Affiches Parisiennes: Qu’est-ce que le crowdfunding?
Silvestre Tandeau de Marsac: Le crowdfunding, ou littéralement « financement par la foule » est une pratique importée des États-Unis qui consiste à utiliser le lien social en ligne pour récolter des fonds en vue de financer un projet artistique ou entrepreneurial, sans recourir à l’intermédiation des acteurs traditionnels que sont les banques. Ce secteur de la finance participative s’est beaucoup développé ces dernières années, outre-Atlantique et en Europe. En France, plusieurs sites sont voués à cette activité, comme Babyloan, My Major Company, KissKiss Bank Bank, Anaxago ou encore Wiseed, qui représentent aujourd’hui plusieurs millions d’euros d’encours. Le développement de cette pratique appelle un cadre réglementaire adapté.
Trois grandes catégories de financement participatif existent actuellement : le don, le prêt, rémunéré ou non, et la souscription de titres d’une société ou d’une holding créée exclusivement dans le but de financer la société bénéficiaire.
A P: Jusqu’à présent, comment le financement participatif était-il encadré?
S.TdeM.: Les régulateurs, en l’occurrence l’AMF et l’ACPR, ont publié deux guides en mai 2013, l’un à destination du public, l’autre des plates-formes de financement. Ceux-ci listent les risques encourus comme la perte de tout ou partie du capital investi ou des fonds prêtés, le risque de valorisation des titres non cotés, le risque de détournement lié à l’absence de dépôt des fonds auprès d’un établissement contrôlé, l’absence de garantie quant à l’affectation des fonds collectés, ou encore l’absence de garantie d’une information claire, exacte et non trompeuse du public.
A P: La nouvelle réglementation sécurise-t-elle aujourd’hui ce financement participatif?
S.TdeM.: Oui, pour pallier les risques, une ordonnance (n° 2014-559) a été publiée le 30 mai 2014. Les Pouvoirs publics y traduisent d’une part leur volonté de favoriser le développement de ce financement participatif et, d’autre part, celle de préserver les intérêts des investisseurs et des prêteurs.
Les régulateurs – AMF et ACPR – ont néanmoins souhaité proposer un cadre allégé qui concilie à la fois la nécessité de protéger les intérêts des investisseurs et des prêteurs et la nécessaire souplesse des plateformes de placement participatif.
Grâce à cette réglementation nouvelle, les plates-formes de financement participatif échappent à la plupart des contraintes de la réglementation bancaire et financière relatives à la fourniture de service d’investissement, l’offre au public de titres financiers, la réalisation d’opérations de banque, les services de paiement et le démarchage bancaire et financier.
A P: La réglementation qui vient d’entrer en vigueur fait état de la création de deux statuts professionnels…
S.TdeM.: Exactement. Pour maîtriser les risques, la réglementation s’articule autour de la création de deux statuts particuliers, celui de « conseil en investissements participatifs » (CIP) et celui « d’intermédiaire en financements participatifs ».
Le statut de conseil en investissements participatifs (Articles L. 547-1 à 547-9 du Code monétaire et financier - CMF) est calqué sur celui de conseil en investissement financier (CIF). Le CIP exerce cette activité réalisée à titre professionnel par une personne morale de fourniture de conseils en investissement portant sur des offres d’actions et d’obligations par le biais d’un site internet remplissant les caractéristiques fixées par le règlement général de l’AMF (L. 547-1 du CMF). Il doit être immatriculé à l’ORIAS (L. 547-2 du CMF). Les dirigeants doivent, par ailleurs, respecter des exigences de compétences et d’honorabilité (L. 547-3 du CMF). Ce statut n’est pas cumulable avec d’autres statuts (agent d’assurance, agent immobilier, CIF, IOPSB) sauf avec celui d’intermédiaire en financement participatif. Les compétences des dirigeants seront appréciées par l’AMF, au moment de l’enregistrement, qui délivrera une attestation avant l’immatriculation à l’ORIAS. Par ailleurs, le CIP est soumis à un certain nombre d’autres obligations (voir encadré ci-contre).
A P: L’autre statut professionnel est celui d’intermédiaire en financement participatif…
S.TdeM. : Tout à fait. La réglementation crée également ce statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) (Articles L. 548-1 à 548-6 du CMF). L’IFP met en relation, par l’intermédiaire d’un site internet, des prêteurs (ou donateurs) et des porteurs de projets. Il propose à des particuliers de contribuer au financement de projets professionnels ou de besoins de formation par des prêts rémunérés, des prêts sans intérêt ou encore des dons, et uniquement des prêts sans intérêts pour le financement d’autres projets. Comme le CIP, l’intermédiaire en financement participatif doit être immatriculé à l’ORIAS (L. 548-3 du CMF) et répondre aux principes de compétence et d’honorabilité (L. 548-4 du CMF). Par ailleurs, les activités de l’IFP sont limitées à la fois sur les opérations et sur le statut. Des plafonds des prêts sans intérêt et avec intérêt ont été fixés sur les opérations. Il est de 1 000 € par prêteur et par projet et de 1 000 000 € par porteur de projet. La durée des prêts est elle-même limitée par décret. Concernant le statut, le cumul est limité aux seules activités ouvertes aux IFP en qualité d’établissement de crédit, de société de financement, d’entreprise d’investissement, d’établissement de paiement, d’établissement de monnaie électronique, d’agent de PSP et de conseiller en investissement participatif.
A P: Cette activité d’intermédiaire en financement participatif est également encadrée?
