée médiocre, et la quantité de cette dernière, doivent être « mises au diapason ».
Interrogé sur la nécessité, malgré tout, de soutenir les ménages touchés par l’inflation, Pierre Moscovici a confié que la Cour y était, bien évidemment, sensible. « Simplement, ces mesures ne doivent pas être trop générales et trop durables. Elles doivent être ciblées et temporaires. Il faut, à un moment donné, sortir du “quoi qu’il en coûte“ », a-t-il insisté, estimant que la croissance ne suffirait pas à elle seule à résoudre la situation des finances publiques.