S.TdeM. : Effectivement, à l’instar du CIP, l’IFP doit respecter un certain nombre de règles de bonne conduite (L. 548-6 du CMF) comme :
• l’information du public sur les conditions de sélection des projets et des porteurs de projets ;
• l’information du prêteur sur les caractéristiques des prêts ;
• la mise en garde sur les risques encourus (pas de conseil) et les outils d’aide à la décision ;
• l’information du prêteur sur le coût total de l’emprunt et sur les risques liés à un endettement excessif ;
• l’obligation de suivi des opérations à travers un rapport annuel d’activités ;
• le respect des règles relatives à la lutte contre le blanchiment (L. 561-12, 7° du CMF).
Sous le contrôle direct de l’ACPR et de la DGCCRF, l’IFP est également soumis à d’autres obligations professionnelles et légales (voir encadré ci-contre). Il doit naturellement justifier de la compétence nécessaire pour pouvoir s’enregistrer. Contrairement au CIP, c’est l’Orias qui va instruire les dossiers et, ensuite, l’autorité prudentielle effectuera des contrôles.
A P: Avec cette nouvelle réglementation, un conseiller en gestion de patrimoine indépendant (CGPI) pourrait-il se convertir en intermédiaire de financement participatif? En d’autres termes, pourrait-il cumuler les deux activités?
S.TdeM.: Non, l’IFP ne pourra pas cumuler ce statut avec celui de CGPI. Pour autant, les plateformes – CPI et IFP – sont nécessairement des personnes morales, ce qui ouvre des perspectives à un CGPI qui voudrait créer une personne morale qui va porter une plateforme. On pourrait même imaginer qu’un dirigeant de plateforme puisse être CGPI à titre individuel. La réalité c’est plutôt, sous réserve de respecter les règles de conflits d’intérêts, que dans un groupe existe une structure qui exerce une activité de conseiller en investissement financier, d’intermédiaire en assurance ou en transaction immobilière et, par ailleurs, une personne morale distincte qui exerce une activité d’intermédiaire en financement participatif.
En revanche, le statut d’intermédiaire en financement participatif peut être cumulé avec d’autres activités comme celles d’établissement de crédit, de société de financement, d’entreprise d’investissement, d’établissement de paiement, d’établissement de monnaie électronique ou d’agent de prestataire de service de paiement.
D’ailleurs, on va probablement voir des établissements bancaires développer des plateformes d’intermédiation en financement participatif. Certains sont déjà partis sur cette voie…
A P: Y aura-t-il d’autres décrets qui viendront compléter cette réglementation?
S.TdeM.: Non, pas nécessairement. Il y aura, éventuellement, d’autres arrêtés et, naturellement, le règlement général de l’AMF qui n’est pas encore publié.
A P: Pensez-vous que cette réglementation va profondément changer la nature des intervenants actuels du crowdfunding?
S.TdeM.: La question est en effet de savoir comment les intermédiaires traditionnels que sont les banques et les prestataires de service d’investissement vont se positionner sur ce secteur du financement participatif. On peut assister à un phénomène comparable à celui qui a accompagné le développement des brokers en ligne, avec un rachat de plateformes et une diversification de l’offre bancaire à travers un choix entre le circuit traditionnel et le financement participatif.
A P: Quid de cette réglementation française du financement participatif au niveau européen?
S.TdeM.: N’oublions pas, effectivement, que nous sommes là sur une réglementation franco-française. Il faut savoir que des discussions se poursuivent au niveau européen, notamment via une communication de la Commission européenne au Parlement européen qui souligne tout l’intérêt qu’elle porte au financement participatif. La question est de savoir si nous allons être capables de mettre au point une réglementation harmonisée du financement participatif en Europe. C’est loin d’être évident. Nous avons actuellement trois approches réglementaires en France, en Italie et en Grande-Bretagne qui ne sont pas franchement en phase. Les Anglais, par exemple, sont plus libéraux que nous en ce qui concerne les obligations qui pèsent sur les professionnels, considérant notamment que les plateformes de Crowdfunding n’ont pas ou peuvent ne pas avoir de devoir de conseil.
Le cadre franco-français est aujourd’hui à l’épreuve d’un internet mondialisé avec des investisseurs potentiels internationaux. On peut s’attendre à ce que des plateformes de pays tiers proposent des projets à des investisseurs français ou de l’Union européenne, avec des règles très différentes. La réglementation française est certainement une opportunité, mais elle ne règle pas, loin s’en faut, les activités internationales de crowdfunding.
A P: Cette réglementation française peut-elle faire émerger un risque de distorsion de concurrence avec d’autres pays, en Europe et dans le monde?
S.TdeM.: Si nous avons, au sein de l’Union européenne par exemple, des pays qui développent des réglementations plus souples que celle dont s’est doté la France, les plateformes auront la tentation d’aller s’installer dans ces États où les contraintes sont moins importantes.
A P: Et le rôle de l’avocat dans ce contexte?
S.TdeM. : Le rôle de l’avocat est d’accompagner les acteurs du financement participatif dans leurs projets et notamment leurs démarches auprès des régulateurs. Nous sommes là pour les conseiller sur le schéma le plus adapté et les accompagner dans la mise au point de la documentation, que ce soient les conditions générales, les mini-prospectus à destination des investisseurs, les contrats de prêt… Bien entendu, l’avocat intervient également en cas de contentieux. A ce sujet, une plateforme de financement participatif, WeJustice, vient d’ailleurs de se spécialiser dans les actions en justice.